#03 – Espions : les envers des décors
proposée par Amandine Rabier
Diffusée le 21 février 2021
Contexte :
Observez ou imaginez. Aujourd’hui le medium n’est pas un tableau mais une gravure, celle d’un personnage littéralement scindé : la partie gauche de son corps est vêtue en femme de la haute société, à la mode du 18e siècle, parée d’une robe cintrée au corsage baleinée, taillée dans un tissu de brocart, les manches gonflées par les étages de tissus, de dentelles et de tulles. La riche parure vestimentaire se termine par une coiffure verticale, architecturée, surmontée d’une plume.
La partie droite de ce même corps est vêtue en gentleman, toujours à la mode du 18e siècle : manteau trois quart, gilet boutonné, culotte courte, une épée à la ceinture, et, détail important, une distinction se laisse apercevoir à la boutonnière de sa veste. Il s’agit de la croix de l’ordre royal et militaire de saint Louis. Ce drôle de personnage, clivé dans son apparence, renvoie à une double identité détaillée dans la légende de l’image. Il y est inscrit : Mademoiselle de Beaumont ou Chevalier D’Éon, Femme ministre plénipotentiaire, Capitaine des dragons. Voilà qui a de quoi intriguer. Deux moitiés de personnes pour un même corps, deux identités et deux titres pour un seul et même visage.
Pourquoi cette double apparence ?
Charles d’Éon de Beaumont dit le chevalier d’Éon est un personnage extravagant. Diplomate, homme de lettres, il devient surtout espion du Roi Louis XV et adepte du travestissement. Sa première mission d’infiltration a lieu en juin 1756. C’est le début de la guerre de sept ans qui oppose la France à l’Angleterre. Charles de Beaumont est envoyé en Russie à Saint Pétersbourg. Son objectif : obtenir ce qu’aucun ambassadeur n’avait obtenu : l’alliance de la Russie avec la France contre l’Angleterre. Il se déguise en femme, devient lectrice de la tzarine Élisabeth, adoucit sa méfiance et la convainc de se rallier à la France. A son retour, Charles d’Éon de Beaumont est nommé Capitaine des Dragons par Louis XV. A la fin de la guerre de sept ans perdue par la France, un nouveau jeu dissimulation lui vaudra d’être récompensé de la croix de Saint Louis qu’il porte à sa boutonnière.
Dans la gravure donc, la partie homme incarne le militaire honoré, la partie femme, elle, incarne la diplomatie, le ministre plénipotentiaire et implicitement, l’espion.
Le chevalier d’Éon est ainsi l’un des premiers espions de l’histoire de France.
Depuis, les services secrets se sont évidemment développés et transformés. C’est aujourd’hui l’exposition Espion à la cité des sciences et de l’Industrie à Paris prolongée jusqu’à l’été 2021 qui met en lumière ce réseau d’hommes habituellement fondu dans la masse, travesti pour infiltrer le quotidien. Comme le chevalier d’Éon en son temps, ils se constituent une identité, un passé, un présent pour se fondre dans un environnement.
Notre invitée, elle, construit des décors à ses personnages pour trahir ou réveiller leur caractère. Et quand en plus ses décors deviennent ceux du Bureau des Légendes, une étrange mise en abime se met en place. Notre décoratrice devient alors l’architecte d’un environnement factice dans lequel s’intègre l’identité factice de ses espions, le tout dans une fausse réalité cinématographique.
En plateau :
Nous recevons Fanny Stauff, décoratrice de cinéma notamment pour la série Le bureau des légendes, qui a collaboré à la scénographie de l’exposition Espion actuellement à la Cité des sciences et de l’industrie à Paris (exposition prolongée jusqu’à l’été 2021).
Œuvre évoquée en introduction :
Mademoiselle de Beaumont or The Chevalier D’Eon, gravure, 1er octobre 1777, Library of Congress Prints and Photographs Division, Washington, D.C. 20540.
À l’écoute :
- Riverside d’Agnès Obel (Album Philarmonics)
- Black Star de David Bowie (Album Black Star)
Réalisation : Stéphane Dujardin
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