#149 – L’homme de Tripoli
proposée par Isabelle Kortian
Diffusée le 24 mai 2023
En plateau
Jean-François Lhuillier, ancien chef de poste de la DGSE à Tripoli (Lybie), en mission durant trois ans, de juillet 2009 à mars 2012, publie L’homme de Tripoli. Mémoires d’agent secret aux éditions Mareuil.
Contexte
Après avoir servi dans l’armée, le lieutenant-colonel Jean-François Lhuillier formé au premier régiment de parachutistes d’infanterie de marine, a poursuivi sa carrière à la DGSE (direction générale de la Sécurité extérieure, créée en 1982). Durant 25 ans, il opéra en qualité d’agent secret. Il fut notamment chef de poste de la DGSE à Tripoli, de juillet 2009 à mars 2012, durant les années cruciales qui virent la chute de Mouammar Khadafi.
La DGSE, qui a succédé au SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage, fondé en 1945), est depuis sa création composée de civils et de militaires. Si ces derniers ne représentaient au début qu’un quart des effectifs, à la fin des années 1980, civils et militaires sont en proportion égale. Le terrain, la mission, comme le souci de l’État rassemblent ces deux populations aux cultures différentes. On constate au tournant du XXIème siècle que de plus en plus d’agents ou d’officiers traitant font partie du personnel d’une ambassade, bénéficiant d’un passeport diplomatique, mais d’autres continuent d’opérer seuls, sans couverture diplomatique.
Qu’est-ce qu’un chef de poste extérieur de recherche ? C’est un membre de la DGSE en mission de longue durée dans un pays étranger où, sous une couverture appropriée, il mène clandestinement, seul ou à la tête d’une équipe, des opérations de recueil de renseignements sur des objectifs définis par le Service, à l’aide de ressources humaines qu’il aura recrutées ou qui lui auront été transmises. Une fonction officielle de liaison auprès des services secrets du pays ou de la zone considérée est, de nos jours, le plus souvent ajoutée à ses missions, compliquant la préservation de la clandestinité de ses opérations extérieures. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, après les attentats du 11 septembre 2001, il était chargé d’une coopération avec les services secrets libyens, inquiets comme les services français de l’expansion d’Al-Qaïda au Maghreb et dans les États du Sahel. Il s’agissait d’endiguer la menace terroriste avec le plan Sahel et d’associer les Libyens au plan de lutte, ainsi que les États du Sahel.
Jean-François Lhuillier illustre ainsi à travers son expérience la place et le rôle de la DGSE dans la politique extérieure de la France.
Or, lorsqu’éclatent le 15 février 2011, à Benghazi, en Cyrénaïque, les premières manifestations pacifiques opposées au régime de Mouammar Kadhafi – 200 personnes protestant devant le siège de la police contre l’arrestation de l’activiste des droits de l’homme Fathi Tarbel – rien ne laissait supposer qu’il s’agissait du début de la fin du régime Khadafi. Violemment réprimée à Benghazi et al-Baïda, la contestation s’étend à d’autres villes. L’opposition appelle à un « jour de colère », le 17 février, contre le gouvernement de Kadhafi, lequel répond par la force aux insurgés. La situation semble échapper au contrôle et la contestation s’amplifier de la frontière égyptienne jusqu’à Ajdabiya. C’est du moins à l’étranger l’impression que donne la couverture des événements, alors que sur place le chef de poste de la DGSE et le personnel diplomatique de l’ambassade sont eux-mêmes surpris par la façon dont la chaîne de télévision satellitaire d’information en continu qatarienne Al Jazeera (qui revendique 25,23 millions de spectateurs dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord), couvre les événements en lui conférant une ampleur injustifiée aux yeux des observateurs sur place. Il est question d’insurgés, de révolution, d’opposition organisée. S’agissait-il vraiment d’une révolution ? On peut en douter, selon Jean-François Lhuillier. L’emballement des médias à la suite d’Al-Jazeera vaut-il emballement de l’histoire ?
Certes, la Cyrénaïque est réputée pour ses positions hostiles au pouvoir central de Tripoli, l’Est du territoire s’opposant à sa partie Ouest et à l’homme de l’Ouest qu’incarne Khadafi au pouvoir depuis 42 ans. Elle réclame une meilleure répartition entre l’Est et l’Ouest de l’argent du pétrole exploité au centre du pays. Mais les observateurs sur place n’ont pas vu de signes avant-coureurs d’une contestation ni ses prémisses révolutionnaires. Plus stupéfiante encore, la décision des autorités françaises, contre toute attente, d’évacuer dans la précipitation leurs ressortissants et de fermer la représentation diplomatique. C’est un événement rarissime ! En son sein, le poste de recherche extérieure de la DGSE cesse aussi ses activités et reçoit l’ordre de détruire ses matériels et archives, avant que les clés de l’ambassade ne soient remises aux Russes !
Les frappes de l’aviation française qui eurent lieu en mars 2011, ont apparemment été décidées et planifiées en haut lieu, dans le plus grand secret ? A quel moment exactement ? Pour quelles raisons cette précipitation inédite dans un contexte de printemps arabes ? Était-ce vraiment comme on l’a dit pour protéger la population ou plutôt l’occasion de se débarrasser d’un trublion de l’ordre international, rôle qu’endossa le Colonel libyen après la mort de l’égyptien Nasser, et qui passa au fil des ans du financement du terrorisme international dans les années 1970 au financement de la campagne électorale de l’ancien président Sarkozy en 2007 (cf. le réquisitoire du Parquet national financier dans l’affaire Sarkozy-Khadafi, signé le 10 mai 2023, demandant que Nicolas Sarkozy soit jugé pour « recel de détournement de fonds publics », « corruption passive », « financement illégal de campagne électorale » et « association de malfaiteurs » dans le dossier libyen ?
L’intervention militaire est lancée en toute hâte, sans avertissement préalable et sans avoir utilisé les canaux directs entretenus avec l’entourage de Sarkozy. Quelles en furent ses conséquences ? Jusqu’à aujourd’hui. Pourquoi ensuite le chef de poste est-il renvoyé sur le terrain, après les frappes françaises, pour prendre contact avec les forces de l’insurrection et jauger leurs capacités organisationnelles et aptitude à renverser Khadafi ? Ne savait-on donc rien à leur sujet jusque-là, avant les manifestations et avant les frappes ? Quand ces forces insurrectionnelles sont-elles apparues ? Pourquoi plus tard l’état-major et l’entourage du président Sarkozy s’impliquent-ils pour exfiltrer la famille de Bachir Saleh, le grand argentier du régime ?
Jean-François Lhuillier nous livre, chronologie à l’appui, un témoignage inédit sur les circonstances de la chute du Colonel Kadhafi et ses conséquences.
À l’oreille
- The Clash – Clampdown
- Supergrass – alright
- Niagara – J’ai vu
Pour aller plus loin
Jean-François Lhuillier, L’homme de Tripoli. Mémoires d’agent secret, Mareuil éditions
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