[Il n'y a pas de stations de radio dans la base de données]

#31 – Emmanuelle Aboaf et Florence Chabanois – regards croisés

proposée par Élise, Fred, Julie et Mehdi

Diffusée le 14 mai 2025


#31 – Emmanuelle Aboaf et Florence Chabanois – regards croisés
Chemins de traverse

 
Play/Pause Episode
00:00 / 1:29:43
Rewind 30 Seconds
1X
31e émission Chemins de traverse diffusée en direct mercredi 14 mai 2025 à 22 h

Exceptionnellement, nous avon reçu deux invitées qui sont déjà intervenues dans l’émission : Emmanuelle Aboaf et Florence Chabanois.Des profils proches (femmes, dans la tech), confrontées à la discrimination (validisme, racisme, sexisme), actives dans des organisations communes, inquiètes par ce qui se passe en politique (USA, France notamment), elles se connaissent. Nous leur avons proposé de faire un échange, retour croisé sur leurs parcours, leur vécu.

L’émission a été transcrite en temps-réel sur cette page par Céline Ripolles. Précisons que ce n’est pas une transcription mot à mot, c’est une transcription faite pour que les personnes puissent voir apparaître l’essentiel du discours prononcé. Une transcription complète est disponible plus bas dans cette page.

Nos invitées :

  • Emmanuelle Aboaf. Emmanuelle est développeuse web, très attachée à l’accessibilité numérique, et sourde de naissance
  • Florence Chabanois. Florence est dans le secteur de la technologie depuis plus de 20 ans. Elle est membre des Duchess France, une association destinée à valoriser et promouvoir les développeuses et les femmes avec des profils techniques, leur donner plus de visibilité, mais aussi à faire connaître ces métiers techniques et créer de nouvelles vocations. Elle a aussi cofondé La Place des Grenouilles qui propose un espace safe et inclusif pour exister, échanger, (dé/re)construire sans limitations ou injonctions de genre.

Questionnaire pour mieux vous connaître

Aidez-nous à mieux vous connaître et améliorer l’émission en répondant à notre questionnaire (en 3 minutes max). Vos réponses à ce questionnaire sont très précieuses pour nous. De votre côté, ce questionnaire est une occasion de nous faire des retours.

Sommaire

Liens

À l’oreille

  • Run the world par Beyoncé
  • You don’t own me par Jessica Dobson
  • Schmaltz par Jahzzar (générique)

En plateau

  • Invitées : Emmnanuelle Aboaf et Florence Chabanois
  • Pour la transcription en temps-réel : Céline Ripolles
  • Préparation et animation : Fred
  • Réalisation : Julie

Transcription

Voix du générique (Laure-Élise Déniel) : Cause Commune, Chemins de traverse, d’autres voies pour imaginer demain.

Fred : Bonsoir à toutes, bonsoir à tous pour ce 31e épisode de Chemins de traverse, d’autres voies pour imaginer demain.

Dans Chemins de traverse, Julie, Élise, Mehdi et moi-même Fred, nous espérons vous proposer de belles rencontres et mettre en avant des parcours personnels et professionnels, des passions, et des engagements.

Exceptionnellement, ce soir nous aurons deux invitées qui sont déjà intervenus dans l’émission, Emmanuelle Aboaf et Florence Chabanois.

Alors je les laisserai se représenter tout à l’heure.

Je vais préciser que vous allez entendre la voix d’Emmanuelle et Emmanuelle Aboaf est développeuse web, sourde de naissance, conférencière.

Et donc ce soir, pour permettre à toutes les personnes de profiter, l’émission va être transcrite en temps réel par Céline Ripolles, traductrice et sous-titreuse spécialisée dans l’accessibilité.

Donc si vous connaissez des personnes que cela pourrait intéresser, contactez-les dès maintenant.

Les infos utiles et notamment le lien vers la transcription en direct sont sur le site causecommune.fm dans le bloc « À la une cette semaine ».

Merci de nous accueillir une fois de plus dans votre salon, votre cuisine, voire votre chambre, vautré votre canapé ou encore peut-être pendant votre séance de sport.

Bonsoir Emmanuelle.

Emmanuelle : Bonsoir.

Bonsoir Florence.

Florence : Bonsoir Fred, bonsoir Emmanuelle.

Fred : Le micro est allumé de Florence ?

Ah d’accord ok. Alors c’est moi qui…

Donc avant que la discussion ne commence, je vous rappelle que nous sommes en direct ce mercredi 14 mai 2025 sur radio Cause Commune, la voix des possibles.

Donc sur 93.1 FM et en DAB+ en Ile-de-France, partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

N’hésitez pas à participer à intervenir en direct.

Julie réalise l’émission de ce soir.

Bonsoir Julie.

Julie : Bonsoir.

Fred : Donc elle attend vos appels.

Pour cela le téléphone est branché.

Vous pouvez nous appeler au 09 72 51 55 46. Je répète 09 72 51 55 46.

Ou alors vous pouvez réagir sur le salon web de la radio. Rendez-vous sur le site causecommune.fm, bouton chat, salon Chemins de traverse.

Alors comme je le disais, vous êtes déjà intervenues dans l’émission. C’était les émissions je crois 22 et 23. Vous avez enchaîné sur les semaines.

Et après l’émission, Florence m’a envoyé un petit SMS en me disant « t’avais raison, j’ai pas pu parler de tout ce que je voulais parler ». Je pense qu’Emmanuelle avait à peu près, comme toutes les personnes invitées dans l’émission, le même sentiment.

Il se trouve que vous avez des profils proches, je vais vous demander d’ailleurs de vous présenter, que vous connaissez.

Donc on s’est dit « et si on faisait une deuxième émission », alors pas pour refaire tout votre parcours évidemment, mais pour parler d’un peu de sujets que vous avez en commun.

Beaucoup de questions de militantisme ce soir, il faut quand même le dire.

Alors pour les personnes qui n’ont pas encore écouté ou qui ne se souviendraient pas des émissions 22 et 23 de Chemins de traverse, je vais vous demander simplement, exercice un petit peu difficile, en quelques minutes, deux, trois minutes, de résumer un petit peu votre parcours.

Alors comme Florence vient d’arriver en fait, je vais laisser quand même Emmanuelle commencer.

Donc Emmanuelle Aboaf.

Emmanuelle : Merci Frédéric, je suis contente d’être là de nouveau pour continuer notre conversation par rapport à la dernière fois.

Donc pour résumer mon parcours, je suis développeuse depuis maintenant 13 ans et je suis sourde de naissance.

Je remercie Céline d’être là pour transcrire nos échanges, qui me permet de suivre ce que vous dites.

Et ça fait quelques années maintenant que je milite pour une meilleure inclusion dans la tech.

Et aussi je milite pour l’accessibilité, notamment numérique, parce que c’est un sujet qui me tient à cœur.

Fred : D’accord, et tu fais quoi comme métier, comme activité ?

Emmanuelle : comme activité personnelle ou professionnelle ?

Fred : professionnelle :

Emmanuelle : Je suis développeuse et je développe des sites internet pour des clients. Je vais là où mon entreprise m’envoie.

Et à côté de ça, je suis aussi conférencière sur des sujets de l’inclusion, le handicap et l’accessibilité numérique.

Fred : Florence, à ton tour, une petite présentation de ton parcours rapide.

Pourquoi tu rigoles ?

Florence : Je reprends mon souffle.

Fred : Oui, reprends ton souffle, il faut dire que Florence est arrivée vraiment au dernier moment, mais voilà, donc reprends ton souffle et vas-y.

Florence : Encore désolée pour ça.

Du coup, moi c’est Florence.

J’ai fait 10 ans de développement logiciel, 10 ans de management d’équipe informatique. Donc là actuellement, mon titre, c’est responsable ingénierie.

Et quoi dire d’autre ?

À côté de ça, oui, j’ai aussi cofondé l’association La Place des Grenouilles, qui a été créée il y a 4 ans maintenant.

Fred : Et qui fait quoi cette association ? Même si on va en reparler tout à l’heure.

Florence : Une association anti-sexiste. Du coup, l’idée, c’est de fournir des ressources pour les personnes qui veulent s’éduquer sur ce sujet, sur le sexisme, pour justement évoluer ensemble et pouvoir être qui on a envie d’être réellement, en tant qu’homme ou femme, même si on a une plus grande spécialité côté femmes.

Voilà, je pense que c’est pas mal.

Fred : De toute façon on aura l’occasion de revenir un peu sur vos parcours aussi à certains moments.

Donc j’ai dit tout à l’heure qu’on allait parler beaucoup de militantisme.

On parle beaucoup de militantisme dans Chemins de traverse. On reçoit beaucoup de gens qui ont des engagements et qui sont des personnes militantes.

En préparant l’émission, je vous ai demandé de quels sujet vous souhaiteriez parler. Et donc vous avez fourni un certain nombre de sujets qui sont quand même très militants, je le dis.

Et donc ma première, deuxième question serait, est-ce que vous considérez toutes les deux comme militantes et quel type de militante ?

Qui veut commencer ?

Alors Florence, voilà [rires]

Je précise qu’Emmanuelle a fait le geste « Florence commence »

Florence : Moi c’est amusant parce que justement en t’écoutant, Emmanuelle, quand je t’entends dire « je milite depuis tant d’années et tout ça », moi je me dis « ah non mais moi mais pas du tout ».

Donc on en avait déjà parlé lors de l’émission précédente.

Mais en même temps, c’est vrai que je me reconnais quand même des fois sur cette étiquette.

Mais c’est vrai que je ne le vois pas comme à plein temps ou quelque chose de… Bon, on ne va pas refaire la même conversation. Mais du coup, j’ai du mal quand même à assumer cette étiquette-là.

Mais c’est vrai qu’on m’a déjà fait le retour que dans les conversations je vais dévier ou alors je vais prendre position.

Mais c’est parce que pour moi, c’est important et qu’on ne peut pas ne pas le faire.

Voilà, c’est plus ça.

Merci Frédéric de me dire de me tourner pour qu’on voie mes lèvres et qu’on puisse…

Emmanuelle : C’est vrai, je lis sur les lèvres en même temps que je lis les sous-titres.

Fred : Voilà, donc je précisais effectivement à Florence de plutôt regarder Emmanuelle que de me regarder moi, pour que tu puisses entendre, enfin lire sur les lèvres de façon beaucoup plus facile.

Donc de ton côté Emmanuelle, est-ce que tu te définis comme une militante et si oui, de quel type de militante ?

Emmanuelle : C’est une question pas simple à répondre parce comme dit Florence c’est un mot très varié, très large, le militantisme.

Et c’est vrai que moi, j’ai toujours été dans des associations pour militer sur des sujets d’adhésion, d’accessibilité. Depuis ado, je voulais toujours oeuvrer pour avoir ce que j’avais besoin, en termes d’accessibilité.

Et je ne l’avais jamais vu sous l’angle du militantisme parce que pour moi, c’était naturel de devoir réclamer les besoins d’accessibilité.

Jusqu’à ce qu’on me dise « mais tu es militante », tu oeuvres pour, tu dis des choses intéressantes qui nous amènent à faire réfléchir.

Parce qu’pour moi j’avais cette vision de militantisme : on est en train tout le temps de manifester et on crie pour se faire entendre.

Et en fait, c’est là où je me suis rendu compte qu’il y a plusieurs types de militantisme.

Et moi, je suis plutôt dans la bienveillance, dans la pédagogie. J’aime bien expliquer aux gens de façon pédagogique et avec bienveillance, expliquer le pourquoi du comment.

Fred : D’accord.

Et est-ce que votre image extérieure…

Alors je vais préciser pourquoi je pose la question.

Parce que lors de la première émission avec Florence, avant que je connaisse Florence, je la connaissais par ses billets de blog, certains nombre d’intervention, j’avais une image de guerrière, je te l’avais dit.

Et en fait, tu m’avais expliqué « pas du tout ».

Et je garde pour beaucoup de militantes, notamment féminines, une image de personne qui doit être en mode guerrière pour pouvoir s’imposer, etc.

Et en fait, j’ai l’impression que toutes les deux, vous ne vous mettez pas dans cette catégorie.

Vous vous mettez plutôt dans une catégorie plus tranquille, je ne sais pas, mais en tout cas, pas en mode guerrière.

Florence : Déjà, pour justement rebondir par rapport à ce que tu disais, Emmanuelle, par rapport au militantisme, pour moi, le fait d’interpeller des gens et de dire « ah, est-ce que vous avez fait ça ? Pensez à ? ». Ça, c’est quelque chose où je vais toujours réfléchir avant de le faire. Et toi, je trouve que tu le fais très facilement.

Et à chaque fois que tu le fais, je trouve ça canon, en réalité.

Et du coup, par rapport à ce que tu dis d’aider les personnes à évoluer ou à être plus outillées, qu’on soit convaincu, qu’on ait envie ou pas d’aller sur ce chemin-là, je trouve que ça remplit complètement son rôle.

Alors moi, je vais hésiter un peu plus.

Je vais râler, mais je ne vais pas trop viser les gens.

Ou alors c’est toujours la même personne que je vise parce vraiment elle m’énerve.

Et du coup, par rapport à ta question de guerrière assumée, moi, je trouve ça super dur parce qu’en tant que femme, on est quand même éduquée pour être validé par les autres.

Et tout le monde a envie d’être apprécié.

Personne n’a envie de sortir et de recevoir des pierres, regarder par-derrière son épaule.

Moi, chaque fois que je me fais hacker ou pirater, je me dis « est-ce que c’est exprès ? Est-ce que c’est parce que j’ai dit quelque chose qui a des plus sur LinkedIn ? ».

Et pourtant, je trouve que ça va. Moi, je me trouve plutôt modérée.

Mais c’est vrai que même quand on est modéré, il y a toujours des gens qui le prennent très, très mal, et personnellement. À ces personnes, j’ai envie de dire « posez-vous des questions ».

Mais du coup, on ne contrôle pas, en fait, la façon dont c’est perçu.

Et du coup, moi, je trouvais effectivement intéressant que tu dises que tu nous percevais comme des guerrières, dans le sens où on prend plaisir.

C’est vrai que moi, je le comprends comme ça, en fait.

Fred : Non, ce n’est pas dans le sens où vous prenez plaisir.

C’est dans le sens où « c’est tellement difficile que vous devez être des guerrières »

Florence : Alors dans ce cas, oui.

Fred : C’est dans ce sens-là.

Ce n’est pas dans le sens où ça vous fait plaisir.

C’est vraiment, je me dis, ça doit être tellement difficile pour ces personnes dans ce monde où elles doivent lutter, combattre plein de gens. Et donc, il faut être quelque part. J’ai l’impression qu’elles doivent être en mode guerrière.

Et finalement, en discutant avec toi lors de la précédente émission et en voyant un peu ce que fait aussi Emmanuelle, j’ai l’impression que ce n’est pas forcément le cas pour vous deux.

Emmanuelle : Il faut dire que depuis toujours, j’ai été confrontée à des situations de discrimination due à ma surdité et à mon handicap.

Et c’est là où j’ai toujours cette démarche de lutter pour avoir ce que j’ai.

Mais dans le sens de guerrière, j’ai du mal à me rendre compte que je suis une guerrière, mais tu as raison. Le fait de devoir lutter pour obtenir ce qu’on a besoin, en fait, c’est une espèce de guerre.

Parce que la loi du 11 février 2005, c’est la loi du handicap qui a 20 ans. Et on milite aujourd’hui, 20 ans après, pour obtenir ce qu’on a.

Et malgré les promesses, on nous dit « oui, ça va arriver » on promet ceci ou promets cela. 20 ans plus tard, c’est toujours pareil.

Jusqu’à même devoir créer un collectif qui s’est annoncé aujourd’hui, Ensemble & Co, qui disait voilà « on a créé un collectif de personnes handicapées pour pouvoir lutter. On en a besoin, parce qu’on a beau parlementer, parlementer, et les actions, elles sont où ? »

Fred : C’est un collectif en France ?

Emmanuelle : Un collectif, oui, qui a tout juste deux semaines, qui vient d’être créé. Et aujourd’hui, c’était l’Inclusiv’Day. Une grosse journée sur l’inclusion des personnes handicapées, qui s’est passée à La Défense Arena.

Et à un moment, sur la main stage, il y avait un collectif qui s’est annoncé : « Voilà, on a fait une vidéo pour annoncer nos actions concrètes, pour se faire entendre. Parce que oui, on en a marre des promesses qui ne sont pas tenues depuis 20 ans ». Donc on en est là à devoir combattre, à devoir militer pour avoir ce dont on a besoin en termes d’accessibilité.

Fred : Ce qu’explique Emmanuelle aussi par rapport à sa surdité de naissance, c’est que depuis la naissance, tu dois te battre pour simplement vivre et accéder, par exemple, à l’éducation. Dans la précédente émission, tu as aussi expliqué que tu as dû, dans tes entreprises, demander des aides pour permettre de suivre des réunions.

Est-ce que toi, tu as eu le même cas, notamment par rapport à tes origines ?

Parce qu’on en a parlé un petit peu dans la première réunion.

Tu disais « je ne suis pas bien blanche » si je me souviens bien de l’expression que tu avais employée.

Florence : « Je ne suis pas bien blanche ? »

Fred : Ouais, non, je ne sais plus quelle expression tu avais employée.

Florence : Alors là, ça ne me revient pas, mais je ne peux pas comparer. Et je n’ai pas envie de comparer du tout et de mettre des hiérarchies, parce que vraiment ce n’est pas ce que je peux faire.

Je pense qu’aujourd’hui, le racisme il est un peu différent.

Alors que là, sur les droits de base, quand on a un handicap physique, mental aussi d’ailleurs, je pense que c’est encore plus dur d’y accéder.

Nous, ça va être plus insidieux, je pense.

Et quand je dis nous, je parle de la diaspora asiatique, parce que si c’était une autre race sociale, ce serait encore différent.

En tout cas, par rapport au sujet de guerrière, c’est vrai qu’on est obligée d’être énervée quand même.

Fred : C’est souvent un reproche, enfin c’est souvent le terme qu’on entend pour les gens qui s’opposent, qui ne comprennent pas, c’est « pourquoi ils sont aussi énervés ». Et des fois, le terme est encore plus violent qu’énervé.

Emmanuelle : C’est vrai. Au début, j’étais comme ça. J’étais tout le temps en train de râler et m’énerver.

Et je me suis rendu compte que ça ne marchait pas de s’énerver, de râler, parce que les gens ne sont pas forcément réceptifs à notre colère.

Du coup, c’est pour ça que j’ai privilégié dans la construction, dans la pédagogie, pour expliquer avec bienveillance pourquoi on est en colère, plutôt que de râler et crier sur les gens.

Florence : Tu tentes de ne pas le montrer. Effectivement, de toutes façons, personne n’a envie de bouger quand on se fait crier dessus.

Mais c’est vrai que moi, je suis vraiment dans la pédagogie par défaut.

Et il y a eu quelques fois quand même où pour moi ça me paraissait important de vraiment taper du poing parce que selon les profils, sinon, on va nous calmer, tu vois, entre guillemets. Et en fait, on ne nous écoute pas.

Et sur les sujets du racisme, il y a vraiment cette histoire de quand on soulève des discriminations, des retours comme quoi « non, mais nous aussi, on souffre ».

Moi, une fois, il y a quelqu’un qui m’a dit « oui, mais moi, je suis breton et je souffre aussi de discrimination ».

On se moque de moi sur les crêpes, par exemple.

« Et je ne sais pas quoi te dire, en fait, quand tu dis ça ».

Je suis en mode « je ne sais pas, ça va être trop long de partir de zéro ».

Donc « oui, on se moque de toi, mais ça n’a rien à voir ».

« Et puis, je n’ai pas envie de faire un concours là non plus ».

« Si tu ne comprends pas que nous, on a plus de mal à se représenter, qu’on a des moqueries que tu n’as jamais et qu’on les a plusieurs fois régulièrement, à des moments où on ne s’y attend pas au travail, en famille ou des choses comme ça. Que te dire, quoi ? »

Fred : Alors, je vais préciser parce que « vive les transcriptions ». J’ai retrouvé la phrase.

Florence : Ah, merci.

À un moment dans ton émission, tu disais, tu t’es rendu compte « Mais en fait, je ne suis pas blanche ».

Florence : Ah oui, complètement.

Fred : C’est ce que tu disais, j’avais un peu transformé la phrase. Mais en fait, voilà. Parce que effectivement, tu es d’origine asiatique. Donc, moi, je ne fais pas de hiérarchie entre les sujets. Mais toutes les deux, sur des sujets différents, vous avez dû quand même vous battre dès le départ.

Florence : En fait, ce qu’il y a

Fred : Même si pour toi, c’est plus insidieux, comme tu dis.

Fred : Oui, en fait, moi, j’ai mis tellement de temps. Tu vois, Emmanuelle, elle ne peut pas ne pas avoir vu qu’elle était écartée depuis le début. Enfin, depuis sa naissance.

Alors que moi, j’avais tellement envie de m’intégrer, et qu’il y a un discours d’égalité entre les races sociales qu’effectivement j’ai cru que j’étais blanche et que j’étais pareille et traitée de la même façon.

Et je te l’avais dit à l’époque, mais ça ne fait que, allez 4 ans, que je me rends compte que « là, probablement, si on m’a mal parlée ou si on m’a ignorée, c’est probablement parce que je suis asiatique et pas les autres ».

Et pourtant, dans des milieux très féministes ou très de gauche ou peu importe, c’est vraiment trop ancré pour qu’on s’en rende compte.

Je vais te donner un exemple, il y a par exemple le foot.

Du coup, j’ai du mal à comparer parce qu’en fait, on a chacun notre propre vécu.

On ne sait pas les vécus des autres.

Et du coup, moi, ce que je vis, je crois que c’est normal.

En fait, les autres vivent quelque chose de très différent.

Du coup, à la fin, on se check avec la main quand on a fini un match.

Et en fait, personne ne me regarde en général.

Donc, on me fait un check et on s’en va.

Fred : Tu parles de qui ?

De tes adversaires ?

Florence : Tout le monde.

On se check, on se salue, on se dit c’est cool.

Et vraiment, personne ne me regarde.

Du coup, je n’ai jamais trop compris pourquoi on faisait ça, parce que « pourquoi on se check si on s’en fout ? ».

Et une fois, j’avais une joueuse, une coéquipière qui était très, très en colère parce qu’elle disait que telle personne ne l’avait pas checkée en la regardant.

Et quand elle a dit ça, je me suis dit « attends, toi, on te regarde ? ».

Donc, elle est blonde aux yeux bleus.

Et elle a dit « ben oui, mais c’est quoi ça de ne pas regarder les gens ? »

Alors qu’elle ne me regarde pas non plus, en fait.

Et c’est là où j’ai découvert d’autres réalités.

Donc, ça, c’est du racisme qui est un peu insidieux, mais qui fait que nous, on met la barre très, très bas, en fait, en termes d’attente, d’attention, de capacité à se faire entendre ou à être vue, en réalité.

Emmanuelle : Je pense que dès qu’il y a une différence, on subit malgré nous la discrimination, le racisme, le validisme, l’antisémitisme, quand ce n’est pas conforme à la société.

Les gens vont te traiter quoi qu’il arrive différemment, selon les préjugés, les idées préconçues qu’ils ont par rapport à une différence.

Et ça, c’est ce qu’on constate souvent chez les gens, quand ils ne sont pas éduqués, sensibilisés aux questions du racisme, du sexisme, du validisme.

Et c’est vrai, c’est quelque chose… On manque en France de sensibiliser les personnes sur ces questions-là pour qu’ils soient plus… On manque, je pense, d’empathie envers les gens.

Florence : Aussi, il faut les entendre, en fait.

Et quand on n’arrive pas à les entendre ni à les voir, on ne se rend même pas compte, en fait, que c’est des expériences différentes et des écarts.

Parce que, du coup, je pense qu’on met la barre… on fait on se contente de moins, en fait.

On s’habitue à ça.

Et quand on découvre l’écart, que ce soit sur les salaires aussi, le nombre de fois où j’étais surprise de l’écart de salaire, je n’ai aucune idée de si c’est parce que je suis une femme ou asiatique ou les deux. Mais il y a plein de statistiques qui montrent que c’est le cas.

Et sur le handicap, c’est pareil.

Emmanuelle : Oui, c’est pareil.

Moi, je ne sais jamais si je suis payée moins parce que je suis une femme ou si je suis handicapée, voire même les deux.

J’ai de la chance aujourd’hui. Ma situation s’est largement améliorée depuis.

Mais c’est vrai que quand débute dans ce métier on se pose un tas de questions et on n’a pas été formés pour. On ne nous a pas appris comment négocier nos salaires.

On ne nous a pas appris à savoir comment ça fonctionne dans le monde de l’entreprise.

Florence : Et on croit qu’il y a une justice alors qu’il n’y en a pas, pour le coup.

Et moi, c’était l’inverse parce qu’au début, j’étais très bien.

Et ensuite, j’ai baissé ma garde.

Comme quoi, il faut toujours faire attention.

J’avais vu dans une étude où c’était dans les postes les plus élevés, où il y a le plus d’écart de salaire, pour le coup.

Fred : Dans la liste des sujets que vous avez évoqués, on va commencer par le premier.

Je ne suis pas sûr d’avoir compris ce que tu as suggéré.

Pour le coup, c’est Florence.

« Est-ce plus facile pour vous d’être féministe ou anti-validiste, anti-sexiste ? »

C’est quoi le plus facile que j’ai mal à comprendre dans ce sujet

Florence : Qu’est-ce que tu comprends de ma question, Emmanuelle ? Ou ça ne te parle pas du tout.

Emmanuelle : Moi, je comprends ce que tu voulais dire.

Parce qu’on a plusieurs identités.

Est-ce qu’il est plus facile d’être une militante à fond sur les sujets du sexisme ou sur les sujets du handicap, ou voire les deux ?

Et c’est vrai, pendant longtemps, j’ai milité par rapport à mon handicap avant de militer pour le féminisme.

Parce qu’on m’a toujours considérée comme une personne handicapée avant d’être une femme.

Et c’est vrai que, pendant longtemps, j’avais un peu mis de côté mon identité de femme.

Parce qu’à tel point où je me battais pour avoir droit à ce que j’avais besoin en termes d’accessibilité, parce que ma surdité, c’est mon identité, ça fait partie de moi.

Et quand j’ai commencé mon métier en tant que développeuse dans la tech, c’est là où je me suis rendu compte.

Pour moi, je suis la seule femme de l’équipe, en plus d’être la seule sourde de l’équipe.

Et ça, j’ai vu ça toujours dans mes années de carrière.

Et depuis deux ans, je suis chez Shodo, là on est plus de femmes. Et ça fait plaisir.

Et avant ça, j’étais tout le temps la seule femme et la seule personne sourde de l’équipe.

Et tu m’as fait questionner « mais pourquoi il y a si peu de femmes dans la tech ? »

Et jusqu’au jour où j’avais rencontré Florence lors des réunions Duchess France, en adhérant à Duchess France, et là on a commencé à aborder ces questions-là.

Et tu as fait de moi une féministe.

Et donc maintenant, je milite à la fois pour les femmes dans la tech, mais aussi les personnes handicapées dans la tech.

Fred : D’accord.

Précisons que les Duchesse France, donc c’est Duchess sans « e » c’est le logo d’un langage de programmation, donc c’est un collectif de développeuses qui fête, je crois aujourd’hui, ses 15 ans, non ?

Florence : Oui, c’était l’anniversaire.

Si vous n’êtes pas là, j’espère que vous êtes à l’anniversaire à Paris.

Fred : Donc ça fête ses 15 ans, et c’est une structure qui regroupe des développeuses, qui fait du mentoring, des rencontres, etc.

Florence : C’est plus large maintenant.

À la base, les Duchess, c’était le logo de Duke, du langage Java.

Et maintenant, ça s’est beaucoup plus élargi, c’est la tech en général, pour le coup.

Fred : D’accord.

Florence : C’est une communauté de femmes de la tech.

Fred : Qui s’entraident, qui font du monitoring, qui organisent des événements.

Florence : Oui, complètement.

Il y a une espace d’échange, tu veux en parler peut-être ?

Emmanuelle : En fait, ce qui est bien avec Duchess France, c’est la possibilité de s’exprimer entre nous sur les problématiques que l’on rencontre dans notre milieu de travail.

Fred : C’est en non-mixité donc, c’est ça ?

Emmanuelle : Oui, c’est en non-mixité.

Avant que j’arrive, c’était ouvert en mixité.

Mais il y a eu des problèmes dont tu peux en parler Florence.

Et l’association a décidé d’être en non-mixité.

Et c’est important d’avoir des espaces d’échange totalement safe pour pouvoir discuter entre nous sur les problématiques entre des situations de sexisme, de discrimination, voire même de harcèlement. Et comment réagir face à ces situations.

Fred : Si je me souviens bien, dans ton entreprise chez Shodo, il y a aussi la même chose, non ?

Vous avez un groupe en non-mixité, si je me souviens bien.

Emmanuelle : Oui, on a la Shororité

Fred : D’accord, ok.

Je ne sais pas si dans tes entreprises où tu as participé, Florence, il y avait ça, mais je ne crois pas.

Comment l’ont vécu les collègues masculins ?

Est-ce qu’ils l’ont bien pris ?

Est-ce qu’ils ont compris l’intérêt de ces regroupements, de ces réunions en non-mixité ?

Emmanuelle : Tout à fait, ils ont compris l’importance.

Ils ont compris pourquoi les femmes avaient besoin de se retrouver.

Parce qu’en fait, la tech est majoritairement composée par des hommes.

Et du coup, il y a même ce besoin de se retrouver entre femmes pour discuter des problématiques, échanger, voir comment on peut désamorcer certaines situations.

Et la question au sein de chez Shodo ne se pose même plus parce qu’on trouve ça naturel.

C’est vrai, au début, il y a eu des questionnements.

En tout cas, je n’étais pas là lors de la création de la Shororité.

Et aujourd’hui, c’est tout à fait une chose, tout à fait normale.

Et Shodo est vraiment même réputée pour prendre des mesures inclusives, ce qui fait que ça attire énormément de femmes.

On a même doublé les candidatures spontanées chez les femmes.

À tel point qu’on montre que c’est une entreprise safe, qu’on accueille aime bien les femmes de la tech.

Et ça, c’est quelque chose que je voudrais bien avoir généralisé dans d’autres entreprises.

Parce que le problème qu’on a dans la tech, c’est qu’on a même un milieu très masculin, et on ne fait rien pour retenir les femmes de la tech.

Il y a un chiffre, 35% des femmes quittent la tech après 35 ans.

Fred : Ce qui est impressionnant oui.

Et toi, dans les entreprises que tu as pu fréquenter, est-ce qu’il y avait ce genre de choses aussi ?

En non-mixité ou au moins des réflexions ?

Florence : Une fois. Vous avez un espace physique côté Shodo. Ce n’est pas juste un espace d’échange virtuel.

Emmanuelle : Oui.

Florence : Nous, on avait un espace dans Slack.

Fred : Rappelle ce qu’est Slack.

Florence : C’est un chat.

Fred : C’est un chat amélioré, professionnel.

Florence : Et on l’a fait sur Tech.Rocks aussi.

Fred : C’est quoi Tech.Rocks ?

Florence : Tech.Rocks, c’est une communauté de tech leaders et leadeuses.

Et moi, je l’avais vécu au vélo en fait à la base. Pour le coup c’est le féminisme qui m’a aidé.

Fred : Le vélo : la bicyclette ?

Florence : Oui, pour la réparation de vélo.

En gros, j’avais essayé d’apprendre à réparer des vélos dans des espaces mixtes.

Et ça ne marche pas.

Ça ne marche pas parce qu’ils font tout à ta place en fait.

Et puis, ils sont pressés.

Et puis, tu n’as même pas accès à l’outil.

Il y en a pas mal à Paris d’ailleurs, des ateliers en mixité et en non mixité sur certains créneaux.

Du coup c’est là où j’avais fait la découverte de ça en me disant « waouh, mais c’est le jour et la nuit ».

Une fois qu’on goûte à ça, c’est vrai qu’on se dit « mais c’est juste incroyable ».

Après, c’est bien des fois de se mélanger aussi de temps en temps pour avoir des expériences différentes.

Mais c’est vrai qu’en fonction de ton état et de ta situation, tu as envie d’avoir que ça parfois.

Et sur Duchess, j’avais quand même pas mal insisté pour qu’on puisse y arriver.

Et ce n’était pas évident parce que souvent, c’est vu comme quelque chose de méchant quoi, de se dire « ah, on exclut les gars ».

Et en fait, c’était drôle, enfin ce n’est pas drôle, parce qu’il y a eu plusieurs fois des réunions avant qu’on arrive à prendre la décision. Donc, en fait, c’était des votes. On dit « bon, ben non, on n’y va pas parce qu’il n’y a pas assez de personnes qui sont pour ».

Et la deuxième fois, ça a fini par passer parce que « plus il y a de problèmes, à un moment, on craque ».

Et à un moment, on s’est dit « mais on l’annonce ou pas parce qu’on va se prendre plein de « ouin ouin » ».

Après, il y a des gens qui sont plus transparents que d’autres.

Et donc, on l’a fait quand même.

Donc, on a annoncé sur Twitter à l’époque en disant « bon, ben voilà, on passe en non-mixité ».

Je ne sais plus si Angélique avait écrit l’article à l’époque, le « pourquoi on le fait ». Non, je crois qu’elle n’avait pas encore fait.

Juste « on passe en non-mixité parce que » en quelques lignes.

Et là, genre on ferme les yeux en mode « on ne regarde plus les notifs parce que ça va encore râler ».

Même moi, j’étais étonnée pour le coup parce que c’était plutôt des « merci pour ce que vous avez fait », « salut, très bien », « vous avez raison de vous ressourcer de gars ». Et les femmes ne s’exprimaient pas trop parce qu’elles ont moins accès à ça apparemment.

Mais en fait, ça s’est très bien passé pour le coup.

Et on a juste créé un nouvel espace où on n’a pas ajouté d’hommes.

Et nickel.

Comme quoi, ça ne valait pas le coup de tergiverser aussi longtemps en fait.

Fred : Ok, on va faire une petite pause musicale.

Comme d’hab’, c’est les invitées qui choisissent les pauses musicales.

On commence par laquelle ?

Emmanuelle : Puisqu’on parle de féminisme, Beyoncé.

Fred : Alors Beyoncé. Est-ce que tu peux nous expliquer le choix de cette chanson ?

C’est ton choix, Emmanuelle.

Emmanuelle : Oui, j’ai choisi « Run the World ». C’est une chanson très féministe, qui parle du fait que les femmes peuvent avoir le pouvoir, peuvent être leadeuses, peuvent être décisionnaires.

C’est vraiment une chanson très féministe, militantisme.

Et j’adore cette chanson.

Fred : On va écouter « Run the World » par Beyoncé.

On se retrouve dans moins de 4 minutes.

Belle soirée, l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

[ Diffusion de la pause musicale ]

Voix du jingle (Laure-Élise Déniel) : Cause Commune, 93.1.

Fred : Excusez-nous, on était en pleine discussion. J’ai carrément loupé la fin de la chanson.

On a écouté « Run the World » par Beyoncé.

Vous êtes toujours sur l’émission Chemins de traverse, sur radio Cause Commune.

Je suis toujours avec Emmanuelle Aboaf et Florence Chabanois.

N’hésitez pas à participer à notre conversation.

Soit par téléphone au 09 72 51 55 46. Je répète, 09 72 51 55 46.

Ou sur le salon web dédié à l’émission sur le site causecommune.fm, bouton chat, salon Chemins de traverse.

Peut-être que vous avez entendu notre discussion off à l’instant.

Non, on n’a pas entendu Julie ? Ah ben c’est bon alors.

On va continuer la liste des sujets.

Comme on le disait en off, on est en mode discussion, si vous avez envie de parler de sujets qui ne sont pas prévus, vous le faites.

Vous êtes ici chez vous. Simplement, à 23h30, on ferme l’antenne. Quelques minutes avant quand même.

Le sujet suivant, c’était « la position sur la pureté militante entre les différentes causes. Y a-t-il une concurrence entre les causes et comment arbitrez-vous au quotidien ? ».

Peut-être commencer par expliquer ce terme de pureté militante.

Comme Florence, c’est toi qui a proposé ça.

Comment tu définis la pureté militante ?

Florence : Ah mince, je ne m’attendais pas [rires].

Alors du coup, je vais faire ma version.

Déjà c’est pas évident de prendre la parole, en tout cas pour moi quand je le fais.

Et quand je le fais, c’est que c’est trop important ou que je trouve que c’est dangereux de ne pas le faire.

Et qu’il y a des personnes qui sont lésées.

Mais je me fais un peu violence parce que dès qu’on s’exprime, on peut avoir des retours.

Du coup, ça prend du temps, c’est désagréable quand c’est négatif ce genre de choses.

Et du coup, dans la pureté militante, c’est le fait de se dire, si on fait quelque chose de bien, il faut que tout soit bien.

C’est le côté, tout doit être nickel, dans une cause donnée et aussi de façon intersectionnelle, pour le coup.

Et ça, c’est un tiraillement qui est permanent, je pense.

Je ne sais pas si toi tu ressens comme ça, Emmanuelle.

Mais par exemple, c’est facile de faire des impairs.

Typiquement, moi, avant, quand j’avais commencé avec le féminisme, il y avait des choses comme… On va pas mal mettre en avant le clitoris ou le vagin ou les ovaires en disant, « bah, elle me casse les ovaires » ou « il me casse les ovaires », plutôt que « casse les couilles », ou « ras le clito », des choses comme ça.

Donc ça, c’est par opposition au fait qu’on dessine des pénis partout.

Typiquement, dans les collèges de mes enfants, il y en a partout, sur les murs.

Et l’idée, c’est d’occuper l’espace public aussi de notre façon en se disant, bah, il y a d’autres choses que ça.

Bon, après, ça fait un peu œil pour œil, dent pour dent, je sais pas si c’est forcément quelque chose de montrable.

Mais après, on m’a fait le retour comme quoi, « bah, ça, c’était complètement transphobe » dans le sens où c’est très essentialiste par rapport au sexe, ce qui est vrai.

Et ça, c’est un exemple, mais en fait, il y en a dix mille.

C’est qu’à chaque fois qu’on ouvre une porte, on voit qu’on fait un impair sur autre chose.

Donc, même sur l’écriture inclusive, par exemple, quand je mets « bonjour à toutes et à tous », on me fait le retour « ah bah oui, mais et les personnes non-binaires ? »

OK, du coup, la personne me dit « il faut dire bonjour tout le monde ».

Je dis « bah non, parce que du coup, ça invisibilise les femmes ».

Et du coup, ça fait qu’entre nous, au final, entre militantes, on va réussir à, comment dire, à finalement un peu se faire violence nous-mêmes, entre nous, et perdre un peu de vue l’ennemi plus grand qui, lui, ne fait rien du tout, mais est tranquille pendant qu’on est en train de s’écharper un peu.

Ça, c’est vrai aussi entre les causes. Pour le coup, là, j’ai donné un exemple au sein du féminisme.

Fred : Est-ce que c’est un peu lié ou pas au militantisme en ligne ?

Est-ce que c’est plus présent dans le militantisme en ligne que dans le militantisme, on va dire, physique ?

C’est une question, je ne sais pas.

Florence : Je pense parce qu’on va passer moins de temps dessus, je pense, en physique, en vrai.

On ne va pas débattre pendant quatre heures.

Alors que faire un retour rapidement sur un message, ça va plus vite.

Je ne sais pas si toi, tu as un avis, Emmanuelle ?

Emmanuelle : Moi, j’estime que tout le monde peut prendre la parole. Il y a plusieurs formes de militantisme.

Et du coup, c’est important que chaque personne prenne la parole sur le sujet qu’ils veulent bien aborder.

Mais c’est vrai qu’en sein même du militantisme, il y a quand même des frictions, des gens qui ne sont pas d’accord avec la façon de militer les choses.

Et pour moi, il n’y a pas de vrai ou fausse militantisme.

Chacun milite à sa façon pour faire bouger les choses, pour faire évoluer les choses et aussi éduquer les personnes, sensibiliser les personnes sur tel ou tel sujet.

Et c’est ça qui, en fait, est important de réaliser.

En fait, il faut donner la parole à des personnes qui en ont besoin pour évoluer les choses au sein même de la société.

Florence : Et en même temps, c’est vrai que des fois je vois que je me radicalise sur certains sujets.

Donc, je n’ai pas de réponse vraiment sur la pureté militante, c’est une question que je me pose tout le temps.

Mais c’est vrai que des fois, je vais faire des compromis et des fois, non, au final.

Fred : Sur quels sujets tu te radicalises ?

Si ce n’est pas indiscret.

Florence : Si on parle, comme Emmanuelle est là, sur la partie accessibilité, ne serait-ce que de mettre des alternatives sur les images ou de proposer des transcripts.

Ça, je suis radicale, je ne sais pas, mais en tout cas, intransigeante sur les quelques sujets que je connais, on va dire. Parce que je sais que je ne connais pas du tout tout. Mais sur ça, je vais être un peu casse-pieds.

En même temps, je dis ça et des fois, je laisse passer.

Donc, c’est là où le compromis, ça me gêne. Ça va vraiment me gêner, parce que pour moi, ça veut dire exclure quelqu’un qui a déjà moins accès que les autres à ces contenus-là.

Et parfois, moi, je n’ai pas le temps aussi. Quand je suis dans le métro ou peu importe, je suis en train d’envoyer, ça ralentit effectivement mon débit.

Et du coup, je me dis « quel équilibre entre me taire complètement parce que je veux faire quelque chose de trop parfait, mais du coup, je vais faire un contenu qui n’est pas accessible à d’autres ». Et en même temps, ça continue de laisser de la place à tous les mecs qui n’en ont rien à faire, où c’est ni accessible et où c’est un seul point de vue blanc hétéro.

Voilà, je ne suis pas sûre d’avoir vraiment répondu à la question.

Emmanuelle : En fait, je pense qu’il faut être en accord avec ses valeurs, de sorte que ce que tu fais, ça te correspond toi.

Et l’exemple même des images, c’est parfait, parce qu’il y a sur les réseaux sociaux, il y a des personnes qui disent « n’oubliez pas de décrire les images pour les personnes malvoyantes, c’est important ». Là où il y a des personnes qui s’en foutent complètement.

Et d’autres qui vont dire « mais vous nous cassez les pieds avec votre militantisme sur les attributs alt pour décrire les images. Il n’y a pas de personnes aveugles ou malvoyantes ».

Je peux comprendre parfois cette lassitude, mais c’est important quand même de répéter, répéter encore et encore, jusqu’à ce que ça rentre parce qu’on a tendance à oublier, on a tendance à ne pas se rendre compte.

Et tout le monde peut faire des erreurs.

C’est humain, moi-même étant à fond là-dessus, il m’arrive d’oublier de décrire les images.

Mais on est humain et ça nous arrive d’oublier.

Et c’est important quand même de trouver le juste milieu de ce qu’on fait, de faire des compromis.

Et je sais qu’il y a des personnes à qui je vais laisser tomber parce que c’est impossible de faire changer d’avis, qui sont entêtés par leurs idées, complètement arrêtés. Et ces gens-là, ça ne sert à rien de prendre l’énergie pour ces gens-là.

Il faut garder l’énergie pour d’autres gens.

Fred : Sur l’exemple des images, je vais prendre l’exemple des réseaux sociaux.

Je vois par exemple sur Mastodon, qui est un réseau social décentralisé, il y a pas mal de gens qui encouragent et rappellent l’importance de mettre des textes alternatifs descriptifs pour les images et qui vont encore plus bien en disant « Moi, je refuse de partager des messages qui ont des images sur lesquelles il n’y a pas de description » Qu’est-ce que vous en pensez de ça ?

Emmanuelle : C’est tout à fait à leur honneur, c’est un choix qu’ils font.

Et moi, il m’arrive quand je vois que l’image n’est pas décrite je le fais de mon côté en repostant l’information.

C’est une manière pour moi aussi de véhiculé l’information, parce que ne pas reposter c’est priver quand même une partie des personnes qui n’ont pas l’information.

Donc si l’information n’est pas accessible, de ta propre initiative, tu vas la rendre accessible.

Et par la même occasion, pourquoi pas sensibiliser la personne qui a posté l’information en disant « Je l’ai rendue accessible, tu peux faire de ton côté aussi. » C’est une façon pour moi d’éduquer les gens là-dessus.

Florence : Oui, carrément.

Du coup, moi, je n’avais pas pensé à ça, mais je comprends l’idée dans le sens où si quelqu’un te suit, ça veut dire que la personne a fait le tri en disant « toi tu produis des contenants qui sont accessibles à moi, donc si tu repostes quelque chose qui n’est pas accessible, ça ne marche plus et je me retrouve de nouveau avec une micro-agression supplémentaire ».

Du coup, sur le réseau social, je n’ai aucune idée. Je ne suis pas sûre de faire le tri sur mes reposts, mais de toute façon, je le fais peu.

Par contre, ce que je peux faire dans les Slacks ou des choses comme ça, par rapport à ce que tu dis de rendre accessible, c’est de rajouter des liens.

C’est vrai que quand je vois des images, ça va me gratter et je ne vais pas toujours oser le dire.

Du coup, je vais discrétos rajouter un lien pour qu’au moins la personne puisse accéder au contenu.

Emmanuelle : Après, il n’y a pas que les images. Il y en a aussi souvent, on me partage des vidéos et je leur dis « les vidéos ne sont pas sous-titrées. Comment voulez-vous que je regarde ces vidéos sans les sous-titres ? » Il y en a qui font l’effort de m’expliquer.

D’autres me disent « Oui, il y a les sous-titres automatiques. » Je leur dis « tu as déjà regardé une vidéo avec les sous-titres automatiques, sans le son ? » Il y a beaucoup de personnes qui me balancent cette phrase comme ça, sans honte.

Il y a derrière un effort de déchiffrer les sous-titres automatiques parce que ce n’est pas toujours fiable.

Plus une vidéo est compliquée, plus le langage est technique, moins ça marche.

On a fait quand même beaucoup de progrès avec l’intelligence artificielle.

Je sais qu’avec l’intelligence artificielle, on peut demander à l’IA de décrire les images, de sous-titrer les vidéos.

N’empêche qu’il y a quand même besoin d’une intervention humaine pour corriger les fautes de l’intelligence artificielle parce que tout n’est pas parfait.

Et même l’IA peut interpréter une image à sa façon que nous on perçoit différemment.

C’est là où c’est important d’apporter sa patte.

J’aime bien dire que mélanger l’intelligence artificielle avec l’intelligence humaine rend l’expérience meilleure.

C’est là où je me dis que l’intelligence artificielle peut aider les personnes à décrire les images et à sous-titrer les vidéos.

Mais en même temps, il faut penser à faire ces actions-là et ces personnes-là n’y pensent pas toujours.

On partage des vidéos non sous-titrées ou on ne décrit pas les images. C’est vrai que ça explique une partie de la population et ils ne se rendent pas compte forcément.

Je suis dans la pédagogie pour expliquer pourquoi c’est important.

Fred : Pour que je sois sûr de comprendre, notamment sur les vidéos avec un sous-titrage automatique généré par un outil quel qu’il soit, ce que tu demandes en plus, c’est que la personne fasse l’effort de corriger le texte transcrit.

Comme nous, on le fait, par exemple, pour les transcriptions de l’émission.

Je vais aussi expliquer en toute transparence qu’on avait envisagé de faire l’émission en vidéo.

Tu as évidemment, et avec raison, dit « il faut que ce soit sous-titré ».

Et là, ça représentait beaucoup de travail de sous-titrer. Même avec l’aide d’un outil, il faut repasser derrière. Pour faire du sous-titrage, surtout sur 1h30, ça prend beaucoup de temps.

Sur 3 minutes, on peut dire que la personne peut faire l’effort quand même.

Donc pour toi c’est essentiel que ces personnes-là fassent l’effort de repasser derrière pour avoir un sous-titrage qui soit vraiment correct ? Pour la compréhension des personnes qui en ont besoin.

Emmanuelle : Complètement. Souvent les retours que j’ai c’est « je n’ai pas le temps, c’est trop long ».

Je suis consciente que corriger ça prend du temps, mais quand c’est une vidéo de 3 minutes comme tu as dis on peut prendre le temps de corriger les erreurs de l’IA.

Parfois, je suis assez frustrée. Parce que ça ne me permet pas d’accéder à l’information.

Et je vois bien que certaines vidéos ont l’air importantes.

Parce que ce sont des vidéos qui sont dans l’éducation, qui permettent d’informer la population.

Quand on me dit « je n’ai pas le temps, fais-toi-même ». Je dis « comment ? que je suis sourde ».

C’est vrai que c’est un peu frustrant de faire face à ce genre de situation.

Et en même temps, je peux comprendre. Ils n’ont pas forcément le temps de faire.

Du coup, je leur demande de réfléchir avant de poster.

Ou au moins, expliquer ce qu’il y a dans la vidéo.

Fred : Faire un résumé, c’est ça ?

Emmanuelle : Oui, faire un petit résumé.

Et moi, ce qui m’arrive ces derniers temps, c’est de prendre la vidéo et de la faire transcrire moi-même par l’IA.

Et quand ça marche, je suis contente.

Mais quand ça ne marche pas, je laisse tomber.

Et voilà.

Florence : Et comment tu sais que ça marche, en fait ?

Tu as le moyen de vérifier ?

Emmanuelle : Quand je vois que la qualité des sous-titres automatique est bonne.

Florence : Mais si ça dit autre chose que ce que ça voulait dire ?

Si ça se trouve, ce n’est pas du tout…

Emmanuelle : C’est pas faux [rires].

Fred : C’est vrai qu’on voit des trucs qui son transcrits par ces outils-là qui disent l’inverse.

En français, ils veulent dire quelque chose, mais qui ne correspond pas à ce qui a été dit.

Florence : Oui, complètement, nous ça nous arrive tout le temps.

Quand je relis, je me dis « mais qu’est-ce qu’on a dit ? ».

Je suis obligée de réécouter derrière.

Fred : Quand tu dis « ça nous arrive tout le temps », c’est pour le podcast de La Place des grenouilles ?

Florence : C’est pour le podcast de La Place des grenouilles oui.

Effectivement, c’est vrai que c’est un gros travail pour le coup.

Mais bon, c’est vrai qu’il n’y a pas de solution magique.

Emmanuelle : C’est ça, il n’y a pas de solution magique.

Et je pense qu’il faut faire avec ce qu’on a.

Et toujours avec pédagogie, avec bienveillance, avec empathie, en expliquant que c’est important de rendre accessibles les contenus numériques aux personnes handicapées.

Sans pour autant être dans l’extrême.

Parce que tu as dit, Frédéric « oui je refuse de reposter des images qui n’ont pas de description », c’est tout à fait leur honneur, chacun fait ce qu’il veut, chacun fait ce qu’il sent de faire.

Fred : Florence, tu veux réagir avant qu’on passe à un autre sujet ?

Florence : Je ne sais pas.

En fait, ça me fait juste penser à quelqu’un d’autre qui avait fait un podcast.

Et comme le transcript prenait trop de temps, elle a arrêté son podcast.

Et du coup, elle avait 4-5 épisodes qui ont été enregistrés.

Et moi, ça me parle tellement, parce que ça m’arrive aussi.

Mais moi, c’était sur des personnes malvoyantes.

En mode, « on a enregistré, mais en fait, on n’a pas eu le temps d’arriver jusqu’au bout et d’avoir le niveau de qualité qu’on attend. Et comme on n’assume pas d’exclure des gens, on se retrouve à juste pas sortir le truc ».

Mais du coup, ça me fait penser à ça.

Emmanuelle : En tout cas, moi, j’apprécie beaucoup les podcasts de La place des grenouilles, parce que j’apprends énormément.

Et avec la transcription, ça m’aide à comprendre ce qui se passe dans le monde de la tech, dans le monde féministe.

Voilà, ça me permet de m’éduquer.

Et s’il n’y avait pas eu la transcription, je ne serais pas au fait de ce qui se passe.

Et voire même complètement exclue de ce qui se passe.

Florence : en fait Il faudrait des aides, je pense.

Mais sur ça, de toute façon, pour moi, il n’y avait pas de débat. On ne sortait pas le podcast, il n’y avait pas de transcript pour le coup.

Et le fait que tu aies donné des références pour appuyer, parce qu’en fait, il y avait quand même un trade-off entre nous en se disant « comment on s’organise pour… » Voilà, donc on a eu un petit débat quand même sur quelles étaient les alternatives.

Mais le fait que justement tu aies cette position en donnant des conseils et des outils qui sont plus ou moins efficaces, là, on met vraiment trop de temps. Et l’outil que tu avais conseillé, Whisper Transcribe, c’est ça ?

Emmanuelle : Oui, Whisper, oui.

Florence : Oui, il est payant, et comme on est radines, on ne l’a pas utilisé [rires].

Mais on va quand même le faire, parce que ça a l’air vraiment efficace.

Emmanuelle : Sachant que la transcription est pas utile qu’aux personnes souvent les malentendantes, mais aussi des personnes autistes qui m’ont dit « bah oui, les transcriptions, ça m’aide énormément ».

Et même, les personnes entendantes qui ne veulent pas écouter, il suffit de lire s’ils apprécient de lire.

Donc en fait, au final, c’est l’accessibilité qui profite en priorité aux personnes handicapées, peut au final profiter à tout le monde.

Fred : On peut même rechercher dans une transcription d’une émission précédente la phrase exacte dite par une invitée parce que l’émission a été transcrite.

Florence : Tout à fait.

Et puis il y a le référencement aussi.

Fred : Et il y a le référencement aussi, effectivement, qui est important.

Donc on va avancer.

Je suggère qu’on fasse la pause musicale tout de suite, même si c’est un peu en avance.

Comme ça, on va pouvoir enchaîner.

Donc la deuxième pause musicale, c’est Florence qui l’a choisie.

Et donc, comme pour Emmanuelle, je te laisse nous la présenter.

Florence : Alors du coup, c’est une chanson qui s’appelle You Don’t Own Me, qui à la base a été chantée par Lesley Gore en 1963, quand elle avait 17 ans.

Donc ça fait longtemps.

Elle a été reprise de très nombreuses fois.

Et à cette version, c’est Jessica Dobson qui la chante.

Elle est chanteuse américaine et guitariste du groupe Deep Sea Diver.

Et elle aussi bassiste, battriste, batteuse ?

Elle joue du synthé.

Et j’adore cette version. Parce qu’il y a plusieurs personnes qui chantent.

Et le message, c’est le fait de se dire, elle dit à son amant qu’il ne la possède pas.

Et dans toutes les discriminations, il y a un peu ce côté où tout est dû aux personnes dominantes.

Quand on nous demande des explications, on doit justifier de pas mal de choses.

Et ça, c’est quelque chose qui est important, je pense, à se rappeler.

Et je trouvais que c’était assez dans la thématique.

Nous allons écouter You Don’t Own Me par Jessica Dobson.

On se retrouve dans 3 minutes 30.

Belle soirée d’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

[ Diffusion de la pause musicale ]

Voix du jingle (Laure-Élise Déniel) : Cause Commune, 93.1.

Nous venons d’écouter You Don’t Own Me par Jessica Dobson.

Vous écoutez toujours l’émission Chemins de traverse.

Nous sommes toujours avec Emmanuelle Aboaf et Florence Chabanois sur la radio Cause Commune.

Je vous rappelle le numéro de téléphone, 09 72 51 55 46. Et sinon, le salon web. Site causecommune.fm, bouton chat, salon Chemins de traverse.

Nous allons poursuivre avec… nos deux invitées ont plusieurs points communs, mais il y en a un qui est assez important. C’est que vous êtes toutes les deux femmes dans la tech.

Il y avait un des sujets qu’on souhaitait aborder, c’était les modes d’action qui vous semblent avoir le plus d’impact.

Peut-être une question générale d’échange pour toutes les deux. Quelques situations que vous avez vécues dans la tech et comment vous avez réagi, agi, etc. ?

Qui veut commencer ?

Emmanuelle : Si tu veux, je commence.

Oui, alors en 12 ans arrière, 13 ans, je suis développeuse depuis 2012 et c’est vrai que j’ai connu quand même des situations de sexisme voire même de validisme.

Ett il y a des moments où je ne savais pas si c’était à cause de mon handicap ou si c’est à cause du fait je suis une femme voire même les deux et j’ai eu droit à même des situations assez cocasses et c’est des situations que je n’hésite pas à partager auprès des personnes que je mentore pour leur faire partager de mon expérience de savoir comment j’ai réagi.

Il y a deux épisodes qui m’ont énormément marqué c’est quand j’étais jeune junior et j’ai osé poser une question sur un sujet auquel je ne connaissais pas et un senior qui avait plusieurs années d’expérience devant moi m’a dit « Mais quoi ? Tu ne sais pas ça ? »

Et quand il a dit ça, ça m’a braqué et intérieurement je me dis « mince, il va croire que je suis incompétente, que je n’ai pas ma place ».

Ça a tourné dans tous les sens, ça a bousculé dans tous les sens dans mon cerveau et c’est vrai ça m’a mis en remise en question, ça m’a fait douter de mes compétences.

Alors qu’en fait ma question était légitime, j’ai bien compris plus tard et en fait j’avais le droit de poser des questions, je ne sais pas tout, en fait c’est ça la beauté de la tech, c’est qu’on a toujours quelque chose à apprendre et on ne peut pas tout savoir.

Et cette phrase-là ça m’a ça m’a braquée et pendant un temps je n’ai plus osé poser des questions mais ça me démangeait tellement je ne pouvais pas rester comme ça parce que j’avais cette soif d’apprendre.

J’avais cette soif de découvrir des nouvelles choses et d’apprendre auprès des autres personnes. Et c’est là où je dis souvent aux personnes que je mentore ou aux nouvelles personnes qui arrivent dans la tech, qui se reconvertissent, « il ne faut pas s’arrêter de poser des questions, c’est normal de ne pas tout savoir c’est normal de poser des questions ».

Et si la personne vous répond ça, c’est, je suis désolée mais ce n’est pas normal de faire douter à ce point, de réveiller le syndrome de l’imposteur.

Même les personnes les plus compétentes ne savent pas tout. On ne peut pas tout savoir, surtout que c’est un secteur qui évolue sans cesse.

Jusqu’à il y a deux ans personne ne savait rien sur l’intelligence artificielle. Maintenant on apprend sur le tas, il y aura toujours des nouvelles technologies il y aura toujours des nouvelles façons d’apprendre.

Et c’est ce que je dis toujours, il ne faut pas arrêter de poser des questions, arrêter d’être curieux.

Et je suis même sûre que cette personne n’aurait jamais osé dire ça si je n’étais pas une femme. Donc c’est important de faire sentir la personne à sa place quel que soit son genre.

L’important c’est d’exercer son métier avec ses compétences, on est embauché parce qu’on a des compétences.

Florence : oui carrément. Je pense que ce que tu dis en disant « est-ce que c’est quelque chose qu’on aurait fait à un homme valide, blanc et d’un certain âge », rien que de se poser ça comme question, je pense que souvent ça éclaircit quand même.

Moi je pense que, j’ai eu des exemples de cas où il y a du sexisme, souvent quand on dit sexisme c’est vraiment le mode connard connard quoi, genre vraiment assez violent.

Et c’est beaucoup plus insidieux que ça dans le monde professionnel ça va être plus « on te coupe la parole » ou alors on va reprendre, toi tu vas dire quelque chose on va te dire ouais, non plein d’objections, on va même pas t’écouter et la même idée est prise exactement telle qu’elle, une semaine après, on va dire « ah bah super, on n’a qu’à faire ça ».

Et sur ça le féminisme ça m’a beaucoup aidée parce que avant je me

remettais en question en me disant « ah, je l’ai mal exprimé, ah j’aurais dû

dire ça comme ça, ah je n’ai pas réussi à me faire entendre »

Et je pense qu’il y a beaucoup ce côté empouvoirant, on se dit « mais tout est ta faute » le fait de donner la responsabilité à chacun et chacune c’est cool pour ne pas déprimer en disant on a une influence, ce qui est vrai mais je pense qu’il faut aussi avoir conscience du système dans lequel on est.

Ça me fait penser, j’avais écrit le manuel de survie dans la tech pour

les Duchesses et du coup ça m’avait aidée dans le sens où je listais

pas mal de principes, typiquement ce que je viens de dire c’est du

repeating, on prend la même idée, on l’enrobe et puis là ça passe

alors qu’avant ça passait pas.

Et le fait d’avoir des termes sur ça, moi ça m’a beaucoup aidé en tout cas.

Et aussi de prendre du recul et de parler à d’autres femmes et de se rendre compte qu’en fait, enfin d’autres femmes ça dépend qui, parce qu’il y a des femmes qui sont tellement… comment dire, il y a un peu, je ne sais pas comment dire, il y a un peu le biais de la survivante où elles sont tellement contentes, et moi y compris, je pense que j’ai été comme ça, d’être intégrée dans le milieu qu’on va faire encore moins de vagues.

C’est comme dans le métro, quand les gens ils se bousculent, ils arrivent à avoir une place. Après, plus rien n’existe.

Il y a encore 5 personnes derrière ou 15, t’es dedans, t’es dedans, c’est fini.

Par contre quand t’es dehors, tu dis « s’il vous plaît, avancez encore, encore, encore ».

Et c’est humain parce qu’en fait on se retourne juste pas, on ne regarde pas.

Mais du coup c’est toute une habitude, une culture, et le fait d’avoir conscience que c’est un système et qu’en fait c’est des mecs de pouvoir et d’où on part et d’où partent les autres, ça permet quand même de s’en affranchir.

Donc ça, ça m’a beaucoup aidée.

Et au final, c’est beaucoup de cécisme banal entre guillemets.

Emmanuelle : ordinaire

Florence : Sur les réunions, c’était toujours les femmes qui nettoyaient tout, qui préparent les comptes rendus, qui font toutes les tâches qu’on voit pas.

Pendant que les mecs, ils codent, ils font du travail qui est visible et qui est valorisé et pour lequel c’est identifié que ça va générer des promotions.

Et aussi la survalorisation de la compétence technique par rapport à tout ce qui est lien humain, tout ce qui fait équipe, ce qui est vraiment problématique aujourd’hui. Parce que si on travaille tout seul, il y a des personnes qu’on a gardées qui donnaient l’impression en tout cas d’être très pointues techniquement, mais dont le code est absolument pas maintenable. Personne n’a envie de le reprendre, c’est un espèce de génie tout seul, mais en fait pas du tout génie.

Plus quelqu’un qui a assuré son éternité, dans le sens où on se dit qu’on peut pas se passer de lui.

Et du coup pour moi, ça c’est vraiment des profils qui sont problématiques.

Alors que les personnes qui vont essayer de partager, là où c’est des profils plus féminins parce qu’on est élevées à ça, c’est pas du tout essentiel, ça va pas être si important. Ce qui est vraiment un souci pour moi.

Emmanuelle : C’est vrai qu’avant d’atterrir chez les Duchess, avant de rencontrer d’autres femmes de la tête, je me posais pas ce genre de questions.

Je vivais ces situations de manière inconsciente, de dire voilà, à mon sens, peut-être que c’était normal que ce soit comme ça, parce que j’avais pas d’autres exemples qui venaient, du coup je subissais la situation.

Sans me rendre compte que ce que je vivais c’était vraiment du sexisme.

Et c’est en discutant avec d’autres personnes, en disant « bah oui, moi aussi j’ai vécu ça, à un moment j’ai fait pour résoudre ça ».

C’est vrai quand on se trouve la seule personne de l’entreprise, la seule femme de l’équipe, et à qui parler de ce genre de situation ? Parce que tes collègues masculins, ils vont pas voir les choses de la même façon.

Typiquement, comme tu as dit, les idées que tu partageais c’était repris plus tard.

Pareil, je me suis posé la question, est-ce que je m’étais mal exprimée ? Et il y a un cas où j’avais senti le truc venir, dire « on aura des problèmes », et j’ai fait remarquer à mes collègues « attention, si on s’engage sur cette voie-là, ça ne va pas marcher ».

Et sur deux, il dit « mais si, si, ça va très bien marcher, tu vas voir ».

Et une semaine plus tard, ils se rendent compte qu’ils s’étaient complètement vautrés.

Je me suis retenue de dire « je vous l’avais dit ». Le fait que je ne me sentais pas écoutée, ça m’avait quand même posé des questions.

Jusqu’au jour où on m’a expliqué « oui, c’est un biais ancien ». Je sais pas si c’était ancien, mais un biais ancien du fait de moins écouter les femmes, de ce qu’elles ont à dire.

Et maintenant, aujourd’hui, avec du recul, avec de l’expérience, je n’hésite plus à m’imposer, en disant ces choses-là, et me faire entendre, et c’est vrai, que même aujourd’hui malgré nos expériences, on a tout de même tendance à devoir se justifier, à s’imposer, parce qu’il y a en même des biais inconscients qui font que les gens ils réagissent de manière inconsciente.

Et même, il y a des femmes qui sont totalement inconscientes, parce qu’elles veulent être intégrées, jusqu’à même reproduire certains emportements des hommes.

Fred : Et même, j’avais vu une stat, et moi, ça m’avait beaucoup aidée, parce que comme on n’est pas beaucoup de femmes, je ne sais pas, je m’attendais naïvement à un peu de compréhension, où ça va faire écho, mais pas du tout, parce que, comme je disais tout à l’heure, une fois qu’on est dans le métro, voilà, tant mieux pour nous.

J’ai vu une statistique qui disait qu’une femme avait plus de chances de critiquer une autre femme, qu’elle était plus critiquée par des femmes que par des hommes, en fait.

Du coup, on a cette double pénalité, parce que, justement, on sort du rang.

Il y a un peu le « pick me girl » [Ce concept renvoie à une femme recherchant la validation des hommes en insinuant qu’elle n’est pas comme les autres femmes] , qui fait que, ben oui, ben moi, je vais casser sur celle qui s’exprime, ce qui va vraiment assurer le système, enfin, la pérennité du système.

Et tout à l’heure, quand tu te posais la question de dire, « ben, est-ce que, quand quelqu’un nous prend notre idée, est-ce qu’on va l’exprimer ou pas ? »

Et même ça, c’est dur, parce que, du coup, les gens vont dire « oui, ben, ça arrive à tout le monde ».

Sauf que ça n’arrive pas à tout le monde, et ça n’arrive pas autant.

Et ça, c’est assez difficile à faire comprendre, parce qu’on ne peut pas facilement savoir la cause de cette situation. « Est-ce que c’est parce qu’on est une femme ? »

Mais, en fait, il y a plein d’études qui le montrent.

Et ça, les hommes ne vont pas trop le comprendre.

Et souvent, on ne va juste pas le dire.

Et partir.

Emmanuelle : Complètement. Et surtout que, jusqu’à récemment j’ai appris il y a eu des femmes dans la tech, dans les années 50, 60, qui ont permis de créer des innovations qu’on utilise aujourd’hui comme la Wi-Fi, la programmation, ce genre de trucs.

Et ces choses-là, on a complètement invisibilisé les innovations de ces femmes.

Et on en paye aujourd’hui le fait. Au départ, la programmation a été propulsée par les femmes. Et on a vu que ça marchait bien. Les hommes ont pris le terrain, en disant « ben, voilà, la programmation, ça marche, on va s’imposer, nous aussi ».

Et on voit bien aujourd’hui qu’à ce point il y a très peu de femmes dans la tech. Parce qu’on n’explique pas comment les origines, comment la tech est arrivée, comment on a pu faire ces innovations-là.

Et je pense que c’est important de rappeler, à travers la pédagogie, souvent on voit l’histoire des femmes de la tech expliquant que les femmes ont contribué à ce que la tech est aujourd’hui.

Et si on arrive à éduquer de plus en plus d’hommes, là les femmes dans la tech pourront prendre plus d’espace.

Fred : Et même, c’était il y a 40 ans, c’était il n’y a pas si longtemps, et du coup, c’était, ben, j’en parlais justement dans ma chronique la semaine dernière, que c’était à 85% de femmes, donc c’est énorme, et c’est un des rares métiers où la tendance a inversé, dans le sens où il y a des hommes qui sont allés dans un secteur de femmes, c’est l’informatique.

Et si on parle de pérennité, moi, je pensais, comme toi, et je le pense encore, que c’est une condition nécessaire, mais pas suffisante aujourd’hui, d’assurer la représentation, et du coup, de rester le plus longtemps possible.

Ce qu’on voit aussi, c’est que, non seulement on a du mal à entrer aujourd’hui dans la tech, alors que dans d’autres pays, d’autres époques, il y a plus de femmes que d’hommes, donc c’est rien de naturel quoi, enfin, d’évident en tout cas, dans les gènes. Et d’autre part, comme tu disais tout à l’heure, il y a la moitié qui partent après dix ans, et c’est de pire en pire, en fait, il y a de plus en plus de femmes qui partent, et la raison principale, c’est le sexisme.

Et c’est là où je me dis, en fait, on a ce système aussi dans l’éducation, par exemple, avant c’était un métier plutôt masculin, qui est plus représenté par des femmes aujourd’hui, il y a plus de femmes que d’hommes, ou la médecine, maintenant on a une bonne parité, alors qu’avant c’était très largement masculin, et ça c’est des secteurs qui sont en mal-être aujourd’hui, qu’on néglige.

C’est du service public, ce qui est quand même super important, l’éducation, la santé.

L’informatique, ça pourrait en réalité être du service public, vu à quel point ça impacte la vie des personnes.

Et moi, mon constat aujourd’hui, c’est que dès qu’il y a du prestige, les hommes arrivent, chassent les femmes, font en sorte que les femmes ne se sentent plus bien et s’en vont.

Et que c’est pas inhérent à l’intérêt, à la difficulté, à la capacité physique ou aux besoins, mais c’est vraiment le sexisme, la hiérarchie entre les gens, qui fait qu’on va pas y arriver, et tant qu’on n’arrive pas à avoir vraiment une égalité, une valorisation similaire en tout cas des humains, je pense qu’on va tourner en rond, et aujourd’hui, c’est ça mon constat, en tout cas, ma conviction très profonde.

Emmanuelle : Pourtant, on a tous agréé à élaborer tous ensemble, quelle que ce soit notre différence, et ce soit le fait qu’entre les hommes et les femmes, les personnes handicapées, les personnes non-binaires, les personnes LGBTQIA+, on a tous à gagner à collaborer ensemble pour pouvoir avancer les choses, améliorer les choses.

Et pourtant, on fait que creuser les inégalités, et on voit bien aujourd’hui avec l’intelligence artificielle où les algorithmes sont en grande majorité créés par des hommes non-valides.

Et on voit énormément de biais sur les femmes, sur les personnes handicapées, et ça se ressent énormément, et ça s’explique au fait qu’il y a très peu de femmes dans la tech, il y a très peu de personnes handicapées dans la tech.

Et ça commence à l’école, et il y a une étude qui est sortie récemment disant que les filles à l’école vont de moins en moins dans les filières scientifiques, dans les filières STEAM [pour science, technologie, ingénierie, larts et mathématiques] , et on n’arrive pas à les attirer. Parce qu’il y a ce biais de dire que les filières STEAM ce n’est pas pour les femmes.

Fred : Précisons que les filières STEAM, c’est l’anglais STEAM, c’est ça, c’est science, technologie

Emmanuelle : informatique, et mathématiques.

Florence : Ah oui, engineering.

Fred : Ah, l’ingénierie.

Florence : Ça c’est grâce à la réforme de Blanquer [ancien ministre de l’éducation nationale], parce qu’en fait comme il demande à choisir plus tôt, c’est trop dur de choisir. Et du coup il y a des stratégies pour assurer une place après le lycée, et comme on voit qu’en tant que fille on est deux fois plus incitée à ne pas aller dans les filières de la tech, alors qu’il n’y a qu’un tiers qui a envie déjà, alors que des garçons qui sont deux tiers à avoir envie, on les incite deux fois plus, mais du coup ça écarte encore plus les populations.

Emmanuelle : Pour l’anecdote, quand j’étais à l’école au collège, on m’avait demandé ce que je voulais faire, moi je disais « je voulais être ingénieure comme mon père ».

Et un des profs m’a dit « tu peux pas, t’es sourde » avant même de me renvoyer en tant que femme, tu aurais pu dire « mais non, tu peux pas, t’es une femme », là on m’a dit mais « non tu peux pas, t’es sourde ».

Et ce genre de discours est encore présent aujourd’hui à l’école, en disant que tu sois une femme ou une personne handicapée, ça paraît insurmontable de faire des études d’ingénieur, de faire des études scientifiques en même, aujourd’hui.

Moi j’ai fait des études il y a 20 ans, donc ça c’est pas amélioré aujourd’hui. Et même, tu as dit, c’est même un peu détérioré la situation, donc je pense que c’est important qu’il y ait ce rôle de représentation.

C’est pourquoi on fait des conférences, pour montrer qu’on existe, pour montrer qu’il y a de la place pour tout le monde, pour montrer que oui la tech s’est ouverte aux femmes, les femmes peuvent venir.

Et pourtant, il y a quand même, aujourd’hui, on est confronté à un marché difficile, qui fait que les personnes qui se reconvertissent, les femmes en majorité se reconvertissent, parce qu’on voit qu’il y a beaucoup de travail dans la tech, et pourtant on refuse des profils juniors, des profils en reconversion, et on s’entête à recruter que des profils seniors.

Le souci dans les profils seniors, c’est qu’il y a très peu de femmes qui sont seniors.

Florence : Parce qu’elles quittent le secteur.

Et voilà, c’est un peu le serpent qui se mord la queue.

Florence : Clairement. Moi je m’étais posé la question, je m’étais dit je vais essayer de monter le plus, gravir le plus les échelons, dans le sens où quand tu vois quelqu’un exister, tu dis que tu peux devenir pareil.

Et surtout, moi je sais que je fais aussi attention à ça, donc forcément mes équipes, au moins, ce sera ok.

Mais après, comme je t’ai dit, j’ai été un peu désabusée en me disant « mais de toute façon, c’est le sexisme le problème », parce que les filles elles arrivent, mais de toute façon on les chasse, et même quand elles viennent vraiment, elles s’en vont quand même après leur carrière, et c’est plus une question de valorisation des personnes.

Et l’autre raison, c’est que tout ce que je mettais en place, en fait, ça durait tant que je suis là. Ou un peu plus, mais après on changeait de direction, d’actionnaire.

Et tous ces sujets, tant qu’on n’injecte pas de l’énergie en continu, on retourne dans le statu quo, avec les forces habituelles, sur des raisonnements rapides, en disant « là je prends un bac plus 5, ingénieur, bon bah du coup tu n’auras probablement que des mecs blancs en fait, et des CSP+ ».

Et du coup je m’étais dit, peut-être que ce soit plus avec des outils automatisés, des garde-fous en termes de framework, dans le sens où c’est indépendamment de toi, que tu sois là ou pas, de ton énergie.

Par exemple sur un formulaire de recrutement, ou d’évaluation d’entretien, vu qu’il y a un formulaire qui est là, t’es obligé de faire attention à des critères aussi soft skills [compétences douces ou comportementales], qui sont valorisés un peu plus, sur lesquels les femmes sont plus à l’aise, ou pas que, ou de mettre en place des quotas.

En fait les docs on ne les lit pas, et les frameworks non plus.

Après je m’étais dit peut-être dans les logiciels libres, il faudrait quelque chose de plus extérieur, qui va assurer la pérennité de tous ces outils là, pour pouvoir faciliter ces sujets là, pour au moins les personnes qui ont envie.

Mais en fait l’open source c’est tellement large que là aussi ça ne marche pas.

Et maintenant j’en suis à « bon, il n’y a pas vraiment de solution magique », en plus c’est de pire en pire côté politique.

Donc déjà si on survit c’est pas mal, et surtout de se mélanger avec plein d’organismes.

Maintenant je parle de ces sujets partout, à la boxe, des camps de scouts, machin.

Dès qu’il y a quelque chose qui me dérange, je vais le dire.

Alors qu’avant j’étais plutôt paix sociale, contrairement à ce que Frédéric croyait.

Mais je vais dire « c’est bizarre là quand même, c’est pas normal ».

Ou alors je vais dire « là tout le monde peut aider », ou des choses comme ça.

Ce que j’aurais pas fait avant, mais maintenant moi c’est ça mon niveau, c’est que je suis beaucoup moins ambitieuse sur l’impact de mes actions.

Mais je vais me contenter de ma petite existence au sein du monde, et de l’influence qu’on peut avoir un peu ici et là. Je ne sais pas comment tu fais toi.

Emmanuelle : Je pense pareil, si j’arrive à changer au moins une personne d’avis, c’est une victoire.

Parce qu’on peut pas faire changer d’avis tout le monde, c’est impossible.

Et c’est pour ça que je me dis, à travers les conférences, en expliquant, en sensibilisant les personnes, si on arrive à faire changer d’avis une personne, cette personne va mener à son tour des actions concrètes, pour faire changer d’avis d’autres personnes.

C’est la chaîne qui se fait comme ça.

Mais c’est vrai, ça peut être parfois frustrant de dire » mais mince j’arrive pas à faire changer d’avis, comment faire pour améliorer ça, est-ce qu’il faut changer son discours, est-ce qu’il faut trouver d’autres arguments ».

Parce que c’est vrai, on entend souvent les mêmes arguments.

Mais comment faire pour améliorer ça, comment faire pour améliorer la situation ?

Et je pense qu’il n’y a pas, comme tu dis, de réponse, de vraie réponse.

Et tout ce qu’on peut faire, c’est continuer à en parler jusqu’à ce que ça change.

Florence : Oui, clairement.

Rien qu’exister, tu vois.

Moi, je crois que j’arrive à faire changer d’avis personne en fait, en tout cas sans que je sache.

Mais par contre, j’ai quand même des retours qui me disent « ah bah j’ai réfléchi à ce que t’as dit là » ou des gens que je connais pas, ils me disent « ah bah j’ai entendu ça ».

Et en fait, ça me suffit, parce que de toutes façons, il y a vraiment une question de timing.

De toute façon, moi je suis pas très bonne en débat parce que j’aime pas les conflits, et puis j’ai pas le temps.

Donc voilà, c’est juste montrer, poser des choses, et après voir si ça prend ou pas.

C’est plus des graines en fait qu’on sème.

Emmanuelle : Oui, complètement.

Et je vois aussi avec l’accessibilité, parce que c’est sur les sujets de femmes dans la tech c’est bien aussi d’en parler. Mais aussi, quand je parle de sujets de l’accessibilité « n’oubliez pas de rendre accessible les sites internet à tous et toutes », et comment faire.

Je sensibilise les personnes.

Et quand je pars, comme je suis plus là pour surveiller si l’accessibilité est appliquée ils vont plus y penser.

Là j’ai eu un message d’un ancien collègue récemment qui m’a dit « tu sais, depuis que t’es partie, je pense à toi » en me disant « oui, je pense à l’accessibilité ».

Et c’est là où c’est une victoire, parce que t’as quand même laissée ton empreinte, en disant t’es arrivée à toucher les bonnes personnes, qui à leur tour arriveront à faire changer les choses, et améliorer les choses.

Donc, tout n’est pas noir. Il y a quand même des choses positives.

Je reste optimiste, même si la situation en ce moment est quand même assez tendue, notamment dans le monde entier, avec le fascisme qui monte un peu dans certains pays.

Je reste quand même optimiste, parce qu’il faut l’optimisme pour faire avancer les choses.

Florence : Je suis assez admirative, en fait, parce que je trouve, tu l’as dit tout à l’heure, mais tu dis que t’arrives à facilement t’exprimer, enfin, comment dire, sur les sujets de handicap, d’accessibilité, t’y vas tout le temps.

Et moi, si je me dis qu’il y a le racisme et le féminisme qui me concernent plus directement, on va dire. Autant sur le féminisme, c’est pas facile, mais je le fais parce que déjà, je connais de plus en plus le sujet. Et aussi, en termes de légitimité, on est majoritaire, en fait.

À un moment, il faut arrêter, quoi. Enfin, on est 52 %, donc je veux dire, ça peut pas se contester.

Alors que le racisme, pour moi, c’est vraiment dur, parce que du coup, c’est une minorité, enfin, c’est plein de minorités, du coup.

Et je pense que j’ai le plus de problèmes de légitimité, alors que sur le handicap, c’est quoi, c’est 8 % de la population ?

Emmanuelle : 12 % de la population en France.

Florence : Donc, c’est aussi une minorité.

Mais tu te dis pas, à juste titre, on n’est pas minoritaire, enfin on n’est pas majoritaire mais je vais quand même revendiquer ça, parce qu’en fait, ça impacte trop gravement ta vie et la vie des gens pour ne rien dire.

Emmanuelle : Oui, c’est vrai.

Et surtout, le fait qu’on a cette histoire de quota qui fait qu’on doit embaucher 6 % de l’effectif, 6 % de personnes handicapées. Et malgré ça, t’as des entreprises qui veulent pas remplir le quota et préfèrent payer les contributions financières plutôt qu’embaucher des personnes handicapées.

Il y a quand même un chemin à faire, que ce soit dans tous les domaines de la minorité, que ce soit les femmes de la tech, les personnes handicapées, les personnes LGBT, qui aussi ont des problèmes d’intégration, d’inclusion, et même les personnes racisées, comme tu disais, il y a tout un combat.

Donc, on a encore du chemin à faire et il faut pas lâcher.

Florence : Moi, j’ai un avis un peu différent de toi quand tu dis « tout le monde y gagne ».

Je le pense, mais je pense pas que tout le monde pense ça.

Je pense qu’il y a des gens qui préfèrent maintenir quand même un rapport de pouvoir.

Et je me rappelle, il y avait un chercheur en maths, il avait été très honnête quand on lui parlait qu’il n’y a pas assez de femmes et qu’il faut un peu plus de choses dans ce sens-là.

Il a dit « oui, mais en fait, c’est déjà tellement dur d’avoir une place dans la recherche en maths, si on enlève les freins que les femmes ont », ce qui est quand même un peu horrible, « ça va être encore plus concurrentiel et on va avoir encore moins de place ».

Et je pense que c’est quelque chose qu’il ne faut pas négliger.

C’est là où du coup je passe en mode guerrière, en mode « ouais, bah non, parce que tous les discours de la compétence d’abord, si on parle de vraie compétence, peut-être que t’es pas dedans ».

Et moi, j’ai eu beaucoup d’hommes qui étaient très incompétents et qui passaient quand même juste parce qu’il y avait un biais positif dans le sens où on va moins le remettre en question parce que c’est un gars.

Emmanuelle : Complètement.

Et je vois aussi pour les personnes handicapées, le fait qu’il y a des personnes valides qui ont eu la promotion plus vite que les personnes handicapées.

C’est à double tranchant dès qu’on est une minorité. Je sais pas si c’est inconscient, mais si tu n’es pas dans la norme, tu avances moins vite.

Florence : Oui, ça ne rassure pas les personnes qui ont l’habitude de voir un certain type de profil.

Emmanuelle : Oui, complètement.

Et je pense qu’il y a encore du travail à faire et il faut continuer à sensibiliser les personnes avec pédagogie, avec bienveillance, de sorte à faire éveiller les consciences et se rendre compte qu’il y a un problème et qu’est-ce qu’il faut faire pour le résoudre.

Et c’est d’ailleurs ce qu’on appelle peut-être le wokisme.

Florence : Moi, je suis moins gentille que toi, je crois.

Parce que justement, quand je vois le retour des gens qui sont en mode « Oh, mais nous aussi on souffre ».

Je me dis « en fait, on n’a pas le même combat et tu veux juste avoir toute la place et t’écoutes rien ».

Mais après, c’est bien d’avoir plusieurs approches, je pense, parce que l’un dans l’autre, il y en a qui marchent mieux selon les personnes.

Fred : Ok, j’ai quand même une dernière question, même si on approche de la fin de l’émission.

Avez-vous le sentiment d’être à votre place aujourd’hui ?

Je vais commencer par Florence parce que je lui ai dit la question tout à l’heure.

Florence : Alors à ma place, oui plutôt, je pense.

Je pense que je suis plus mes envies et j’arrive à quand même mieux détacher à qu’est-ce que je fais.

Par exemple, il y a Laïla qui dit la stat interdite des moitiés des femmes qui quittent la tech après 10 ans de carrière.

Donc, ça, personne n’a envie d’en être par principe parce que du coup, on se dit « sinon ça va faire fuir d’autres femmes et ça va empêcher d’autres femmes de venir ».

Moi, c’est bon, j’ai donné, je trouve.

Donc, je me mets moins à cette injonction-là et j’arrive à écouter mes ressentis quand même et à vraiment décoder derrière quand il y a quelque chose qui ne me va pas.

Il n’y a rien qui va solutionner, mais le fait de réagir et de répondre et juste de dire « ça, ça ne me va pas, ce n’est pas ok » ou « ça me met mal à l’aise » ça fait que quelle que soit la place où je suis, j’arrive à être relativement alignée avec moi.

Je trouve que c’est plus dur de rien dire, de subir, de se dire « est-ce que j’ai surréagi », de devoir aller vers une communauté qui va un peu nous consoler, nous dire « non, tu n’as pas surréagi ».

Ça marche, mais c’est plus long.

Et aujourd’hui, j’ai quand même plus de connaissances sur ces sujets-là pour être un peu plus résiliente et gagner du temps sur ça.

Fred : Ok.

Emmanuelle.

Emmanuelle : Au départ, ce n’était pas gagné.

Mais aujourd’hui, oui, je me sens complètement à ma place.

J’adore mon travail.

J’adore être développeuse.

J’adore donner des conférences sur les sujets qui me tiennent à cœur.

Pour moi, c’est une victoire.

Et c’est vrai, je suis très triste quand j’apprends que telle ou telle personne se pose la question de « est-ce qu’elle a sa place dans ce milieu ? ».

Et j’essaie de trouver des arguments pour les convaincre.

Mais si on est sans cesse dans le fait de faire tout le temps des efforts pour réussir, et à la fin, ça peut conduire en burn-out.

Et c’est l’épuisement, c’est jamais bon.

Donc, c’est normal de se poser la question de savoir est-ce que tous ces efforts ça vaut le coup.

Et c’est pour ça que c’est important d’avoir une représentation des femmes qui ont réussi pour montrer qu’il faut tenir bon.

Oui, ce n’est pas simple. Ce n’est pas un long fleuve tranquille. Il a fallu se battre pour arriver là.

Et oui, ce n’est pas normal de devoir se battre. Mais on n’a pas le choix, on fait avec et on se bat.

Et pour ces femmes qui décident de quitter la tech, ça me rend triste. Et on ne sait pas à quel point on les perd.

Et c’est pour ça que je pense qu’il est important de trouver un bon équilibre pour retenir les femmes dans la tech.

Fred : Ok.

Merci Emmanuelle Florence.

On entend le générique de fin qui annonce la fin de l’émission dans quelques instants.

Donc, Chemins de traverse est en direct tous les mercredis à 22 h.

Alors, prochain rendez-vous, donc la semaine prochaine, mercredi 21 mai.

Notre invitée a une double vie pour reprendre ce qu’elle m’a écrit. Elle est responsable communication le jour et la nuit elle danse.

On parlera de son parcours, de son métier, mais aussi beaucoup de danses sociales.

Ces danses où on peut danser en couple, mais également des danses dans lesquelles on change de partenaire plusieurs fois pendant la danse.

On ne parlera pas que de technique de danse, mais de la danse et de la musique comme vecteurs de patrimoine, de multiculturalisme.

Elle nous parlera également de thématiques transversales qui concernent toutes les danses sociales et qui parleront à nos invitées d’aujourd’hui : la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, l’approche dégenrée, le handicap et la danse, la transmission des danses.

Donc on se retrouve la semaine prochaine.

Salut et solidarité.



Sauf mention contraire et autres licences applicables cette œuvre sonore de Cause Commune est mise à disposition selon les termes de la

Licence Creative Commons Attribution - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.