#16 – Jean-Pierre Paulhac – Afrique, éducation, poésie
proposée par Élise, Fred, Julie et Mehdi
Diffusée le 8 janvier 2025
16e émission Chemins de traverse diffusée en direct mercredi 8 janvier 2025 à 22 h
Notre invité est Jean-Pierre Paulhac, qui partagera avec nous sa passion pour l’Afrique, son expérience d’enseignant et de proviseur-adjoint et de principal, son goût de la littérature et de l’écriture.
Sommaire
Liens
- compte Facebook de Jean-Pierre Paulhac
- émission de radio Pause poésie
- recueil de poèmes En vers et cris
À l’oreille
- La ruelle des morts par Hubert-Félix Thiéfaine
- C’est extra par Léo Ferré
- Schmaltz par Jahzzar (générique)
Transcription
Note concernant la transcription : nous avons choisi, comme le préconise l’article Pourquoi et comment rendre accessible un podcast ?, une transcription fidèle aux propos tenus, sans suppression des tics de langage (les phrases qui ne finissent pas (…), les répétitions, les onomatopées).
Voix du générique (Laure-Élise Déniel) : Cause Commune, Chemins de traverse, d’autres voies pour imaginer demain.
Fred : Bonsoir à toutes, bonsoir à tous pour ce 16e épisode de Chemins de traverse, d’autres voies pour imaginer demain, le premier épisode de 2025.
Dans Chemins de traverse, Julie, Élise, Mehdi et moi-même, Fred, nous espérons vous proposer de belles rencontres et mettre en avant des parcours personnels, professionnels, des passions, des engagements.
Merci de nous accueillir dans votre salon, votre cuisine, voire votre chambre, ou peut-être encore pendant votre séance de sport.
Tout d’abord, nous vous souhaitons une belle année avec beaucoup de joie et de belles choses.
Nous espérons y contribuer par de belles rencontres lors des émissions.
Notre invité ce mercredi est Jean-Pierre Paulhac, qui partagera avec nous sa passion pour l’Afrique, son expérience d’enseignant et de professeur adjoint et de principal, son goût de la littérature et de l’écriture.
Bonsoir Jean-Pierre.
Jean-Pierre : Bonsoir et puis bonne année, bien sûr, 2025, c’est une nouvelle année.
Les chiffres en 5, paraît-il, c’est bien, alors ce serait vraiment sympa.
Fred : On l’espère aussi.
Alors avant que la discussion commence, je vous rappelle que nous sommes en direct ce mercredi 8 janvier 2025 sur radio Cause Commune, la voix des possibles, sur 93.1 FM et en DAB+, en Ile-de-France, partout dans le monde, sur le site causecommune.fm.
N’hésitez pas à participer et à intervenir en direct.
Julie réalise l’émission de ce soir.
Bonsoir Julie.
Julie : Bonsoir et bonne émission.
Fred : Merci. Donc Julie attend vos appels.
Pour cela, notre téléphone est branché.
Appelez-nous au 09 72 51 55 46.
Je répète, 09 72 51 55 46.
Ou alors vous pouvez réagir sur le salon web de la radio.
Rendez-vous sur le site causecommune.fm, bouton chat, salon Chemins de traverse.
Donc, rebonsoir Jean-Pierre.
Alors, comme on est entre amis et qu’on ne cache rien à nos auditrices et aux auditeurs, on va dire tout de suite qu’on se connaît.
Jean-Pierre : Sans blague.
Fred : Même pour des raisons familiales, car tu es tout simplement le grand cousin de mon épouse Coralie, que nous avons en plus le plaisir d’accueillir aujourd’hui, qui est dans le studio, qui interviendra peut-être tout à l’heure.
Voilà, donc on se connaît et on s’est rencontrés, alors on en parlera peut-être en fin d’émission, lors d’un concert d’Hubert-Félix Thiéfaine.
Jean-Pierre : Deux fois.
Fred : Deux fois, voilà.
Et on en parlera tout simplement parce que tu prépares un manuscrit sur Thiéfaine, mais ce sera plutôt en fin d’émission.
Jean-Pierre : Tout à fait.
Fred : Donc, comme je le disais en introduction, tu vas nous partager ta passion pour l’Afrique, ton expérience d’enseignant, de professeur adjoint, de principal, ton goût de la littérature et de l’écriture.
Voilà des thèmes qui seront abordés ce soir et peut-être d’autres.
Mais comme dans chaque émission Chemins de traverse, on va commencer un peu par dérouler ton parcours, plus ou moins chronologiquement, pour savoir d’où tu viens.
Parce qu’on aime bien, effectivement, dans Chemins de traverse, de savoir d’où viennent les gens.
Alors, on va rien cacher, tu es né en 1952.
Jean-Pierre : C’est ça.
Alors, je suis né dans un petit village de l’Isère, Bourgoin-Jallieu.
Mais j’ai passé ma première enfance, mes deux premières années, dans un petit village de l’Isère qui est célèbre, La Côte-Saint-André, parce que c’est le village natal d’un grand musicien, Hector Berlioz.
Fred : D’accord.
Jean-Pierre : Voilà, donc c’est le village natal de ma mère également.
Et puis, mes parents se sont installés à Lyon.
Mon père avait trouvé du travail.
Donc, c’est pourquoi j’ai l’habitude de dire, je suis arrivé à Lyon, j’avais deux ans. Je suis véritablement, profondément, totalement lyonnais, jusqu’au bout des ongles.
Et quand on m’écoute bien, mon accent ne peut pas tromper.
Je crois que Coralie a aussi passé quelques années à Lyon, qu’elle en garde un bon souvenir.
Jean-Pierre : C’est un point commun.
Fred : C’est un autre point commun.
Alors, quelque chose qui, en préparant l’émission, j’ai vu que, tu me l’as confirmé tout à l’heure, hors antenne, quelque chose qui a marqué ton parcours, c’est tes études en primaire et secondaire. Parce que tu as fait toutes tes études primaire et secondaire dans des écoles catholiques.
Jean-Pierre : Effectivement, c’est un choix de mes parents.
Mes parents étaient des gens, tous les deux sont décédés malheureusement, étaient des gens tout à fait modestes.
Mon père ouvrier, ma mère employait des PTT.
Et ils n’ont eu qu’un seul enfant parce qu’ils croyaient à l’ascenseur social.
Et ils pensaient qu’en ayant un seul enfant, ils allaient pouvoir propulser cet enfant le plus haut possible.
Mon père avait des projets pour moi.
Il me voyait ingénieur, voilà.
Donc, ils ont fait le calcul pour se dire « s’il doit réussir, il faut qu’il soit suivi »
Et leur raisonnement, « il ne peut être suivi que dans des écoles privées »
Et puis, comme mes parents étaient quand même très engagés à droite, ils redoutaient l’influence de la gauche et du parti communiste, notamment dans les écoles.
Donc, ils ont voulu me garantir de tout cela.
Ce qui fait que je n’ai rencontré l’école publique qu’à l’université.
Fred : Alors, avant de venir à ce que tu as fait à l’université, quel impact ça a eu en fait, et notamment par rapport à ce dont on va parler tout à l’heure.
J’ai l’impression que mon micro décroche quelquefois, je ne sais pas pourquoi.
Ce dont on va parler tout à l’heure, notamment ta poésie. Quel impact ça a eu sur la suite de ta carrière, de ton parcours ?
Jean-Pierre : Je pense que mon itinéraire africain a quelque chose à voir avec ça, quelque part.
Quand on regarde bien, il y a d’autres raisons que l’on évoquera.
Mais, je me souviens que dans le pensionnat où j’étais, à Neuville-sur-Saône, à Notre-Dame de bellegarde, il y avait chaque année ce qu’ils appelaient la journée de la vocation.
Et, venait nous voir, on arrêtait les cours ce jour-là, venait nous voir un prêtre qui était missionnaire.
Et il venait nous parler de ce qu’il faisait en Afrique dans les missions.
Alors je pense que quelque part, inconsciemment, ça a dû laisser quelques traces dans mon esprit.
Et un jour, j’avais acheté des cartes postales, qu’ils te vendaient des cartes postales en noir et blanc.
Et comme ça, par hasard, bien longtemps après, j’ai retrouvé ces cartes postales.
C’était des cartes postales de deux pays, le Cameroun et le Tchad.
Et c’est les deux pays par lesquels j’ai commencé mon itinéraire africain.
C’est une coïncidence, évidemment.
Fred : C’est une coïncidence marrante.
Jean-Pierre : Oui, voilà, c’est très étonnant.
Alors ensuite, moi j’étais très facilement impressionnable quand j’étais jeune, encore maintenant d’ailleurs.
Mais donc, je suis entré dans la foi catholique à fond.
Fred : Donc c’était des écoles privées où vraiment, il y avait l’obligation de faire le catéchèse, la messe, tout ça ?
Jean-Pierre : Une messe par semaine.
Fred : D’accord, parce qu’aujourd’hui, il y a beaucoup d’écoles catholiques privées qui n’ont pas cette obligation.
Jean-Pierre : Moi j’étais au pensionnat.
La messe par semaine était le matin.
Et une fois par semaine, on se levait à 6h du matin pour aller à la messe.
Mais c’est là que j’ai fait mon premier mouvement social.
Fred : C’est-à-dire ?
Jean-Pierre : La grève de la communion.
Un matin, on n’est pas allé communier.
C’était pas concerté.
Mais à l’époque, pour communier, le curé gardait le ciboire et il tendait l’hostie et il attendait que les gamins viennent.
Et là, ce matin-là, aucun gamin n’est venu.
Il est resté avec son ciboire et son hostie.
Bon, il tapait du pied même pour nous appeler, rien.
Bon, ce qui nous a valu une grande dispute du préfet des études, c’est-à-dire le numéro 2 du collège, au petit-déjeuner, qui est venu nous engueuler et tout ça.
Mais voilà.
Alors l’itinéraire, c’est que de la foi, je suis passé à l’interrogation très, très forte.
Et quand j’ai quitté le pensionnat pour aller à la demi-pension sur la Croix-Rousse chez les Chartreux, les pères Chartreux, j’étais déjà en bonne voie vers l’athéisme.
Fred : D’accord.
Mais on verra sans doute en fin d’émission, dans le cours de l’émission, que tu as renforcé ton athéisme au cours des années.
Jean-Pierre : Moi, mon problème, c’est que, pardon d’être immodeste, mais mon athéisme, je sais d’où il vient.
Je connais parfaitement ses racines.
C’est que moi, il ne faut pas trop me raconter des choses sur les textes, notamment les évangiles.
Je les connais très bien.
J’ai une culture catholique extrêmement enracinée.
Donc, on ne peut pas trop me dire de bêtises là-dessus.
Donc, mon athéisme est finalement lié à ça.
Fred : D’accord.
Alors, tout à l’heure, tu disais, avant de parler de l’université, tu disais que tes parents te rêvaient comme ingénieur.
Mais toi, quand tu étais en primaire ou en secondaire, est-ce que tu savais déjà ce que tu voulais faire ?
Jean-Pierre : Malheureusement, les mathématiques, il n’y a pas moyen.
Fred : D’accord.
Jean-Pierre : Ça a été catastrophique.
Fred : Donc, pas ingénieur, mais est-ce que tu savais ce que tu voulais faire ?
Est-ce que tu avais des idées ?
Jean-Pierre : Alors, à l’époque, l’école était préorientée très tôt.
Il n’y avait pas la possibilité que l’on a maintenant de changer d’orientation.
Donc, le collège où j’étais à Neuville-sur-Saône, c’est ce qu’on appelait un collège moderne, qui poussait vers les sciences.
Et moi, visiblement, ce n’était pas pour moi.
Donc, on m’a rapatrié en demi-pension au Chartreux.
Sur la Croix-Rousse.
Et là, j’étais dans le classique.
Mais, comme je n’avais pas fait de latin, ils m’ont engagé dans cette espèce de voie intermédiaire, qui était ce qu’on appelait la terminale A4, qui était une terminale littéraire.
Les A, en littéraire.
Qui ne faisaient pas de latin, mais qui faisaient, pour avoir une connaissance de la culture latine, des textes traduits.
Et c’est là que j’avais des profs intelligents qui m’ont fait connaître Homer en français, qui m’ont fait connaître toutes les pièces classiques du théâtre grec, les poètes romains.
Fred : Donc, c’est là que tu as découvert la littérature et un vrai goût pour la littérature.
Jean-Pierre : La littérature classique.
Et puis, entre-temps, moi, quand j’étais en études le soir, et qu’on devait faire des devoirs de maths, souvent, quand il y avait un grand à côté de moi, je lui piquais son Lagarde et Michard.
Jean-Pierre : Les fameux Lagarde et Michard, qui étaient des…
Fred : Rappelle ce que c’est ?
Alors, Lagarde et Michard, c’est la collection la plus célèbre de littérature générale.
Il y en avait un par siècle. 16e, 17e, 18e…
Je lui piquais son bouquin, je feuilletais, je regardais ça.
Donc, la littérature m’a très vite attiré.
Et puis, j’ai eu très tôt, c’est important pour la suite, ce fantasme d’avoir un jour mon nom sur une couverture.
Fred : Ça va être ma question suivante.
Tu as la découverte de la littérature, mais la découverte, ou en tout cas, l’arrivée de l’envie d’écrire, toi-même.
Jean-Pierre : En même temps.
Fred : Tu avais cette envie et cette conviction que ça allait se produire ou pas ?
Jean-Pierre : Le rêve, évidemment.
Mais j’ai toujours eu envie, quand je vois quelque chose, de faire la chose.
Donc, j’ai écrit des poèmes très tôt.
Fred : Quand tu dis trop tôt, quel âge, à peu près ?
Jean-Pierre : L’âge de la troisième, à peu près.
Fred : Ah oui, d’accord.
Jean-Pierre : 13 ans, 14 ans, puis j’ai continué après.
Fred : D’accord.
Tu découvres l’école publique à l’université pour faire des études de lettres modernes ?
Jean-Pierre : De lettres modernes, effectivement.
Fred : Je reviens sur ma question, est-ce que tu avais une idée de ce que tu voulais faire ?
Ces études de lettres modernes, on a bien compris, c’était une passion.
Mais est-ce que tu savais à quoi ça pouvait te servir derrière ?
Jean-Pierre : J’étais parti pour l’enseignement, au grand désespoir de mes parents.
Fred : Parce que l’enseignement, à l’époque, était rempli de gauchistes, on va le rappeler [rires].
Jean-Pierre : Oui, bien sûr.
Moi, je suis arrivé à la fac dans les années 70, c’est-à-dire que j’étais dans la fac de l’après 68.
J’ai toujours eu un sentiment extrêmement curieux vis-à-vis de 68. 68, je ne l’ai pas fait, j’avais 16 ans, j’étais en seconde, j’étais chez les curés.
Mais arrivé à l’université, ça a été une bouffée de liberté.
Je participais à des mouvements, qui étaient assez ridicules.
On a fait des mouvements universitaires, je participais.
Mon père était fou de rage, évidemment.
On se disait, allez, continuons le combat, ce n’est qu’un début, continuons le combat.
Mais c’était dérisoire, en réalité.
Fred : Comment ça se passait ? Tu parles de ton père, mais ta mère, c’était la même chose ou pas ?
Jean-Pierre : Je crois que nous étions dans un couple très classique, où la personnalité du père écrasait complètement ma mère.
Et dans les choix d’éducation, les choix d’orientation, c’était un choix paternel.
Il y avait bien une petite concertation, sans doute, mais c’était clair.
Fred : Et les discussions n’étaient quand même pas trop difficiles, justement, avec tes parents, donc principalement ton père, par rapport à ton choix de devenir prof ?
Jean-Pierre : On est très rapidement arrivé en opposition, parce qu’il voulait me mettre dans des écoles pour me protéger de l’engagement à gauche.
Évidemment, dès que j’ai eu un soupçon de liberté, qu’est-ce que j’ai fait ?
Je suis allé à gauche, à l’extrême gauche, bien entendu.
Donc c’était dur, quoi.
Oui, c’était dur.
Je me suis construit en opposition à mon père, et mon père s’est construit aussi en opposition à son père.
Fred : Dans quel sens ?
Jean-Pierre : Mon grand-père était syndicaliste CGT à Peugeot.
Fred : D’accord.
Jean-Pierre : Mon père, non.
Fred : Il était plutôt dégoûté ?
Jean-Pierre : Oui, il était plutôt fasciné par ce mouvement qui, avant la guerre, était presque fascisant. Je ne me souviens plus. Il ne s’est pas rallié à Pétain, il est entré dans la Résistance, mais les croix d’anciens combattants et tout ça, je ne sais plus le nom. Le colonel de La Rocque Roque était le responsable de ce mouvement [note de transcription : mouvement des Croix de Feu].
Fred : Je ne connais pas.
Jean-Pierre : Dieu merci, ce mouvement-là ne s’est pas rallié à Pétain. Il est entré dans la Résistance.
Mon père a toujours été fasciné par l’homme fort.
Et à la Libération, tout naturellement…
Fred : C’était de Gaulle, l’homme fort ?
Jean-Pierre : Bien sûr.
Fred : D’accord.
Donc tu fais des études de lettres modernes à Lyon 3 ?
Jean-Pierre : Lyon 2.
Fred : Lyon 2, d’accord.
Lyon 2, attention, il y avait une…
Fred : Ce n’est pas le même type d’université ?
Jean-Pierre : Non.
Lyon 3, c’était l’université où il y a eu des professeurs révisionnistes.
Fred : Ah oui, Faurisson et compagnie, c’est ça ?
Jean-Pierre : Absolument.
D’accord.
Fred : Donc excusez-moi.
Jean-Pierre : Lyon 2, c’était plutôt la fac de gauche.
Fred : D’accord.
Comme à Paris, effectivement, à l’époque, il y avait différents types de fac.
Jean-Pierre : En mai 68, Lyon 2 et Lyon 3, enfin qui n’étaient pas Lyon 2 et Lyon 3, c’était la fac de lettres et la fac de droit.
Il y a une rue qui les sépare.
Ils s’envoyaient des cocktails Molotov d’un bout de la rue à l’autre.
Fred : C’était une bonne ambiance.
Jean-Pierre : C’était quelque chose.
Mais ça, je ne l’ai pas connu.
C’était 68.
Fred : Donc tu fais des études de lettres modernes.
Tu arrives au bout de tes études.
Et là, il y a un moment où, pour beaucoup de garçons à l’époque, jusqu’à peut-être 95, je ne sais plus quand ça s’est terminé, il y a le service militaire.
C’est-à-dire qu’on doit donner…
A l’époque, c’était les 12 mois.
Jean-Pierre : C’est ça.
Fred : Et toi, tu fais un choix.
Jean-Pierre : Premièrement, quand on avait des études, on avait le droit au sursis.
Et puis, il y avait la fameuse loi Debré.
Fred : Jusqu’à 94, c’est ça.
Jean-Pierre : Voilà, la loi Debré qui ralentissait les sursis, interdisait les sursis un certain temps.
Je manifestais évidemment contre cette loi-là.
C’est l’époque où on mettait Debré avec un entonnoir sur la tête.
Fred : Oui, parce qu’il était trop bête, c’est ça ?
Jean-Pierre : Oui, c’est ça.
Et bon, malgré tout, en 1974-75, il a fallu que mon sursis ait été terminé.
Il fallait faire un choix.
Et je n’avais pas du tout envie de faire le service militaire.
Pour ne pas faire le service militaire à cette époque-là, qui était une obligation, il y avait trois pistes.
Fred : Et qui durait 12 mois, à l’époque.
Jean-Pierre : Absolument.
Il y avait trois pistes.
L’insoumission, mais il faut être courageux.
Fred : Parce que les risques, c’est de finir en prison.
Jean-Pierre : On finit en prison.
L’objection de conscience, mais il faut avoir des raisons pour cela.
Fred : Et ça dure 24 mois.
Jean-Pierre : Mon athéisme n’avait absolument rien à déclarer.
Donc il me restait la coopération.
Fred : Attends, juste avant la coopération, l’objection de conscience, il fallait afficher des raisons ?
Jean-Pierre : Ah oui, oui.
Fred : Ce n’était pas une possibilité qui était non-refusable ?
Jean-Pierre : Ah, il fallait…
Les témoins de Jéhovah, par exemple, étaient des objecteurs de conscience.
Fred : D’accord.
Je pensais que la difficulté, c’est surtout que ça durait 24 mois plutôt que 12.
Jean-Pierre : Ah, il fallait quand même.
Il fallait communiquer des raisons.
Fred : D’accord, ok.
Donc tu refuses ça.
Et donc il reste la coopération.
Jean-Pierre : La coopération.
Fred : C’est quoi la coopération ?
Jean-Pierre : Alors la coopération, c’est-à-dire qu’au lieu de faire 12 mois, on fait 18 mois.
Et on le fait dans un pays du Tiers-Monde.
Il y avait plusieurs possibilités.
Il y avait encore la possibilité de l’Asie.
Plus pour longtemps.
Mais il y avait encore.
Et puis l’Afrique.
Alors c’est peut-être là que les visites des missionnaires à Notre-Dame de bellegarde sont revenues.
Je ne sais pas.
Mais je me suis dit, pourquoi pas l’Afrique ?
Et puis, bon, voilà, j’avais vu des images. Mais je n’avais absolument aucune idée tiers-mondiste.
Aucun engagement dans ce sens-là.
Ma hantise, c’était de ne pas porter l’uniforme.
Ne pas obéir à des caporaux, des sergents.
Ne pas tomber dans cette trivialité de militaire.
Enfin voilà, Jacques Brel « au suivant ».
Enfin voilà, le genre de choses comme ça.
Et j’avais tellement peur de ne pas y aller que j’ai demandé à mon père.
Je lui ai dit, écoute, « voilà, j’ai rempli le dossier ».
« Est-ce que tu peux me faire cette faveur de me payer le billet de train pour aller à Paris ? J’ai tellement peur que par la poste ils se perdent, que j’aille le porter. »
Mon père a accepté.
Fred : J’allais poser la question, parce que ton père, se dire faire l’objection, enfin pas l’objection de confiance, la coopération ?
Jean-Pierre : Non mais ça, bon.
Fred : Finalement ça allait en fait ?
Jean-Pierre : Ça allait.
N’importe comment, il avait bien compris que quoi qu’il fasse, il allait se retrouver contre moi.
Que entre deux mots, il faut choisir le moindre.
Dans le fond, il s’est dit aussi, attends, il va aller connaître l’Afrique.
Là-bas, il va connaître des difficultés.
Là, il va comprendre un peu la réalité du monde.
Il va arrêter.
Il n’a pas tort.
Fred : On en parlera, oui.
Jean-Pierre : Il n’a pas tort.
Parce que le réel est venu très vite.
Mais donc, il a accepté.
Donc, je suis au ministère de la coopération.
« Mais qu’est-ce que c’est que ce malade ? »
Personne n’a apporté le dossier depuis Lyon.
Prendre le train.
Je l’ai fait.
Et j’ai été pris.
Et donc, ils m’ont envoyé quand on y pense quand même.
Je n’avais jamais pris d’avion.
J’avais 23 ans.
C’était en 1975.
En novembre 1975. 23 ans.
Ils m’ont envoyé à Garoua.
Fred : C’est dans quel pays ça ?
Jean-Pierre : Cameroun.
Fred : D’accord.
Jean-Pierre : Nord Cameroun.
Fred : Tu n’avais pas le choix du pays, de la destination.
On ne te proposait pas une liste.
Jean-Pierre : Non, on t’envoyait…
On est quand même militaire.
Fred : Oui.
Donc, tu avais une affectation.
Tu ne pouvais pas refuser.
Jean-Pierre : Voilà.
J’ai pris un avion UTA.
À l’époque, c’était UTA.
Une compagnie qui n’existe plus.
Donc, on faisait UTA Paris-N’Djaména, au Tchad.
On dormait une nuit dans un hôtel à N’Djaména.
Et à N’Djaména, on prenait un Boeing 737.
Les avions qui ont eu un problème il n’y a pas longtemps.
Le Boeing 737 qui faisait N’Djaména-Garoua, où il y avait un aéroport, dans le nord Cameroun.
Et là, je ne sais pas si je vais trouver des mots pour le dire, mais ça a été un bouleversement total.
J’étais face à un monde qui, pouf, c’était…
Il y avait tout à la fois.
Il y avait des choses qui me semblaient terribles.
On voyait bien de la misère.
Mais il y avait une beauté.
Il y avait un sourire.
Il y avait des paysages exceptionnels.
J’étais entré dans le livre d’images que j’avais pu voir ici ou là, ou dans les reportages et tout ça.
J’étais entré dans…
Je le dis souvent, mais bon, ça, il ne faut peut-être pas trop le dire.
J’étais entré dans la bande dessinée Tintin au Congo.
C’était vraiment, vraiment exactement cette image de l’Afrique.
Le nord Cameroun, c’est un pays sahélien.
Donc, les cases sont des cases rondes.
Nous sommes en 1975.
Donc, on n’est pas très loin de l’indépendance.
L’indépendance, c’est 1960.
Donc, 15 ans après.
Moi, j’ai découvert ça.
C’était hallucinant.
Puis, j’ai découvert mon métier, parce que je n’avais jamais fait cours de ma vie.
Fred : Alors, attends, avant ça.
Ce choc, tu l’as eu dès l’arrivée, entre guillemets, dès la sortie de l’avion ?
Jean-Pierre : Ah ouais.
Fred : Tout de suite, tu t’es dit…
Jean-Pierre : Dès que tu débarques dans un aéroport africain, tu ne sais plus où tu es, quoi.
Il y a une cohue.
Il y a le bruit.
Il y a des odeurs que tu n’as pas l’habitude de sentir.
Tu as un parfum.
Tu as un ciel d’une luminosité.
C’est un pays sahélien.
Voilà.
Et puis, toutes ces routes où les gens sont sur des vélos à bras cadabrans, où l’on voit des femmes qui portent des chargements invraisemblables sur la tête.
Et tous ces gens sourient.
Tous ces gens sourient.
Ils ont le sourire.
C’est un choc.
Quand on vient de la France au visage fermé, de la France qui fait la gueule, et que l’on voit des gens qui n’ont rien ou si peu, et qui sourient de toutes leurs dents.
Le sourire africain, c’est la première politesse de l’Afrique.
Alors bien sûr, on se trompe beaucoup sur la réalité du sourire, mais c’est quand même quelque chose qui te marque d’emblée.
Et puis, la beauté des corps, les hommes, les femmes, la beauté des femmes, j’ai tout de suite été…
Et puis, mon premier contact avec les classes.
Je vous raconte ça, quand même.
Fred : Tu es affecté dans quelle structure ?
Jean-Pierre : Alors, je suis affecté dans le lycée moderne de Garoua, qui est un lycée camerounais.
Le proviseur est français.
Le censeur est français.
Il y a, au bas mot, 20 professeurs de coopération.
Fred : Il n’y a que des français, quoi.
À part les élèves.
Jean-Pierre : Et puis, tous les élèves sont africains.
Il y avait quelques élèves français pour des gens qui étaient installés pour des raisons professionnelles dans Garoua.
Et les salles de classe, c’était ce qu’on appelait au Cameroun des boukarous, c’est-à-dire des maisons rondes, des petites cases rondes, larges, suffisamment larges, en dur, comme l’on dit, avec des toits de chaume.
Voilà.
Et j’entre dans cette classe.
Le censeur me présente à la classe.
J’ai 23 ans.
Ils mettent une classe de terminale.
Fred : Terminale dans quelle discipline ?
Jean-Pierre : En français.
Fred : Ah oui, français, d’accord.
Jean-Pierre : Bien sûr, français.
Le proviseur me dit, vous venez de l’université.
Vous allez faire les terminales, les terminales littéraires.
Bon, alors j’avais un proviseur qui était un vieux colonial, d’un racisme épouvantable.
Et il me dit, « bon, je vous laisse une semaine parce qu’il faut travailler ».
Le programme, c’est de la littérature africaine.
Je vous préviens, ça ne vaut rien.
C’est nul, ils ne savent pas écrire.
Comme ça.
Le proviseur.
Bon, pas de pot.
Quand je suis entré dans les bouquins, notamment ce livre que je vous recommande, L’aventure ambigüe de Cheikh Hamidou Kane, écrivain sénégalais, qui a structuré ma réflexion sur l’Afrique.
Donc, quand j’ai vu ce bouquin, j’ai dit, wow, c’est super intéressant.
Donc, j’ai travaillé dessus.
Et puis, vient le moment où le censeur me présente à la classe.
Et je commence par une classe de terminale.
Quand je rentre dans cette classe, qui n’était pas trop chargée.
J’expliquerai pourquoi.
Mais le Nord Cameroun était protégé.
Fred : Quand tu dis pas trop chargé, combien d’élèves ?
Jean-Pierre : 23.
Fred : D’accord.
Jean-Pierre : Tout à fait convenable.
Mais je rentre dans cette classe.
Je regarde tous les élèves, filles et garçons.
Je vois les mecs, des musculeux, des grands gaillards et tout ça.
Wow.
Et des nanas, c’était la mode des cheveux afro.
Des coiffures afro, comme ça.
Puis j’ai les regards, je dis, wow.
Mais je suis peut-être bien un des plus jeunes de la classe.
Fred : Ah oui, donc ce n’était pas des mineurs.
Jean-Pierre : Non.
Des gaillards.
Et puis, qu’est-ce que je fais ?
Je m’en vais, je retourne chez ma mère ?
Ça veut dire qu’ils vont m’envoyer dans un régiment disciplinaire en Allemagne.
Ben non, j’y vais.
Et puis, je leur dis de prendre un cahier.
Et tous ces grands gaillards, ces grands nanas, prennent un cahier.
Et m’écoutent.
Et je leur parle de la littérature africaine.
Je leur explique leur littérature.
Et ils m’écoutent.
C’est là que je me suis rendu compte que, ouais, bon. Peut-être bien que c’est mon métier, dans le fond.
Fred : Ou est-ce que tu es bien tombé ?
Dans les autres classes, ça se passait pareil ?
Jean-Pierre : Pareil.
Fred : Quand tu discutais avec tes collègues, ils te disaient que c’était la même chose.
Jean-Pierre : Non, non, c’était bien.
Nous sommes en 1975.
Il faut bien comprendre ça.
Il y a encore, dans la tête des gens, même des jeunes, une certaine image du blanc et de la France.
Fred : Laquelle ?
Jean-Pierre : C’est l’ancien colon, quoi.
C’est l’ancien patron, quoi.
C’est pas vieux.
À l’échelle de l’histoire, 15 ans, qu’est-ce que c’est ?
Fred : C’est rien, ouais.
Jean-Pierre : C’est rien.
Donc, on est à côté, quoi.
Et il y avait cette espèce de respect, dont j’ai profité.
Mais je pense que j’ai profité sans en abuser.
J’ai pu établir des liens.
Certains élèves venaient chez moi.
On avait des relations tout à fait sympathiques.
Mes deux années dans le Nord-Cameroon se sont vraiment très bien passées.
Je n’ai que des bons souvenirs pédagogiques.
Mais j’ai découvert la littérature africaine.
Et je me suis mis à fond dans la littérature africaine.
Au point, en rentrant à Lyon, pendant les vacances, d’aller à l’université Lyon II, et de leur proposer un doctorat. J’avais une maîtrise. Donc, un doctorat de troisième cycle.
Fred : Alors, ce que je propose, c’est qu’on fasse une pause musicale avant d’aborder cette partie-là.
Comme je te l’ai dit, le temps passe très vite.
Donc, les pauses musicales, tu les as choisies.
Et donc, on va commencer par C’est extra de Léo Ferré.
On se retrouve dans environ 4 minutes.
[ Diffusion de la pause musicale ]
Voix du jingle (Laure-Élise Déniel) : Cause Commune, 93.1.
Fred : Nous venons d’écouter C’est extra par Léo Ferré.
Vous écoutez toujours en direct l’émission Chemins de traverse.
Je suis toujours avec Jean-Pierre Paulhac.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46.
Je répète, 09 72 51 55 46.
Ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton chat, salon Chemins de traverse.
Donc, juste avant la pause musicale, Jean-Pierre nous expliquait qu’après sa coopération, le Service national de la coopération, deux ans au Cameroun, il est de retour en France.
Il a découvert la littérature africaine.
Et tu proposes de faire un doctorat.
Jean-Pierre : Un doctorat.
C’est-à-dire qu’à l’époque, on faisait d’abord un DEA.
Fred : Un diplôme d’études approfondies.
Jean-Pierre : C’est ça.
C’était, en fait, le plan approfondi du doctorat.
Et ensuite, une fois que le DEA a été accepté, on devait se mettre au travail et rédiger.
Alors, c’est ce qu’on appelle le petit doctorat.
C’est un doctorat de troisième cycle.
Ce n’est pas le doctorat d’État.
Fred : D’accord.
Jean-Pierre : À l’époque, il y avait deux doctorats.
Donc, ensuite, quand mon temps de service est passé au Cameroun, le raisonnement que je me suis vite tenu, c’est que si je rentre en France maintenant, je vais être quoi ?
Maître auxiliaire.
Je ne suis pas certifié.
Je n’ai pas le CAPES.
Je n’ai rien.
J’ai juste une maîtrise.
Donc, je vais être maître auxiliaire.
Je vais avoir du mal.
Donc, qu’est-ce que j’ai fait ?
Quand je suis rentré, je me suis arrêté à Paris.
Je suis allé au ministère.
Puis, je leur ai dit, bon, est-ce qu’il n’y a pas des choses ?
Fred : Au ministère de l’Éducation nationale ?
Jean-Pierre : Au ministère de la Coopération.
Fred : Ah, de la Coopération.
Rue Monsieur.
Rue Monsieur, c’est pas loin de Duroc.
Le métro, métro Duroc.
Et ils ont dit, écoutez, laissez-nous un coup de fil.
C’était dans les années 77.
On est encore très près.
Il y a beaucoup de coopérants.
La coopération, à l’époque, c’est une coopération que l’on appelle de substitution.
C’est-à-dire que les professeurs vont sur place.
Et puisqu’il n’y a pas assez de professeurs africains, on met des professeurs français.
Bon.
Et puis, un jour, on me téléphone.
On me dit, « le Tchad, ça vous dit ? »
Je dis « ben oui ».
Moi, j’étais tout seul.
J’avais personne.
Voilà.
Et donc, je suis parti au Tchad.
Et cette fois-ci, comme coopérant contractuel.
C’est-à-dire que je n’étais plus militaire.
J’étais civil.
Et ils m’ont payé, donc, contractuel.
Alors, pour établir le contrat, qu’est-ce qu’ils ont fait ?
Et bien, ils ont calculé à partir de ma maîtrise.
Ils ont calculé à partir de mon DEA.
Et ce qui fait que j’avais un salaire tout à fait convenable.
Je ne me souviens plus le salaire en francs, exactement.
Mais c’était tout à fait convenable.
J’étais pratiquement payé aussi bien qu’un professeur certifié.
Et j’ai commencé à travailler.
Puis, je rédigeais, pendant ce temps, ma thèse.
Et puis, le Tchad, c’était un peu moins idyllique que le Cameroun.
Parce qu’au bout de deux ans, j’ai connu la guerre civile.
J’ai vu ce qu’était une guerre civile, quand elle commençait.
J’ai vu des scènes tout à fait pénibles.
Mais, à l’époque, il faut bien se souvenir de ça. Parce que maintenant, on est complètement ailleurs de cette époque-là.
À l’époque, les deux clans, d’un côté, donc, Hissène Habré, le nord. Et puis, le général Malloum, le sud.
Les deux clans cherchaient absolument à avoir la France avec lui.
Fred : Parce qu’il y avait une forte présence militaire française au Tchad à l’époque, il faut le rappeler.
Jean-Pierre : Eh bien, oui.
D’ailleurs, j’ai dormi à la base quand mon appartement ou l’appartement voisin a reçu un obus.
Donc, je me suis dit, non, quand même, c’est peut-être plus sympathique d’aller dormir à la base.
Donc, j’ai dormi à la base et j’ai été rapatrié en transall de l’armée française.
Et puis, c’est là, donc, dans le rapatriement, j’avais toujours un contrat.
Donc, j’étais payé et j’ai pu rédiger ma thèse tranquillement chez moi à Lyon.
Et je l’ai soutenu en 1979.
C’est un moment très fort pour l’égo parce qu’on fait venir ses amis, sa famille.
Les parents étaient là.
Et mon père m’a rien dit.
En revanche, il y a un de mes amis, qui était ami avec mon père, qui m’a dit peut-être quelques mois plus tard, il m’a dit, « tu sais, ton père ce jour-là, il m’a dit », «je n’ai pas reconnu mon fils, je ne savais pas que mon fils pouvait faire des choses comme ça ».
Mais ça, il ne me l’a pas dit.
Fred : Comme souvent les pères avec leurs enfants.
Jean-Pierre : C’était quand même très curieux ce relationnel.
Et j’ai même, dans la foulée, déposé un sujet de thèse d’État.
C’était donc prêt.
Je me souviens d’ailleurs du sujet.
Le personnage et le mythe du chef dans la littérature africaine.
C’était un très beau sujet.
Et puis, on m’a affecté au Congo et on m’a affecté en école française.
Donc là, j’ai dû travailler autrement.
J’ai dû apprendre le système éducatif français.
J’ai dû apprendre à travailler avec des élèves français.
Je n’allais pas faire de la littérature africaine.
Fred : Là, tu n’avais que des élèves français, c’est ça ?
Jean-Pierre : Nous sommes en 80.
Il n’y a pas encore l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, l’AEFE, qui sera créée après 81.
C’est une œuvre du gouvernement de Mitterrand.
Et l’école où j’étais dépendait du ministère de la coopération.
Pardon, c’était des crédits de la coopération qui servaient à l’enseignement des élèves français pour une école qui était en grande partie financée par les parents d’élèves.
Fred : D’accord.
Jean-Pierre : C’était de l’argent public hein.
Mais c’était une école semi-privée.
Et là, j’ai appris le métier de professeur de français.
Fred : Pour toi, ça a dû être un peu un choc par rapport à tes élèves.
Jean-Pierre : Oui, mais je me dis maintenant…
J’ai rencontré au Congo celle qui allait devenir ma femme.
Je commençais à me stabiliser, à penser un petit peu à l’avenir.
Il faudrait peut-être maintenant arriver à quelque chose.
J’ai vu que depuis le Congo, on pouvait passer l’écrit du CAPES.
Donc, j’ai passé l’écrit du CAPES.
J’ai été qualifié pour l’oral.
J’ai pris l’avion pour Paris.
Et j’ai réussi le CAPES comme cela depuis l’Afrique.
Fred : Ton objectif était, avec le CAPES, de retourner en France pour devenir prof ou de rester en Afrique ?
Jean-Pierre : Mon épouse étant africaine, j’avais envie de rester en Afrique.
Mais je commençais à prendre un peu de plomb dans la cervelle et me dire qu’il faut quand même que je construise quelque chose de solide.
Et là, dès que tu as le CAPES, tu es fonctionnaire.
Fred : Tout à fait?
Jean-Pierre : Donc, voilà, à partir de là, maintenant, c’est bon.
Et c’est vrai que la vie a changé à partir de là.
Fred : Donc, avec ta femme, vous êtes revenu en France ?
Jean-Pierre : Non, après 8 ans au Congo, 8 ans, je suis resté de 80 à 88. 8 ans dans l’école française au Congo.
Et là, on était maintenant en 88.
Donc, l’agence s’était créée.
Donc, il y avait un changement de structure.
Et la mission de coopération m’a dit « écoutez M. Paulhac, maintenant, 8 ans, c’est trop, onc, il faut penser, vous ne pouvez plus rester au Congo ».
Bon, alors j’ai fait deux choses.
Une demande de réintégration en France.
Mais comme je n’avais jamais enseigné à Lyon, à Lyon, on ne me connaissait pas.
Donc, c’est parti en France, quoi.
Et puis, je me suis dit, bon, qu’est-ce qu’on risque ?
On va demander une mutation en Afrique.
Donc, j’ai demandé les deux choses.
Et là encore, c’est curieux, le destin.
Il y a une académie qui m’a répondu.
Fred : Une académie en France ?
Jean-Pierre : Une académie française qui m’a répondu, qui m’offrait un poste de TZR.
Je ne savais pas ce qu’était un TZR à l’époque.
Titulaire de zone de remplacement.
Donc, celui qui va faire les remplacements dans tout.
Et le département du Loiret, que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam.
C’est Orléans-Tours qui m’a répondu.
J’ai dit à ma femme, puisqu’on était mariés « voilà, ma chérie, c’est là où on va aller ».
Fred : Elle a dû fermer la gueule, non ?
Jean-Pierre : Ben oui.
Et puis, on a eu une proposition en Afrique, mais en Mauritanie.
Alors, un peu de géographie.
Nous sommes au Congo.
Ma femme est congolaise.
Le Congo, c’est un pays de la forêt la plus luxuriante d’Afrique.
Il y a du vert partout.
Fred : Alors que la Mauritanie, c’est l’inverse.
Jean-Pierre : Il y a des endroits au Congo où tu ne peux pas entrer, tellement la forêt est dense.
Et là, on propose la Mauritanie, c’est-à-dire le Sahara.
Rien quoi, rien !
Alors, je lui ai dit « écoute, ma chérie, t’as le choix. On a Orléans-Tours, on a la Mauritanie ».
Fred : Donc c’est elle qui a décidé ?
Jean-Pierre : Ah ben oui
Fred : C’est bien.
Jean-Pierre : j’allais pas faire comme mon père, quand même.
Fred : Je pose la question.
Jean-Pierre : On est un couple, un vrai couple, quoi.
Fred : Et tu avais envie de rester aussi.
Jean-Pierre : Et puis je connaissais sa réponse.
Fred : Ouais.
Jean-Pierre : Ell m’a dit « la Mauritanie, c’est pas terrible, mais c’est l’Afrique, quand même ».
Eh ben alors, on y va.
Voilà.
Donc, nous sommes partis en Mauritanie.
Et là, ça a été certainement…
C’est le pays qui m’a le plus bouleversé.
Parce que quand on est au Cameroun, quand on est au Tchad, quand on est au Congo, on est en Afrique. Il n’y a pas de débat. On est en Afrique.
Mais c’est une Afrique qui a été colonisée par la France.
Et il y a des traces.
Et il y a des signes.
Il y a des choses qui nous font rire parfois, parce que c’est tellement déformé.
Mais on sent l’empreinte évidente.
La Mauritanie, c’est pas pareil.
On n’a jamais colonisé la Mauritanie.
On s’est occupé du fleuve Sénégal au sud. Et puis, on a plus ou moins géré les oasis. Mais c’est tout.
Les Maures, le peuple Maures…
La Mauritanie, c’est compliqué.
Mais le peuple Maures, autrement dit, le peuple arabo-berbère de la Mauritanie, ils n’ont pas, vis-à-vis du français, ce que j’appelle le complexe du colonisé.
Fred : Ils n’ont pas de complexe d’infériorité ?
Jean-Pierre : Ah non.
Ils auraient même plutôt un complexe de supériorité.
Parce qu’eux, ils sont capables de vivre dans le désert.
Et nous, non.
Nous, il nous faut des 4×4.
Il nous faut des glacières.
Il nous faut amener toute notre civilisation avec nous pour vivre dans le désert.
Eux, non.
Donc voilà, la Mauritanie est un pays qui m’a bouleversé.
Ça a été dur pour ma femme au début.
Et puis, je crois qu’elle en garde quand même de grands souvenirs.
Parce que c’est un pays qui marque.
Fred : D’accord.
Jean-Pierre : Qui marque.
Vraiment.
Fred : Et c’était votre dernière étape en Afrique ?
Jean-Pierre : Non.
Ça, on a été en Mauritanie jusqu’en…
Donc de 88 à 94.
Les contrats, c’était 2 ans, renouvelables 2 fois.
Donc 6 ans.
Et puis, on a tenté, encore une fois, un autre pays.
Et on est parti au Bénin.
Et là, le Bénin, c’était le retour à une Afrique.
Et là, le Bénin, c’est un pays où j’ai vraiment changé complètement d’orientation professionnelle.
En Mauritanie, j’étais encore en classe.
Même si j’avais un horaire déchargé et je faisais de l’animation pédagogique avec mes collègues mauritaniens, au Bénin, j’étais plus en classe.
J’étais dans un institut de formation.
On faisait des plans de formation.
Donc, j’ai parcouru tout le pays.
Bon, c’est un petit pays.
Mais voilà, je n’étais plus en classe.
Donc, j’avais une autre vision du système éducatif.
Et c’est certainement ce que j’ai le plus aimé dans mon métier de coopérant.
Et c’est peut-être là, parce que j’ai eu la chance de trouver un collègue béninois avec lequel je me suis super entendu, avec lequel on était complètement en réciprocité.
C’est-à-dire que chacun avançait des éléments et c’était pas, bien souvent en coopération, ton partenaire, tu le traînes.
Et puis, il suit.
Là, non.
Et on avait travaillé sur les projets d’établissements au Bénin.
Alors, je pense qu’il en reste beaucoup maintenant.
Mais on était passionnés par cela.
Et c’est cette idée de travailler avec les projets d’établissements qui a fait naître dans mon esprit, parce que là, on me disait à la fin du Bénin « Monsieur Paulhac, attendez, vous vous rendez compte, ça fait maintenant près de 20, 25 ans que vous êtes en Afrique. Ça va, il faut rentrer. C’est fini, vous n’aurez plus de poste ».
Fred : Donc, en fait, vous vous êtes rentré parce qu’on t’a dit que vous n’avez plus de poste, c’est ça ?
Jean-Pierre : Oui.
Fred : D’accord.
Jean-Pierre : Donc, je me suis dit…
Fred : Attends, juste une question avant qu’on passe au retour.
Est-ce qu’à cette époque-là, tu avais commencé à écrire ?
Jean-Pierre : Oui.
L’Afrique, je n’ai pas trop écrit en Afrique.
Fred : D’accord.
Jean-Pierre : On va y venir après.
Mais donc, je me suis dit, là, le raisonnement était le suivant.
Si je rentre en France maintenant, je vais être enseignant.
Bon, pas de problème.
Je me suis adapté à l’Afrique, je vais m’adapter à la France.
Mais à l’époque, on avait quand même trois enfants.
Et je me suis dit, bon, le salaire d’enseignant, ce n’est pas exactement le même salaire qu’un coopérant.
Et puis, bon, le monde est divisé en deux.
Il y a les gens, il y a les fourmis, il y a les cigales.
Moi, je ne suis pas fourmi, je suis plutôt cigale.
Et mon épouse était pareille.
Donc, on a vécu, on a vécu.
Mais on n’avait pas construit notre maison, quoi.
Et c’est mon épouse qui m’a dit « mais pourquoi tu ne tenterais pas de devenir chef d’établissement ? »
Je lui ai dit « attends, tu rigoles, tu m’as vu, moi, le vieil anar, là, qui écoute Léo Ferré, chef d’établissement. Tu rigoles, moi, maintenant, j’ai toujours travaillé en chemise à manches courtes. Je vais me mettre une cravate et être chef d’établissement ?».
Bon, et puis, l’idée a fait son chemin.
Je me suis renseigné.
J’ai passé le concours depuis le Bénin, par correspondance.
J’ai été qualifié à l’oral.
J’ai passé l’oral à Paris.
Je me suis dit, je vais me faire descendre, l’espèce d’oiseau exotique qui arrive pour un oral.
Et c’est peut-être, je le sais, tant pis pour l’immodestie, c’est le concours que j’ai le mieux réussi dans ma vie, puisque j’ai fini 45e national.
Donc, ça veut dire que j’ai bien réussi et que dans le département du Loiret, j’étais le deuxième, puisque c’est le Loiret que je vais choisir.
Pourquoi le Loiret ?
Pourquoi on a quitté Lyon ?
Parce que mon beau-frère était installé dans le Loiret.
Donc, je me suis dit, pour mon épouse qui connaît la France, mais qui la connaît en juillet et en août, c’est quand même mieux d’avoir un frère qu’elle peut rencontrer, parce que la France, au mois de janvier, au mois de février, pour une Africaine, c’est peut-être pas terrible.
Donc, on est parti à Orléans.
Voilà pourquoi Orléans.
J’avais aussi quelque part, j’ai regardé la carte Orléans-Paris, une heure.
J’ai toujours été fasciné par Paris.
Fred : D’accord, ok.
Mais pas pour des raisons éducatives, pour des raisons de littérature ?
Jean-Pierre : Je commençais quand je suis rentré en France.
Je me suis acheté un ordinateur, parce que j’avais des ordinateurs au Bénin, mais c’était pour le travail.
Et là, je me suis jeté sur Internet, et il m’est arrivé de rester jusqu’à deux heures du matin dans l’ordinateur.
Fred : Mais tu faisais quoi ?
Tu allais sur les réseaux sociaux, mais ça n’existait pas à l’époque.
Jean-Pierre : Ça n’existait pas à l’époque.
Et puis, j’ai cherché les sites de poésie.
Fred : Ah, ok.
Jean-Pierre : Et puis, j’ai trouvé le Club des Poètes.
Et puis, j’ai vu que le Club des Poètes avait un lieu, rue de Bourgogne.
Fred : À Paris ?
Jean-Pierre : Oui.
Et j’ai commencé à fréquenter la rue de Bourgogne à Paris.
Fred : Donc finalement, comme tu le dis, le choix d’Orléans, c’est aussi pour être proche de Paris.
Mais finalement, quelque part, tu disais tout à l’heure en introduction, au début, que très jeune, tu as commencé à écrire des poèmes vers 13-14 ans.
J’ai l’impression que c’est la découverte, l’accès à un ordinateur et Internet, qui t’a encouragé, ou en tout cas, qui t’a peut-être libéré l’esprit pour finalement te dire « peut-être que je pourrais écrire et publier ».
Parce que la force d’Internet, c’est qu’on peut publier les choses très facilement.
Jean-Pierre : Absolument.
Et puis, en Afrique, je n’ai pas trop écrit.
Et puis, sur la fin, j’ai beaucoup écrit des poèmes d’amour pour ma femme.
Et puis, l’Afrique.
Mais quand je suis rentré en France, j’ai eu envie de sentir tout ce que j’avais à dire sur l’Afrique.
J’ai essayé un petit ouvrage de réflexion, mais ce n’était pas terrible.
Non, il faut faire de la fiction.
Donc, j’ai fait du roman.
J’ai écrit huit romans sur l’Afrique.
Fred : À partir de quelle période ?
Jean-Pierre : Le premier est publié aux éditions du Cygne en 2008.
Et ensuite, j’en ai publié un par an, à peu près.
Fred : Que de la fiction ?
Tu n’as pas essayé de transposer ce que tu as appris en Afrique dans certains romans ? Plus ou moins.
Jean-Pierre : Quand je présente mes romans sur l’Afrique aux amis, ils me disent « ça va, arrête, c’est toi ».
Non, non, non et non.
J’ai pris des éléments de mon vécu.
Par exemple, dans Le conseil de discipline, l’arrivée dans le nord Cameroun, ça ressemble très vraisemblablement à ce que j’ai vécu.
Fred : Le proviseur dont tu parlais au début.
Jean-Pierre : J’avais besoin de le raconter ça.
J’avais besoin de m’en soulager.
Mais tout cela est malaxé, et pétri autrement, ce qui fait que ça donne une autre consistance.
Et c’est écrit dans un narratif qui emmène ailleurs.
Donc bien sûr, on me retrouve, mais ce n’est pas moi.
Fred : Est-ce que ton objectif dans ces romans de fiction, c’est de montrer une image positive de l’Afrique, une image de l’Afrique qui se prend en main, contrairement à l’image que les gens peuvent essayer d’avoir souvent, notamment lié à la coopération, où finalement, on les aide.
Alors qu’en fait, ils peuvent très bien se débrouiller.
Jean-Pierre : Je ne crois pas que ce soit cet esprit-là.
J’ai surtout travaillé sur le relationnel à travers des personnages de relationnel entre le blanc et l’africaine.
Donc, le blanc et l’africaine, ça veut dire le blanc et l’Afrique.
La relation, je l’ai sexualisée, je l’ai rendue sentimentale, mais quelque part, c’est une transposition de cela.
C’est ça qui me perturbe le plus.
Et c’est là-dessus, maintenant, que je commence à avoir un regard critique.
Quelque part, je me sens maintenant, avec le recul du temps, je suis rentré en 2000, donc c’est…
Fred : Tu es rentré en France en 2000.
Jean-Pierre : En 2000, donc il y a 25 ans.
Donc, je regarde maintenant avec un regard beaucoup plus critique et je me dis, bon, je ne pense pas avoir fait du mal là-bas, mais j’étais la caution de quelque chose.
Et je crois qu’il y a une chanson de Dylan qui le dit très bien, « Only a pawn in the game », « Juste un pion dans leur jeu ». Et quelque part, c’est ça.
Parce que, honnêtement, le système éducatif, après tant d’années de coopération, le système éducatif public en Afrique est délabré.
L’enseignement est privé.
Au Bénin, qui est un pays qui croit l’enseignement, les parents construisent des écoles privées.
Les enfants ne vont pas au public.
Et moi, je l’avais déjà vécu à l’époque.
Les professeurs du public, ils font leurs cours dans le public, ensuite, ils sautent sur leur mobilette, parce que c’est le moyen de locomotion, et ils vont vite toucher de l’argent dans une école privée.
Ils doublent leur salaire, ils le triplent.
Donc, voilà, ça mérite quand même qu’on s’y arrête.
Et je connais moins le problème de la santé, mais c’est exactement la même chose.
L’hôpital public, à Cotonou, quand il y avait un accident, quand on ramenait quelqu’un, parce qu’il n’y a pas d’ambulance, on le ramène comme ça, ce que les gens à l’entrée demandent « il y a de l’argent pour payer ou pas ? »
Fred : Et s’il n’y a pas d’argent, on ne soigne pas.
On va continuer après une pause musicale, de parler de littérature et surtout de poésie.
Donc, le deuxième choix musical, on a cité son nom tout à l’heure, c’est Hubert-Félix Thiéfaine, c’est La ruelle des morts.
On se retrouve dans environ 4 minutes.
Belle soirée, l’écoute de Cause Commune, La voix des possibles.
[ Diffusion de la pause musicale ]
Voix du jingle (Laure-Élise Déniel) : Cause Commune, 93.1.
Nous venons d’écouter La ruelle des morts par Hubert-Félix Thiéfaine, poète et chanteur.
Vous écoutez toujours l’émission Chemins de traverse, je suis toujours, nous sommes toujours, excusez-moi, avec Jean-Pierre Paulhac.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46, je répète, 09 72 51 55 46, ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton chat, salon Chemins de traverse.
Il nous reste même pas tout à fait une demi-heure, et avant la pause musicale, j’ai dit qu’on allait ensuite parler un peu de poésie.
Mais avant de parler de poésie, on va entendre de la poésie, parce que Jean-Pierre fait des lectures publiques, des soirées hommages.
Il a publié notamment, je crois que c’était l’an dernier ou il y a deux ans, je ne sais plus, 2023, un recueil de poésie, donc le titre c’est En vers et cris, et il va nous faire une lecture publique d’un de ses poèmes qui s’appelle Je te crois.
Jean-Pierre : Je te crois.
Je te crois, une action pour soutenir les victimes de violences sexuelles.
« Pour le rouge de la honte qui se tait
Pour le silence poisseux des pleurs
Pour l’impossible jamais imaginé
Qui hurle depuis sa blessure ouverte
Je te crois.
Pour la sueur sale qui suinte de peur
Pour ce meurtre qui tue l’amour
Pour ce corps torturé de haine
Pour les yeux déchirés de l’avenir
Je te crois
Pour le coq qui s’enfuit son coup fait
Pour la veule lâcheté du déni mal
Pour la bête infâme qui se réveille
Pen grognant dans sa hutte barbare
Je te crois
Pour la main courante au stylo lourd
Qui grince d’un sourire salace en coin
Le vide livide des couloirs couleur larmes
Du labyrinthe judiciaire où tu erres en vain
Je te crois
Pour l’épaule haussée du « pas si grave »
Pour le nom nié de ton corps bafoué
Pour l’évidence nue d’un faux consentement
Au milieu des odieux sourires complices
Je te crois
Pour la croix incarnée que tu portes
Cicatrice à vie du sexe assassin
Dans la nuit froissée du plaisir lynché
Et l’envie de jeter au feu toute fleur
Je te crois
Pour la glace où se fige ton existence
Pour le désert insane de ton monde mort
Avec le souvenir amer des mots perdus
Qui se muaient en baisers sur ta peau
Je te crois
Pour l’espoir d’un printemps qui reviendra
D’un désir nouveau qui soufflera en brise
Et s’illuminera en sourire arc-en-ciel
Qui un jour pour toi réinventera le soleil
Je te crois »
Fred : Merci Jean-Pierre, donc c’est un des poèmes du recueil En vers et cris, donc aux éditions Constellations, que vous pouvez toujours acheter sur le site des éditions Constellations.
Avant de la pause musicale, on avait parlé des romans que tu as faits, là on vient entendre de la poésie, un poème, et clairement c’est un poème engagé, on le voit bien, et la quasi-totalité des poèmes qui sont dans ce recueil sont des poèmes engagés.
Est-ce que selon toi, la poésie doit être engagée ?
Jean-Pierre : Alors, la poésie, je pense qu’elle ne doit être embrigadée nulle part.
Mais, trop souvent, on pense que la poésie est là pour parler des petites fleurs, du soleil, des aurores, etc.
Je le fais moi-même, on peut trouver mes poèmes sur les réseaux sociaux.
Fred : On pourrait préciser que tu publies principalement sur Facebook tes poèmes.
Jean-Pierre : J’ai une page Facebook
Fred : Jean-Pierre Paulhac sur Facebook.
Jean-Pierre : Voilà, tout à fait.
Mais, je voulais aussi montrer que la poésie, c’est aussi dire des choses.
Alors, ma réflexion, c’est, bien souvent, parce que je fréquente pas mal de clubs de poésie, j’ai beaucoup d’amis qui font des poésies engagées, mais bien souvent, quand on fait de la poésie engagée, on s’imagine qu’en posant le mot, ça suffit.
Mais non, je ne suis pas d’accord.
Parce que ce qui permet l’engagement en poésie, c’est un langage autre. Quand Victor Hugo, pardon de prendre des références comme cela, mais qu’en Victor Hugo écrit Les Châtiments, c’est le livre le plus engagé qu’on ait jamais écrit contre la dictature de Napoléon III, il est poète jusqu’au bout.
Quand Éluard publie Liberté qui sera parachutée en France avec les armes que l’on donnait à la Résistance, il ne cesse pas un seul instant d’être poète.
Donc ce que j’ai essayé de faire, j’espère que je suis arrivé, c’est montrer l’engagement de la poésie par la poésie, par le langage poétique.
Et je pense que c’est parce qu’il y a un langage différent, parce qu’il y a des images que l’on ressent plus douloureusement, plus fortement ce que l’on veut dire.
Et c’est là le sens de la poésie engagée.
C’est quelque chose qui me travaille beaucoup.
Fred : Donc si je comprends bien, la force c’est le recours à une sorte d’implicite plutôt que ce soit explicite ?
Jean-Pierre : Pour moi, c’est clair.
Si on écrit de la poésie, alors je vais commencer par l’évidence, il faut toujours commencer par l’évidence à condition de ne pas y rester.
Si on écrit de la poésie, c’est qu’on n’écrit pas de la prose.
Ça veut dire que la prose, quelle est sa fonction ?
La prose, c’est d’expliciter les choses, d’écrire les choses à travers un argument, à travers un narratif, et de présenter les choses le plus clairement possible.
Ok, très bien.
Je l’ai fait dans les romans ou dans des essais.
La poésie, elle cherche autre chose.
Sinon, elle n’est pas poésie.
Elle cherche à faire naître un implicite, quelque chose qui n’est peut-être pas intelligible immédiatement, mais parce qu’il y aura la rencontre de mots inattendus, parce qu’il y aura une structure un peu différente, fera naître dans l’esprit du lecteur une image, une sensation qui sera plus forte.
C’est pour ça que j’aime autant Thiéfaine, par exemple.
Fred : C’est la question que j’allais te poser.
Parce que c’est exactement cela.
Thiéfaine, c’est effectivement l’implicite.
Et travailler sur les textes de Thiéfaine, c’est travailler sur l’implicite. Non pas pour les élucider, quelle importance, mais pour montrer, pour faire comprendre au lecteur et à l’auditeur où se trouve justement la poésie.
La poésie, c’est parfois faire télescoper des mots qui n’ont pas l’habitude d’être ensemble.
Et c’est parce qu’ils n’ont pas l’habitude d’être ensemble qu’ils créent quelque chose.
Ils font naître une étincelle et cette étincelle, eh bien, c’est la poésie.
Voilà, c’est pour moi, alors, est-ce que j’y arrive ? J’en sais rien. Est-ce qu’on y arrive ? C’est pas sûr, mais en tout cas, c’est ce vers quoi on essaye de tendre.
Fred : Juste rapidement, parce que tout à l’heure quand j’ai cité la chanson de Thiéfaine, j’ai parlé de poètes chanteurs volontairement, je vais juste préciser que, bientôt en tout cas, sans doute courant en 2025, qui va publier un manuscrit qui s’appelle Thiéfaine, un humanisme de l’inespoir, donc une analyse et réflexion sur l’œuvre de Thiéfaine à travers 15 de ses chansons, que j’ai eu la chance de commencer à parcourir, et où effectivement, tu fais les liens entre lui et Ferré, Dylan, et puis d’autres poètes.
Effectivement, Hubert-Félix Thiéfaine quand on lit ses chansons, il y a des mots qui ne vont pas ensemble normalement, et ça crée quelque chose d’extraordinaire.
Jean-Pierre : Il y a pour moi un vrai mystère Thiéfaine, parce que son langage poétique est certainement l’un des plus difficiles de la chanson française contemporaine.
Et pourtant, ses salles sont pleines, et pourtant il vend des albums énormément, et pourtant, il a un public de fidèles qui chantent avec lui.
Donc je voulais essayer d’entrer dans cette alchimie, je dis alchimie exprès, parce que c’est un mot qu’il aime beaucoup et qu’il utilise.
Mais en fait, Thiéfaine, comme Léo Ferré, est un alchimiste du verbe.
Il essaye de construire quelque chose de neuf, d’original, en faisant se télescoper des concepts, en faisant en mettre ensemble, c’est comme les deux silex qui se frottent, et qui font naître une étincelle.
Et c’est là, la force de la poésie.
Fred : En tout cas, pour les fans de Thiéfaine, dont on fait partie, ici, et sans doute pas mal d’auditrices et d’auditeurs, je vous annoncerai la publication du manuscrit quand ce sera fait.
Jean-Pierre : J’ai trois maisons d’édition qui ont le manuscrit.
Bon, voilà, j’ai les Éditions du Signe, on va les citer, parce que j’ai travaillé avec eux, et j’ai publié sept ouvrages chez eux.
L’Harmattan, puisqu’ils m’ont gentiment édité un roman. Et puis j’ai tenté L’Archipel, puisque L’Archipel a publié la plus récente biographie de Thiéfaine.
Donc voilà, j’attends.
C’est la période la plus délicate.
Fred : Tout à fait, oui.
Donc tu disais tout à l’heure, tu parlais de la poésie de l’implicite versus l’explicite, et tu dis que tu publies tes poèmes principalement aujourd’hui sur Facebook, pour sans doute des questions de facilité, entre guillemets.
Alors c’est marrant, parce que finalement, ces réseaux sociaux, c’est plutôt l’univers de l’explicite, voire même du très violent, etc.
Comment tes poèmes sont accueillis sur ce genre de réseau ?
Jean-Pierre : Je pense que j’ai mes…
J’ai mes algorithmes, semble-t-il.
J’ai mes fidèles des algorithmes.
Quand un poème est bien reçu, bon, là, pour la nouvelle année, il y en a eu beaucoup, donc j’arrive à rassembler une cinquantaine d’amis qui commentent ou qui…
Voilà.
Alors je le fais sur Facebook, parce que ça me permet de garder un lien, étant donné que j’ai des activités poétiques à Paris, et puis aussi je participe au grand festival Voix vive de Sète tous les étés, et ça, c’est un moment merveilleux, et bien souvent, je garde des liens avec les amis qui viennent dire les poèmes à Sète.
Fred : C’est une scène ouverte, c’est ça ?
Jean-Pierre : C’est une scène ouverte, donc je suis responsable d’une scène ouverte.
Fred : Où les gens, les personnes, viennent lire leurs propres poèmes ?
Jean-Pierre : Absolument.
Il faut qu’ils s’inscrivent, donc je lance des inscriptions au printemps, généralement, et je garde un lien avec eux.
C’est tout ce qui permet de créer, et comme ça, on a une complicité poétique, parce que ceux-là aussi écrivent des textes, donc c’est une espèce de…
C’est des algorithmes qui n’ont rien à voir avec ceux de M. Musk.
Fred : Et donc, à Paris, tu fais, si je crois bien, en tout cas en région parisienne, des lectures publiques et des soirées hommages, c’est ça ?
Jean-Pierre : J’essaye, oui, de faire des petites choses.
Je participe à plusieurs rencontres poétiques sur Paris, et puis j’ai gardé des liens avec une petite ville ligérienne.
Ligérienne, c’est un adjectif qui veut dire la Loire, donc une petite ville où j’ai été chef d’établissement, donc principal de collège, et je fais régulièrement…
Fred : À Jargeau, c’est ça ?
Jean-Pierre : Oui, à Jargeau, à 18 km d’Orléans.
Petit village absolument magnifique au bord de la Loire, c’est exceptionnel.
Donc j’ai gardé des liens très forts, et on fait chaque année des activités poétiques.
J’ai fait, il n’y a pas longtemps, un travail sur Ferrat-Aragon, et puis là, on se prépare pour le mois d’avril un Brel.
On est trois, deux amis parisiens, un chanteur, une actrice, et puis moi je vais dire quelques textes de Brel pour montrer la poésie de Brel.
Je m’entraîne à dire Le plat pays, par exemple, c’est un pur poème, c’est vraiment…
C’est un texte poétique complet.
Fred : Et est-ce que dans ton travail en France ou en Afrique, peu importe, est-ce que tu as eu l’occasion de travailler avec des élèves pour les, entre guillemets, leur donner des outils pour écrire leur propre poème ?
Jean-Pierre : Alors, c’est arrivé, oui.
Un ami m’a invité à participer à une fête du livre dans un collège, à Orléans, le collège Montesquieu, et j’y participe.
D’ailleurs, bientôt, on va avoir une réunion de concertation pour travailler. Et à partir de là, la Ligue de l’enseignement du Loiret m’a sollicité pour faire des ateliers poétiques avec des élèves d’un autre collège.
Donc j’ai fait, l’an dernier, plusieurs séances avec des élèves.
C’est pas simple, c’est pas si facile que ça, mais c’était quelque chose qui m’a extrêmement intéressé. Donc j’ai retrouvé en quelque sorte le petit virus pédagogique, mais bon, j’ai essayé de trouver des moyens pour arriver à faire exprimer les élèves.
C’est pas facile, mais quand on y arrive, quel bonheur.
Et il y a du talent.
Fred : C’est quoi la difficulté ?
Est-ce que les élèves sont rebutés par le côté poésie, par exemple ?
Jean-Pierre : Timides, timides.
Fred : D’accord.
Jean-Pierre : C’est-à-dire qu’ils sont pas comme nous, on triche un peu, on est sincère, mais on enveloppe notre sincérité dans une forme.
Bon, c’est ce que j’expliquais.
L’élève, non, il est tout nu, il lâche, et quand il met les choses, il a le sentiment, ou elle a le sentiment, parce que c’était surtout des filles, elles ont le sentiment de livrer beaucoup d’elles-mêmes, et on avait beaucoup de mal, enfin j’ai eu beaucoup de mal à leur faire lire à haute voix leur texte.
Parce que j’avais l’impression que je touchais l’intime.
Mais c’était, on a quand même réussi deux, trois petites choses sympathiques.
Fred : Est-ce que tu as des rituels d’écriture ?
Est-ce que tu écris tous les jours ?
Dans mon imaginaire, je me dis, les personnes qui écrivent des romans, de la poésie, ils ont peut-être des rituels pour se forcer à sortir des choses.
Jean-Pierre : Ah ben ça, il faut, moi, je dois ruser continuellement avec moi-même.
Je suis assez paresseux, et la procrastination, alors je suis content, parce que Baudelaire était torturé par la procrastination.
Mon cher Charles, tu vois, en voici un autre.
Mais là, par exemple, le dernier travail que j’ai fait sur Thiéfaine, j’ai trouvé une ruse qui marche très bien.
J’en ai parlé à beaucoup de gens.
Donc là, après, mon orgueil était obligé de s’y mettre.
Parce que sinon, je perdais la face.
Fred : Mais les gens ne te disaient pas « là c’est un peu trop haut pour toi, expliquer du Thiéfaine » ? Non ?
Jean-Pierre : Non, non, ils m’encouragaient, ils étaient contents, ils étaient interloqués.
Oui, bon, c’est vrai qu’à un moment, des fois, j’ai eu le vertige, je me suis dit « mais est-ce que je ne suis pas parti trop loin ? »
Parce que c’est quand même, Thiéfaine, c’est extrêmement costaud.
C’est un homme qui a une culture encyclopédique, et sa culture transparaît par tous les pores de ses vers.
C’est incroyable.
Fred : C’est clair que quand on lit d’ailleurs, et je crois que Julie va avoir une question, quand on lit, j’ai la chance de commencer à parcourir le manuscrit. Toi-même, tu as cette culture qui permet de faire cette analyse de Thiéfaine qui est franchement absolument…
Alors moi, je suis un fan de Thiéfaine, mais j’accepte le fait d’écouter du Thiéfaine sans forcément tout comprendre.
Par contre, juste avant la question de Julie, une petite question.
Thiéfaine est réputé pour ne pas vouloir, en fait, expliquer ses chansons ?
Est-ce que tu as réussi à le contacter pour lui envoyer le manuscrit ?
Jean-Pierre : Le contacter, non.
Lui envoyer le manuscrit, non.
En revanche, je suis en contact avec sa maison de production dont la directrice est Francine, sa compagne, et Hugo, son fils aîné.
Et j’ai leur mail et ils m’ont répondu, en tout cas Hugo m’a répondu que ça l’intéressait et qu’il était prêt à recevoir le texte une fois qu’il était imprimé.
J’ai compris qu’il ne voulait pas recevoir le manuscrit, il voulait recevoir le livre.
Fred : D’accord, Hugo qui l’accompagne sur scène, si je me souviens bien.
Jean-Pierre : Non, ça c’est Lucas, il y a deux enfants, il y a Hugo et Lucas.
Et d’ailleurs, la chanson Septembre Rose, c’est pour le premier, c’est pour Hugo.
Même si sur scène, Thiéfaine l’a dédié à Lucas.
Fred : À Lucas qui l’accompagne sur scène.
Je crois que Julie a une question.
Ou une réaction, je ne sais pas.
Julie : Oui, en fait, je pense que Jean-Pierre, tu as répondu c’était « est-ce que tu as rencontré Thiéfaine ? Est-ce que tu lui as parlé ? »
Jean-Pierre : Non, j’en rêve.
J’en rêve.
Si jamais j’arrive à terme à éditer ce livre, j’aimerais bien effectivement le rencontrer.
Enfin, c’est quelqu’un qui m’impressionne.
Je l’ai découvert, je le décris dans l’introduction, je l’ai découvert très tard.
Et j’ai été fâché parce que je me suis dit « comment j’ai loupé Thiéfaine ? »
Thiéfaine, c’est exactement la musique que j’aime.
Comme je dis souvent, Thiéfaine c’est du Léo Ferré mis en musique par Bob Dylan.
C’est ça, quoi.
C’est vraiment mes racines musicales profondes.
C’est au collège de Jargeau.
C’est mon adjoint, mon attendant, qui était un jeune homme, plus jeune que vous, qui était de l’Est, parce que Thiéfaine, c’est quand même de l’Est,
Fred : du Jura
Jean-Pierre : qui m’a dit vous devriez écouter Thiéfaine.
Je lui ai dit « écoute garçon, ça va », je l’ai snobé un peu.
Et quand j’ai écouté ça, je me suis dit « comment je suis passé à côté de ça ? ».
Et je me suis jeté, jeté sur Thiéfaine parce que c’est vraiment, c’est le seul que je peux écouter en boucle sans me lasser.
Julie : Et c’est parce que vous n’avez pas osé, enfin est-ce que tu n’as pas osé aller essayer de l’aborder, ou parce qu’il est plus inaccessible ?
Jean-Pierre : Oh non, il est inaccessible.
Il s’est acheté une maison dans le Jura, en pleine forêt, où je crois qu’il vit comme un ermite.
Et je ne pense pas qu’il apprécie que l’on triture ses textes.
Mais bon, moi je tente, il faut toujours, si on ne tente rien, on n’a rien.
Donc voilà, j’espère pouvoir le publier, et je me ferai fort de l’envoyer à l’adresse indiquée.
Fred : Et puis, il faut se souvenir que, même si peut-être les personnes qui nous écoutent ne connaissent pas forcément Thiéfaine, il remplit les salles depuis 40 ans.
Jean-Pierre : C’est incroyable !
Il a fait sa carrière tout seul !
Fred : Et en dehors même de tout média, carrément, alors que lui ne refusait pas
Jean-Pierre : sans les médias
Il a fait le Palais des Sports avant Johnny Hallyday !
Fred : Ouais.
Jean-Pierre : Tout seul !
Fred : C’est peut-être une question de génération, peut-être que t’es arrivé un peu trop
Jean-Pierre : Thiéfaine, c’est ma génération.
Fred : Ouais, je sais pas.
Jean-Pierre : Il est de 48.
Fred : Il est de 48, ouais.
Jean-Pierre : C’est invraisemblable que j’ai loupé !
Fred : Mais, en fait, tu ne l’as pas loupé, tu l’as rencontré plus tard.
Jean-Pierre : Je me donne des baffes régulièrement.
Fred : Moi, je l’ai rencontré plus tôt, mais toi, tu l’as rencontré plus tard, et finalement, comme je l’ai dit tout à l’heure, la première fois qu’on s’est vus, c’était un concert d’Hubert Félix Thiéfaine.
Jean-Pierre : Oui, c’était aux Zénith.
C’était aux Zénith, exactement.
Et le second, c’était à l’Olympia.
Fred : Ah oui, c’est vrai qu’on en a vu déjà deux, oui, effectivement, ensemble.
Alors, il reste très peu de temps.
Est-ce que t’aurais des conseils pour les gens qui aimeraient écrire ?
Parce qu’en fait, j’ai l’impression, en tout cas, qu’il y a beaucoup de gens qui doivent sans doute… ont des envies d’écrire ou écrivent.
Donc, des conseils pour les gens qui aimeraient écrire, et puis des conseils pour les gens qui aimeraient publier.
Parce que ce que je disais tout à l’heure, et comme tu l’as expliqué sur Internet, c’est une source incroyable pour publier.
Donc, comment pousser les gens, comment les encourager à écrire et publier ?
Jean-Pierre : Il y a un seul verbe à utiliser.
Oser.
Fred : Ah, ok.
Jean-Pierre : Oser.
Regardez la préface de La Bruyère, au XVIIe siècle.
La préface des caractères, écrite par La Bruyère.
Qu’est-ce qu’il dit ?
Il dit « ça sert à rien d’écrire, tout a déjà été écrit ».
Il dit ça au XVIIe siècle.
Alors maintenant, au XXIe siècle.
Mais ça fait rien.
Ça fait rien.
Il faut écrire.
Il faut se lancer.
Il faut oser.
Et puis, ensuite, utiliser les réseaux sociaux.
C’est pas si mal que ça.
Et puis après, il y a plein d’adresses de maisons d’édition.
L’édition, c’est très compliqué.
Et puis, il y a aussi, pour la poésie, beaucoup d’associations de poésie en province, à Paris.
Et je pense que c’est par là, certainement par là, que se trouve la possibilité.
Moi, il y a une ville que j’aime beaucoup, mis à part Lyon, Paris, c’est Montpellier.
Montpellier, c’est une ville de culture merveilleuse.
Et j’ai réussi à monter un débat à Montpellier « À quoi sert la poésie ».
Parce qu’ils ont un lieu qui s’appelle Le Gazette Café.
La gazette, c’est un journal culturel qui est publié par une association qui n’est pas la mairie, complètement indépendante de Montpellier, qui décrit et qui imprime une centaine de pages toute l’activité culturelle et tout ça.
Et ils ont un lieu qui est à la fois un café, un restaurant, un lieu de conférence, un lieu de concert, un lieu de réunion.
C’est multifonctionnel.
Ils ont dû certainement acheter un ancien garage et ils l’ont réaménagé.
C’est un lieu absolument merveilleux.
Mon rêve, c’est de présenter le livre sur Thiéfaine là-bas.
Et je pense que si le livre est publié, ça va se faire parce que la petite qui s’occupe de ça là-bas, elle est fan de Thiéfaine.
Fred : On espère, en tout cas toutes les personnes qui sont ici et beaucoup de personnes qui nous écoutent espèrent la publication de ce livre.
On croise les doigts pour que ce soit publié effectivement en 2025 et que tu aies l’occasion peut-être d’un jour d’en discuter directement avec Hubert-Félix Thiéfiane parce que c’est effectivement, ça serait génial.
Jean-Pierre : On est à la période des vœux, ça tombe bien.
Fred : Voilà, c’est exactement.
Peut-être qu’un jour on aura Hubert-Félix Thiéfaine et toi dans l’émission pour parler justement de l’analyse.
Avant d’oublier, parce que là il reste vraiment très peu de minutes, on peut aussi t’écouter parce qu’en fait, on se disait à la pause musicale que tu as une belle voix de radio, une belle voix posée, bien articulée, etc.
En fait, tu fais aussi une émission de radio qui s’appelle Pause Poésie sur Radio Campus à Orléans.
Est-ce que tu peux nous expliquer en une minute ou deux ce que c’est ?
Jean-Pierre : Alors une minute, c’est une émission que j’anime avec une amie, et puis maintenant on est en deux, c’est un trio.
Donc ce sont des poètes, des femmes qui se font de la poésie aussi.
Donc l’émission, c’est prendre la poésie, la lire, soit à partir d’un auteur, soit à partir d’une thématique.
Par exemple, on prépare pour la semaine prochaine une émission avec comme thème « l’ailleurs ».
Voilà, donc on va chercher des poèmes sur « l’ailleurs » et puis avec une petite présentation et puis des moments de lecture.
Mais on invite aussi des poètes actuels qui sont sur Orléans ou sur Paris à venir parler, donc que ce soit véritablement un échange.
Et puis bon, c’est vrai, j’aime bien lire de la poésie et donc ça me fait plaisir d’en lire aussi et de lire des grands poèmes et des grands poètes à la radio.
Fred : Je propose peut-être une chose parce que je crois qu’il est court.
Je vérifie juste.
Ouais.
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Éloge du doute. Un autre extrait du En vers et cris.
Il est relativement court.
Est-ce que ça te dirait d’en faire une lecture là, avant qu’on termine l’émission ?
Jean-Pierre : Oui, c’est un sonnet parfaitement régulier qui est donc en introduction du recueil.
Éloge du doute.
« Vous êtes bénis jusqu’aux dents de certitudes
Blindés de prêches d’encens de chants sans répit
D’un verbe divin qui jamais ne se dédit
Au nom de la loi du plus sûr que rien n’élude
Que s’ouvrent en grand les geôles pour les rebelles
Portez au bûcher ceux qui ne se courbent pas
Purifiez par l’autodafé ces apostats
Jetez ces impies dans la géhenne éternelle !
Misérables qui nous imposez vos chimères
Votre vérité n’est que variable et sommaire !
La sagesse : savoir que nous ignorons tout
Le douteseul, nous offre un horizon plausible
Un océan qui noie les versets de vos bibles
Un vent qui balaie vos théocraties de fous »
Fred : Merci Jean-Pierre, on voit que l’école catholique de ta jeunesse est bien loin.
Jean-Pierre : Et des comptes à régler.
Fred : Voilà, quelques comptes à régler.
On arrive vers la fin de l’émission, c’est la question finale traditionnelle qu’on aime bien poser à nos invités.
Aurais-tu envie de partager quelque chose qui t’a émerveillé ou fait du bien dernièrement ?
Jean-Pierre : Ah bah oui, évidemment.
Evidemment, forcément.
La naissance de mon premier petit-fils en 2024. C’est quelque chose qui me bouleverse.
Et de voir mon aîné aussi heureux, aussi transporté comme je ne l’ai jamais vu, c’est un bonheur immense.
Et Dieu sait qu’on n’a pas beaucoup de raisons de respirer le bonheur dans le monde que l’on vit, mais franchement, ça, ça, c’est quelque chose qui me gonfle d’espoir.
Fred : Bah écoute, c’est un bel émerveillement.
Excuse-moi.
Bah écoute, un grand merci Jean-Pierre.
Jean-Pierre : Merci Frédéric.
Fred : Si vous souhaitez retrouver Jean-Pierre Paulhac, vous avez bien compris, c’est sur Facebook.
Vous pourrez y trouver à la fois ses écrits, ses poèmes, ses actus aussi.
Vous avez bien compris qu’il est présent à plein d’événements et pas uniquement à Paris.
Donc vous entendez la musique de générique de Schmaltz.
L’émission va bientôt se terminer.
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Chemins de traverse, c’est en direct tous les mercredis à 22h.
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Eh bien Cuse Commune ouvre ses portes chaque 1er vendredi du mois à partir de 19h30 pour une soirée radio ouverte.
Donc venez découvrir le studio, nous rencontrer.
La prochaine soirée aura lieu vendredi 7 février 2025.
L’adresse du studio, 22 rue Bernard Dimey dans Paris, 18ème arrondissement.
Lors de cette soirée, il y aura une émission spéciale consacrée aux coulisses de la radio.
Et pour l’émission du 7 février nous aimerions vous entendre, auditrice ou auditeur de la radio, de Chemins de traverse.
Si vous accepteriez de venir parler quelques minutes de ce qui vous plaît dans l’émission, de vous attendre, contactez-nous.
Vous pourrez intervenir depuis le studio ou à distance si vous n’êtes pas à Paris.
Pour nous contacter, vous allez sur le site causecommune.fm et vous nous envoyez un message, on compte sur vous.
Juste après, donc à 23h30 dans quelques instants, une émission inédite, excusez-moi, de Minuit Décousu.
Minuit Décousu est initialement diffusé sur Radio Canut à Lyon.
Donc on est encore à Lyon.
Le thème de l’émission de ce soir, c’est « L’image d’Epinal du hacker, les radios pirates, des boîtes à outils, des free parties, le vol dedonnées et les guerres entre Etats. Ce soir, on en découd avec le piratage et la piraterie ».
Donc, prochaine émission à 23h30.
La semaine prochaine, mercredi 15 février, heu, 15 janvier, notre invité sera Jeanne Derrien, présidente de l’association d’étudiantes et étudiants de Sciences Po qui s’appelle Sciences polémiques. Avec l’organisation de formations ouvertes à tous et toutes pour aider à être plus à l’aise à l’oral tout en luttant contre l’auto-censure. C’est Julie qui animera cette émission.
Est-ce que tu veux rajouter quelques mots Julie, on a encore quelques secondes ?
Non, pas besoin, ok.
Donc on se donne rendez-vous avec Julie mercredi 15 janvier.
Salut et solidarité.
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