#129 – Z comme zombie
proposée par Isabelle Kortian
Diffusée le 28 septembre 2022
En plateau
Iegor Gran, écrivain phare des éditions P. O. L., auteur du Journal d’Alix (2022) et des Services compétents (2020), publie Z comme zombie. Fils d’Andreï Siniavski, grande figure du monde intellectuel russe et soviétique, il a rédigé la préface d’André-la-Poisse, un conte fantastique écrit par son père, et réédité en 2021 aux éditions du Typhon.
Contexte
Dans Z comme zombie, Iegor Gran s’interroge sur ce qu’il appelle la zombification d’une grande partie de la société russe qui continue de soutenir la guerre de Poutine contre l’Ukraine, adhère « aux élucubrations sur la « chienlit nazie » et l’Ukraine qui les menace », et justifie le bombardement des hôpitaux et des écoles, exécution ou déplacement de civils, le massacre de Boutcha et autres crimes de guerre.
Comment comprendre ce processus de zombification ? Car les zombies sont des gens bien, que l’on trouve dans chaque famille, dans des milieux sociaux divers. Ils ont fait des études ou ils n’en ont pas fait. On en connait tous, on peut échanger avec eux, discuter raisonnablement de tout, sauf de Poutine et de sa guerre ! Ils semblent alors subir une métamorphose, une déformation, une altération de leur jugement ; ils se crispent et répètent à l’envi tout ce que la zombocaisse (la télévision contrôlée par le pouvoir poutinien) leur débite. Ils semblent perdre ou perdent toute distance, tout regard critique face au discours guerrier, présentant la Russie comme une forteresse assiégée, cernée d’ennemis, comme si la Seconde guerre mondiale n’avait pas pris fin en 1945, et que la Grande Guerre patriotique se prolongeait ou avait repris, à cette réserve près que les ennemis de la Russie éternelle sont désormais, dans un même sac, les nazis et les Alliés.
Comment cette vision du monde, cette histoire revisitée occultant notamment le pacte germano-soviétique (ou pacte Ribbentrop-Molotov), parvient à dominer un si grand nombre d’esprit prêts à justifier la destruction d’un pays et de son peuple, comme une punition pour avoir voulu s’émanciper du giron russe post-soviétique ?
Que signifie la lettre Z ? Il s’agit au départ de l’initiale de Zapad désignant l’un des deux grands corps d’armée mobilisés aux frontières de l’Ukraine, avec celui de Vostok, avant le déclenchement de l’invasion, le 24 février 2022. Les deux initiales (Z et V) étaient peintes sur les engins militaires afin d’éviter le tir ami. Mais, le Z, la dernière lettre de l’alphabet latin, s’est transformée en signe de ralliement, de soutien à l’offensive russe, se retrouvant partout : sur les tee-shirt, sur la purée en décoration culinaire, ou s’incrustant sur la coupe de cheveux. Le Z tel le V de la victoire, partout ! objet d’un culte, symbole du combat du soldat russe libérant en 2022, comme en 1945, l’Europe du fascisme et du nazisme.
Le discours guerrier et celui de la propagande, est un style qui ne peut manquer d’interpeler un écrivain, avec ses euphémismes (« OMS, opération militaire spéciale » pour dire guerre, ou « intervention humanitaire » pour dire invasion), avec ses hyperboles, c’est aussi un discours efficace. Pourtant les moyens de s’informer et de contourner la censure, aujourd’hui disponibles, existent contrairement à ce qui caractérisait la période stalinienne, et sont facilement accessibles (internet, youtube). Mais tout ce qui pourrait nuancer, remettre en cause la phraséologie et le dogme, devient objet de suspicion, considéré comme une manipulation de l’ennemi. Que faire face à cet irrationnel ?
Comment déconstruire un tel discours ? Pourquoi et d’où vient cette cécité ou paresse intellectuelle ? Comment peut-elle être ébranlée ? Par un choc ou électrochoc ? La mobilisation décrétée par le gouvernement y contribuera-t-elle ? Une lourde défaite militaire sonnera-t-elle le glas de la zombification ? Le réveil ne sera pas facile.
Comment penser librement, penser par soi, en toute autonomie ? La question est philosophique et universelle. Au-delà de la zombification des esprits dont il est ici question et qui concerne une société et un espace toujours en quête de démocratie où la figure du tyran, Ivan le Terrible ou Staline, a laissé des traces durables. Comment sortir du manichéisme, du lavage de cerveau, comment éviter de sombrer dans le relativisme ou l’indifférence, balloté d’une vérité alternative à l’autre ? A quelles conditions peut-on sauver un discours de vérité ? Le moment ou jamais de relire Kant et son remarquable opuscule Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ?
À l’oreille
- Boulat Okoudjava – Le petit orchestre de l’espoir dirigé par l’amour
- Vladimir Vyssotski – Plus rien ne va
- Arno Babadjanian – Elegy
Poure aller plus loin
- Iegor Gran, Z comme zombie, P.O.L., 2022
- Iegor Gran, Le Journal d’Alix, P.O.L., 2022
- Iegor Gran, La marche du canard sans tête, P.O.L. 2021
- Iegor Gran, Ces casseroles qui applaudissent aux fenêtres, P.O.L., 2020
- Iegor Gran, Les services compétents, P.O.L., 2020
- Iegor Gran, N. G ! P.O.L., 2003, puis Folio Gallimard. Grand Prix de l’humour noir 2003 et prix RD-RG/Paris Première
ET
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