#98 – Le Journal d’Alix
proposée par Isabelle Kortian
Diffusée le 2 février 2022
En plateau (virtuel)
Iegor Gran, écrivain, publie Le Journal d’Alix, un roman, et le seizième livre de cet auteur phare des éditions P.O.L.
Contexte
Après avoir observé durant la crise sanitaire la fragilité de la démocratie, de la civilisation, de l’humanité, après avoir dénoncé la bêtise de la technocratie sanitaire perdant la tête à propos d’un virus dont les conséquences ne sont en rien comparables à celles de la grippe espagnole ni à celles d’une guerre, grande ou petite, Iegor Gran publie un roman, Le Journal d’Alix, dans lequel il décrit une obsession. Alix, une jeune femme de 35 ans, a un fantasme androphage. « Quand l’homme est mangé cru, il est moelleux sous la dent, sa chair est délicate, et je ne sais jamais quel vin choisir. »
Sujet tabou et fantasme inavouable ! Alix n’est jamais passée à l’acte, mais s’en approche dangereusement. Si elle ne se définit pas comme féministe au départ, elle masque sa pulsion androphage sous les traits d’un féminisme radical en lutte contre la domination du patriarcat. Juste retour des choses, les femmes ne sont-elles pas mangées à toutes les sauces depuis des lustres ? Et puis, l’homme n’est-il pas naturellement bon ?
Toujours afin de canaliser sa pulsion androphage virant à l’obsession, Alix entreprend la rédaction d’un journal intime, auquel elle confie tout, sans détour, s’appliquant comme une écolière dans une démarche narrative au point de suivre un atelier d’écriture, elle dont écrire n’est pas le métier. Il était une fois… Alix au pays des merveilles ? C’est l’histoire d’une nana chelou, ogresse sur les bords, prédatrice ou castratrice d’un genre spécial ? Comment son carnet Moleskine se retrouve-t-il dans les mains d’un juge d’instruction en tant que pièce à conviction, alors qu’il n’était destiné à aucune publicité ? Quel lien entretiendrait-il avec une affaire judiciaire en cours, un fait divers, devenant un sujet de débat public ?
Et puis, quel rapport avec le projet éco-végétarien d’une cantine 100% sans dioxines (tolérance zéro pour la viande bovine, ovine, porcine, ou la volaille, quand bien même son étiquetage mentionnerait le pays d’élevage et celui d’abattage) ? Ce projet est porté par le département Prospection, dans lequel travaille Alix, au sein d’un Institut sous la tutelle du ministère de la Culture. Dûment validé par le département Consolidation, puis par les stratosphères de la direction générale, conformément à la chaîne hiérarchique, la mise en œuvre d’un tel projet joue-t-elle un rôle catalyseur dans la mobilisation de tout un département entièrement féminisé, à l’exception de son chef ? Comment ce dernier parvient-il à cristalliser contre lui le potentiel de révolte de son équipe qui se radicalisant chaque jour davantage se métamorphoserait presque en meute ?
En quoi la cantine, lieu stratégique, emblématique, ou non, d’une certaine qualité de vie au travail, devient le lieu où chacun pointe son nez pour afficher, par conviction ou mimétisme, son éco-responsabilité solidaire ? Le rendez-vous à ne pas manquer des ruminants de tout poil ! Les absents ont toujours tort.
Mais qui est donc Alix ? Iegor Gran, grand prix de l’humour noir pour son roman O.N.G. en 2003, signe un roman dont l’ironie délicieuse, le loufoque et le rocambolesque nous délestent de la pesanteur des carcans, libérant un espace-temps pour penser librement et sourire, jaune parfois. Quant au langage, entre androphagie, autofiction, autotest et autophagie, il est assurément à la fête !
À l’oreille
- Hugues Le Bars – J’en ai marre
- Screamin Jay Hawkins – I Put A Spell on You
- Hugues Le Bars – Arepo
Pour aller plus loin
- Iegor Gran, Le Journal d’Alix, P.O.L., 2022
- Iegor Gran, La marche du canard sans tête, P.O.L. 2021
- Iegor Gran, Ces casseroles qui applaudissent aux fenêtres, P.O.L., 2020
- Iegor Gran, Les services compétents, P.O.L., 2020
- Iegor Gran, N. G ! P.O.L., 2003, puis Folio Gallimard. Grand Prix de l’humour noir 2003 et prix RD-RG/Paris Première
ET
- Andreï Siniavski, André-la-Poisse, Préface Iegor Gran, traduction Louis Martinez, Editions du Typhon, 2021
- Radio Cause commune, Le monde en questions, n°66
Sauf mention contraire et autres licences applicables cette œuvre sonore de Cause Commune est mise à disposition selon les termes de la
Licence Creative Commons Attribution - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.