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#96 – L’anti-démocratie au XXIème siècle

proposée par Isabelle Kortian

Diffusée le 19 janvier 2022


#96 – L’anti-démocratie au XXIème siècle
Le monde en questions

 
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En plateau

Hamit Bozarslan, historien et sociologue du fait politique, spécialiste du Moyen Orient, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), publie L’anti-démocratie au XXIème siècle. Iran, Russie, Turquie, aux éditions du CNRS.

Contexte

Qu’est-ce que l’anti-démocratie au XXIème siècle ? Un nouveau concept qui éclipserait celui de « démocratie illibérale », de « l’autoritarisme mis à jour », de « l’État-cartel », du « régime hybride », de « l’autoritarisme compétitif », de « la démocratie autoritaire », ou bien de « l’autoritarisme démocratique » ?

Hamit Bozarslan souligne que cette profusion conceptuelle témoigne d’abord du fait que les démocraties sont en crise, discréditées, attaquées, remises en cause, brutalisées, de l’intérieur et de l’extérieur, à des degrés divers. Afin de faire avancer le débat et la compréhension de ce qui se passe actuellement, il suggère l’emploi du terme d’anti-démocratie pour souligner « la particularité de certains régimes du XXIème siècle qui se considèrent explicitement comme des réponses nationales, anti-universalistes, viriles et guerrières au système démocratique, « cosmopolite », « efféminé » et « corrompu » ». Parmi les anti-démocraties contemporaines, Hamit Bozarslan se focalise sur trois pays : l’Iran, La Russie et la Turquie. Trois régimes qui, sans rejeter le principe des élections, sans supprimer le parlement, la Cour constitutionnelle, la cour des comptes, etc. parviennent à les vider de « leur charpente institutionnelle d’autonomie, interdisant dans la pratique toute possibilité de contrôle et d’équilibre des pouvoirs, de même qu’une quelconque alternance politique ».

Autre caractéristique de ces trois régimes, l’absence de relation apaisée avec le passé et en particulier leur XXème siècle. On constate dans les trois cas étudiés la volonté de restaurer dans sa prétendue pureté originelle la nation pensée comme « une entité organique » qui aurait été dévoyée par la trahison de ses élites occidentalisées. A cela s’ajoute aussi une volonté de revanche sur l’histoire se traduisant par une forte nostalgie impériale et la tentative de restaurer/instaurer une hégémonie régionale au nom d’une mission historique. A cet égard, ces anti-démocraties se distinguent de la Chine, une anti-démocratie d’un autre type, dictature numérique et régime visant à l’hégémonie mondiale, en paix avec son histoire, sa grandeur passée étant considérée comme rétablie et la révolution maoïste intégrée dans sa continuité historique millénaire en tant qu’épisode de délivrance nationale.

En quoi ces régimes anti-démocratiques ont-ils des traits communs avec les nationalismes ou totalitarismes du passé ? En quoi sont-ils néanmoins différents, issus de leurs contextes historiques respectifs, et de leur temps, en se prêtant de fait moins facilement que par le passé à des projets d’organisation et d’encadrement total de la population ? Hamit Bozarslan explique comment l’individualisme moderne et post-moderne limite l’emprise « organique » de ces régimes sur leurs sociétés qui peuvent être séduites par les discours guerriers ou complotistes de leurs dirigeants, sans pour autant obéir à ses injonctions de politique nataliste, vouloir se sacrifier et mourir pour la nation ou accepter la militarisation des économies nationales. C’est la raison pour laquelle se multiplient le recrutement de milices et forces paramilitaires pour mener les guerres, que se développent les mécanismes de corruption ou clientélistes permettant au « chef » de disposer du soutien inconditionnel d’un bloc hégémonique, qui lui est redevable de sa richesse et son pouvoir. Quant à la question sociale, elle est occultée par une représentation religieuse du monde dans laquelle la pauvreté est une fatalité, et non pas un scandale. En guise de redistribution des richesses, la charité et l’aumône permettent aux plus démunis de ne pas mourir de faim et de froid.

Quel avenir pour ces régimes anti-démocratiques confrontées à des difficultés économiques croissantes mettant en évidence les écarts entre les discours symptomatique d’une volonté de puissance et la réalité ? Quelles constances structurant ces régimes révèlent leur rhétorique mobilisatrice, guerrière, menaçante, au-delà ou malgré les déclarations de circonstance ? Quelles perspectives néanmoins entre une réforme impossible, car elle signifierait la fin de ces régimes, et une révolution imminente improbable, tant les diverses forces d’opposition et formes de résistance sont réprimées, affaiblies et isolées?

À l’oreille

Pour aller plus loin

  • Hamit Bozarslan, L’anti-démocratie au XXIème siècle. Iran, Russie, Turquie, éditions du CNRS, 2021
  • Hamit Bozarslan, Crise, violence, dé-civilisation : essai sur les angles morts de la cité, CNRS éditions, 2019
  • Hamit Bozarslan, Histoire de la violence au Moyen-Orient, de la fin de l’Empire ottoman à Al-Qaïda, Paris, La Découverte, 2008

ET

  • Radio Cause commune, Le monde en questions n°15 et n°26 (avec une bibliographie plus complète de l’auteur)


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