#91 – Sale guerre : l’invasion du Mexique par les États-Unis (1846-1848)
proposée par Isabelle Kortian
Diffusée le 15 décembre 2021
En plateau
Eric Taladoire, historien, archéologue, professeur émérite à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, correspondant étranger de l’Académie mexicaine, directeur de collection aux British Archaeological Reports, publie Sale guerre. L’invasion du Mexique par les États-Unis (1846-1848) aux éditions du Cerf.
Contexte
Spécialiste du Mexique, Eric Taladoire met en cause une série de fausses évidences relatives à la guerre qui opposa le Mexique et les États-Unis, entre 1846 et 1848. Elles bousculent, moins d’un demi-siècle après leur création, le récit national des États-Unis, champions de la liberté des peuples. Le livre qu’il consacre à cette sale guerre ne se contente pas de nous faire connaître un épisode trop ignoré de tous, mais il contribue également à rendre davantage intelligible certaines crises internationales actuelles, proches de ce contexte ou bien éloignées.
Le 4 juillet 1776, les États-Unis d’Amérique proclament leur indépendance et s’affranchissent de la Couronne britannique. Le pays, alors faiblement peuplé, forme un ensemble hétérogène, et recherche un équilibre constitutionnel et institutionnel entre État fédéral et États membres, jaloux de leurs prérogatives en matière de pouvoirs locaux. Le pays a par ailleurs diversement vécu la guerre d’indépendance. Les États du nord, à la frontière du Canada, ont été bien plus touchés par les combats que les États du sud, par ailleurs plus riches et esclavagistes.
L’achat de la Louisiane à la France, en 1803, change la donne : les États-Unis découvrent alors qu’ils sont à la tête d’un immense territoire. L’exploration transcontinentale de Meriwether Lewis et William Clark (de 1804 à 1806) traverse pour la première fois d’est en ouest les Etats-Unis jusqu’à atteindre par voie terrestre la côte Pacifique. « C’est à partir de cette prise de conscience de l’immensité des territoires que naît un mouvement de colonisation continu qui va peu à peu évoluer vers un expansionnisme, puis vers une véritable politique impérialiste, dont le Mexique fera les frais en 1846-1848 », précise Eric Taladoire.
Ancienne possession espagnole, le Mexique proclame son indépendance en 1821 et abolit aussitôt l’esclavage. En 1823, les Etats-Unis énoncent la doctrine Monroe. C’est une déclaration de politique étrangère par laquelle ils assurent le Vieux continent de leur non-ingérence dans les affaires européennes (l’isolationnisme américain), mais par laquelle également ils s’instaurent unilatéralement en protecteur de l’Amérique du nord (et donc du Mexique, de l’Oregon, etc.) et de l’Amérique du sud. En 1845, la notion de Manifest Destiny, expression que l’on doit au journaliste new-yorkais John O’Sullivan, lève toute ambiguïté sur l’attitude conquérante (dite « mission civilisatrice ») et la politique de plus en plus agressive des États-Unis à l’égard de ses voisins.
Le Mexique, divisé entre libéraux et conservateurs, forces centrifuges et centralisatrices, ne parvient pas à créer un équilibre institutionnel entre États fédéral et États fédérés, entre pouvoir central et provinces. Il est en outre incapable de mettre fin à l’insécurité chronique de sa population. Après avoir notamment fait venir et s’installer plusieurs vagues de colons américains dans la région du Texas, il perd cette province qui proclame son indépendance, en 1827. Annexé par les États-Unis en 1845, le Texas devient le 28ème État américain. Le Mexique déclare alors la guerre aux États-Unis, en 1846. Il est vaincu deux ans plus tard et perd la moitié de sa superficie.
Eric Taladoire fait la lumière sur les circonstances dans lesquelles s’effectue la guerre de conquête des territoires mexicains. Méconnue, oubliée, cette dernière a pourtant laissé des séquelles profondes de part et d’autre du Rio Grande : au Mexique, aux États-Unis, mais aussi auprès de la première minorité américaine que constituent les hispanophones. En raison de sa violence, de la disproportion des forces, des atrocités commises, du racisme à l’œuvre (racisme s’exerçant à l’encontre des Mexicains), de la discrimination des catholiques par les protestants (WASP contre catholiques mexicains ou irlandais), du prototype de guerre impérialiste qui se met en place, au milieu du XIX
La guerre contre le Mexique est-elle vraiment le premier conflit extérieur dans lequel s’engagent les États-Unis ? Quid de la Floride ?
La guerre de Sécession qui opposera de 1861 à1865 les États du Nord aux États confédérés du Sud, abolitionnistes aux esclavagistes, peut-elle, oui ou non, se lire comme une conséquence possible du traumatisme de la guerre faite au Mexique, deux décennies plus tôt ?
Qu’est-ce que le Rio Grande ? Un front, une frontière, le résultat de la construction des États-Unis ? Lieu mythique et fantasmé du cinéma américain, le Rio Grande sépare, dresse un mur ou érige une barrière. Le pays qui se trouve au-delà du Rio Grande, au sud de la frontière incarne le mal, le territoire de tous les dangers, des hors-la-loi, des fugitifs. Quant à la représentation du Mexicain, colportée par l’industrie cinématographique hollywoodienne, elle est stéréotypée de manière encore plus violente et dégradante que celle des Indiens. Lieu commun durable du cinéma américain, à de très rares exceptions près.
À l’oreille
- The Marines’ Hymn
- Jorge Negrete – México Lindo y Querido
- Dvorak – Symphonie n°9 en mi mineur, Op. 95 du nouveau monde: l’Adagio
Pour aller plus loin
- Eric Taladoire, Sale guerre. L’invasion du Mexique par les Etats-Unis (1846-1848), éditions du Cerf, 2021
- Eric Taladoire, Mercenaires, anarchistes et bandits en révolution. Des étrangers sur la terre du Mexique. 1910-1917, CNRS Editions, 2020
- Eric Taladoire, L’aventure Maya. Découvertes du XVIème au XXIème siècle, éditions du Cerf, 2020. Prix Lantier de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 2020
- Eric Taladoire, Pepita, la femme du traître 5avec Rosario Acosta Nieva, Gingko, 2019
- Eric Taladoire, Les Contre Guérillas françaises dans les Terres Chaudes du Mexique (1862-67). Des forces spéciales au XIXe siècle,L’Harmattan, 2016
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