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#82 – De l’Afghanistan au Sahel: quels enseignements ?

proposée par Isabelle Kortian

Diffusée le 6 octobre 2021


#82 – De l’Afghanistan au Sahel: quels enseignements ?
Le monde en questions

 
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En plateau

Michel GOYA, historien, ancien colonel des troupes de marine, spécialiste de la guerre moderne, de l’innovation militaire et du comportement au combat, a enseigné à Sciences-Po et l’École pratique des hautes études (EPHE), en parallèle de sa carrière opérationnelle. Auteur de nombreux ouvrages dont Sous le feu. La mort comme hypothèse de travail, paru chez Tallandier en 2015, il tient également un blog consacré aux questions stratégiques, intitulé La voie de l’épée.

Contexte

Vingt ans après les attentats du 11 septembre 2001 qui ont provoqué en réaction une intervention américaine et internationale en Afghanistan, le retrait américain (décidé sous Trump, mais effectif depuis août dernier sous la présidence de Biden), laisse perplexe : « Tout ça pour ça ? », interroge Michel Goya. L’erreur stratégique américaine ne fut-elle pas de décider de frapper les Talibans au même titre qu’Al-Qaïda ? de mettre sur le même plan, voire de confondre et faire la guerre à la fois à une organisation terroriste (Al-Qaïda, hébergée en Afghanistan par les Talibans) et un ennemi identifié comme étatique (les Talibans au pouvoir, lesquels bénéficiaient de la protection du Pakistan redoutant de voir l’Afghanistan devenir une zone d’influence indienne). N’aurait-il pas fallu découpler les deux ? Ce qui aurait permis de fixer un objectif clair, tangible à une opération militaire internationale et d’atteindre des buts de guerre clairement définis.

Michel Goya rappelle que ce sont les nations qui font la guerre, pas les armées, même si les militaires sont en première ligne dans l’accomplissement des opérations. Cela signifie que la définition des buts de guerre, des objectifs à atteindre, sont assignés aux armées par le pouvoir politique. Lorsque le pouvoir politique, en France le président de la République, décide d’une intervention armée à l’extérieur, il répond la plupart du temps à la nécessité d’envoyer, en réaction rapide à un événement, un signe fort aussi bien au niveau international qu’au niveau national. Que se passe-t-il néanmoins quand on intervient militairement, sans buts de guerre clairement définis, quand on envoie en opérations extérieures des militaires sans objectifs précis et tangibles ? Comment met-on ainsi les militaires en difficulté, tantôt en raison de l’indécision politique ou de ses contradictions, tantôt en raison de l’impréparation, tantôt en ne leur donnant pas les moyens de vaincre en raison de contraintes budgétaires ou sans déclarer qu’on est en guerre ? Comment s’étonner ensuite de l’enlisement sur le terrain ou de l’impact considérable des réactions émotionnelles sur la poursuite cohérente ou non d’un engagement militaire ?

L’analyse des vingt années d’intervention militaire en Afghanistan montre encore que, dans son déroulé et ses séquences, le sort de la population locale fut négligé, l’amélioration de ses conditions de vie secondaire, sans oublier de mentionner les dommages collatéraux des opérations qui firent de nombreuses victimes parmi les civils. Comment dans ces conditions « gagner les cœurs » ? Lorsqu’en 2006, après avoir depuis 2003 concentré l’essentiel de leurs efforts en Irak, les Américains veulent reprendre la situation en main en Afghanistan, ils découvrent à quel point les Talibans sont implantés dans tout le pays, au point de devenir non seulement une organisation de guérilla mais un contre-pouvoir localement efficace, face à un régime présidentiel institué à Kaboul, sur le modèle des institutions américaines, mais masquant difficilement la réalité d’un Etat faible, où l’afflux de capitaux et d’ONG ne parvient pas à renverser la donne, mais accentue la corruption et la dérive kleptocrate. D’où l’incontournable question des leviers disponibles lors d’une intervention dans un Etat faible structurellement. Et la nécessité de le distinguer du cas d’un Etat provisoirement affaibli, mais susceptible de retrouver à moyen terme stabilisation et consolidation d’antan. Le déploiement de stratégies contre-insurrectionnelles, qui plus est importées de l’extérieur, dans un Etat provisoirement affaibli ou bien dans un Etat faible ou failli, peut-il produire les mêmes effets ?

Dans quelle mesure et jusqu’à quel point, le cas échéant, est-il légitime de comparer le retrait américain d’Afghanistan et le redéploiement français de l’opération Barkhane au Sahel ? Michel Goya revient sur le contexte de l’opération Serval, puis celui de l’opération Barkhane, ainsi que sur les récentes déclarations du Premier ministre malien, Choguel Maïga, à la tribune des Nations-Unies accusant la France d’abandon en plein vol. Au-delà de la volatilité des accusations passant, au gré des circonstances, de l’ingérence à l’abandon, déclarations souvent motivées par des fins de politique intérieure, Michel Goya pointe le fait que le Mali, ce n’est pas la « Françafrique » : l’engagement français au Sahel remonte aux années 1990, dans un contexte de lutte anti-terroriste. En revanche, depuis son indépendance, en 1962, le Mali a toujours eu des liens avec l’Union soviétique, notamment en matière de coopération militaire (formation des généraux maliens et équipements des forces armées). La poursuite de ces relations avec la Russie d’aujourd’hui ne constitue donc pas une nouvelle donne, ou un renversement d’alliance, mais une marge de manœuvre. Quant au redéploiement français, relocalisation hors Mali, au Niger, et réduction de la voilure (l’opération Barkhane est forte actuellement de 5200 hommes), il n’est pas sans lien non plus avec le besoin de recentrer certaines priorités sur le Sénégal ou la Côte d’Ivoire.

À l’oreille

Pour aller plus loin

  • Michel Goya, Sous le feu. La mort comme hypothèse de travail, Tallandier, 2015
  • Michel Goya, Les Vainqueurs. Comment la France a gagné la Grande Guerre, Tallandier, 2018
  • Michel Goya, S’adapter pour vaincre. Comment les armées évoluent, Perrin, 2019

Et

Radio Cause commune, Le monde en questions, n°53 (Michel Goya, La guerre, hier et aujourd’hui : retour d’expériences) et n°57 (Michel Goya, La mort comme hypothèse de travail)



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