#81 – Dans les coulisses des opérations clandestines
proposée par Isabelle Kortian
Diffusée le 29 septembre 2021
En plateau
Eric Denécé, ancien analyste du renseignement, directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), publie La nouvelle guerre secrète. Unités militaires clandestines et opérations spéciales, aux éditions Mareuil. Ouvrage écrit en collaboration avec Alain-Pierre Laclotte, ancien cadre des troupes aéroportées, dirigeant actuellement l’une des principales sociétés de sécurité privée française, après avoir passé vingt ans au ministère de la Défense.
Contexte
La fin de la Guerre froide a entraîné une mutation de grande ampleur dans la nature du renseignement. Durant Guerre froide prévalait en effet, souligne Eric Denécé, le renseignement d’ordre stratégique et civil. Dédié à la connaissance des capacités ennemies, il portait sur des objectifs de grande taille (nombre de garnisons, site de missiles, bases aériennes et navales, usines de production d’armements, mouvements de troupes, etc.) et sur une analyse de la situation internationale dominée par des enjeux stratégiques (négociations sur les armements classiques ou nucléaires, décryptage des intentions, connaissance des organigrammes civils et militaires, etc.). Désormais, depuis vingt ans au moins, le renseignement de type opérationnel et tactique est devenu prépondérant, pour faire face à la multiplication des conflits asymétriques, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. « Le but du renseignement n’est plus tant d’identifier les moyens et les activités des ennemis que d’anticiper ses opérations et d’identifier les cibles visées afin de les protéger. L’objectif est également de localiser les cellules adverses afin de les détruire. »
Pour acquérir les informations nécessaires au démantèlement de réseaux mettant en danger la paix et la sécurité internationales, le besoin de nouvelles unités militaires spécialisées, agissant clandestinement, et recourant à de nouvelles méthodes opérationnelles, est apparu. Plusieurs pays ont ainsi créé de petites unités de recherche humaine, opérant en civil et en secret, chargées de conduire des opérations de renseignement au profit des forces spéciales, des forces régulières ou des services de renseignement.
Eric Denécé identifie et décrit ces unités militaires clandestines qui jouent un rôle primordial dans les conflits actuels. Un travail inédit réalisé à partir de sources et d’une documentation disponibles, sachant que tout n’est pas libre d’accès et qu’aucune information, même partielle, n’est révélée ou ne filtre dans certains États. Il précise encore que ce genre d’unités militaires clandestines sont apparues dans des pays n’ayant pas de gendarmerie. Ce qui en fait une spécificité britannique, américaine et israélienne.
Si historiquement, les premières unités militaires clandestines, chargées du « renseignement spécial » ont vu le jour au Royaume-Uni et en Israël, dans les années 1970, dans un contexte urbain, on notera cependant côté britannique l’existence de l’unité militaire de renseignement Phantom qui opéra secrètement durant toute la Seconde Guerre mondiale. On pointera aussi le fait que les stratégies contre-insurrectionnelles élaborées par la Grande-Bretagne, dans le cadre de la défense de son Empire colonial, furent perfectionnées et appliquées jusqu’aux accords de Vendredi Saint du 10 avril 1998, en Irlande du Nord, non seulement contre l’IRA, organisation militaire et clandestine, mais aussi contre la population civile et catholique. Aux Etats-Unis, le Pentagone disposait d’un service militaire secret intitulé The Pond, qui opérait parallèlement à la CIA. En Israël, les premières unités militaires clandestines apparaissent en 1951 et sont issues des sections arabes du Palmakh.
Si les unités militaires britanniques, américaines et israéliennes ont acquis de fortes et indéniables compétences dans le registre opérationnel et tactique depuis 2001, se pose la question de la vocation spécifique de ce type d’unités. Crées à l’insu des instances en charge du contrôle du renseignement, et dans le but de leur échapper, œuvrant au profit de l’autorité militaire et dans son giron, ces unités ont montré qu’elles étaient parfois susceptibles de dérives (escadrons de la mort, torture, budget dissimulé, financement opaque). Si elles semblent avoir marginalisé les services civils de renseignement, n’assiste-t-on pas aujourd’hui à une remilitarisation du renseignement, quand par exemple la CIA effectue des frappes de drones ? Doublons contreproductifs ou recentrage en vue d’une meilleure efficience ?
À l’oreille
- Haendel – Riccardo Primo (opéra), acte 1, scène 6 : aria « Agitato da fiere tempeste »
- Boccherini – Guitare Quintets, Quintet in D major, G.448, « Pastorale »
- Rossini – L’Italienne à Alger (opéra) : air final de l’acte 1 “Pria di dividerci da voi, Signore”
Pour aller plus loin
- Eric Denécé et Alain-Pierre Laclotte, La nouvelle guerre secrète. Unités militaires clandestines et opérations spéciales, éditions Mareuil, 2021
- Eric Denécé, Renseignement et espionnage de la Renaissance à la Révolution (dir.), Ellipses, Paris, 2021
- Eric Denécé, Renseignement et espionnage du Premier Empire à l’affaire Dreyfus, (dir.), Ellipses, Paris, 2021
- Eric Denécé, Le renseignement au service de la démocratie, en collaboration avec Jean-Marie Cotteret, Fauves éditions, 2019
- Eric Denécé, Forces spéciales : l’avenir de la guerre ? collection L’art de la guerre », éditions du Rocher, 2002
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