#60 – Une histoire du rock chinois
proposée par Isabelle Kortian
Diffusée le 15 mars 2021
En plateau :
Coraline Aim, journaliste indépendante, spécialisée en culture contemporaine chinoise et sinophone, a découvert le milieu underground pékinois en 2006. Elle est l’auteure de Red Flag, une histoire du rock chinois, paru aux éditions Le mot et le reste en 2018. Dans ce livre tiré d’une centaine de rencontres et interviews d’acteurs et d’actrices de la scène musicale indépendante, réalisées à Pékin et dans d’autres grandes villes chinoises, elle relate l’histoire du rock en Chine.
Contexte :
Après la mort de Mao Zedong, le 9 septembre 1976, et le lancement de la réforme économique dite des Quatre modernisations par Deng Xiaoping, en 1978, les frontières de la Chine restées longtemps infranchissables s’ouvrent progressivement au monde. Jusqu’alors, et pendant près de trois décennies, rien ni personne n’est pour ainsi dire sorti de Chine ou entré. Ni musique, ni art, ni technologie, ni mode, etc. En outre, la Révolution culturelle, à partir de 1966, s’attaque à ce qu’elle dénonce comme les Quatre vieilleries (les vieilles idées, les vieilles coutumes, les vieilles habitudes et la vieille culture), et accentue violemment la césure instaurée après la Révolution de 1949 et la création de la République populaire de Chine (RPC): les jeunes générations sont privées de liens directs ou indirects avec la riche tradition culturelle et longue histoire du pays. A titre d’exemple, les seuls opéras autorisés et les seuls chants diffusés à la radio sont à la gloire des héros de la Révolution chinoise. L’arrivée de la musique pop, en provenance de Hong Kong ou Taïwan, signifie entendre pour la première des mélodies douces et suaves où il est question d’amour, et de rien d’autre.
Coraline Aim nous fait découvrir comment l’émergence de musiques alternatives a contribué à la création d’une scène indépendante chinoise. Comment l’essor du rock chinois installe durablement une contre-culture, en marge de la globalisation et mondialisation du R’n’B américain ou de la musique électro occidentale diffusée aujourd’hui dans les bars et les discothèques de Chine ? Elle souligne que l’histoire du rock chinois est indissociablement liée à l’histoire de la Chine des années 1980 à nos jours. C’est une histoire en accéléré mettant en scène un nombre limité de protagonistes parvenus néanmoins, en trois décennies, à pérenniser l’aventure du rock chinois, jusqu’à en faire un style à part entière.
Le rock apparaît pour la première fois en Chine en 1979 et il suit une évolution rapide vers le hard, le heavy metal, puis le punk, le rock indé, le rock psychédélique et toutes sortes de musiques expérimentales. S’il reste un phénomène marginal, jugé décadent par les autorités officielles, son public s’élargit. Et il se développe en rythmant les temps forts de l’histoire contemporaine du pays. Il est au rendez-vous en 1989, lors de la contestation étudiante, place Tiananmen, demandant des réformes politiques (la « 5ème modernisation », celle qui n’était pas inscrite au programme). Le hard rock et le metal naissent à la suite de la répression sanglante du 4 juin 1989, comme un acte de rébellion, en signe de rupture avec le régime. Avec la génération de l’enfant unique et l’avènement de la société de consommation, il devient moins contestataire et davantage une posture : 1989 reste un tabou et il faut contourner la censure. Il profite de l’occasion des Jeux asiatiques de l’automne 1990 pour rebondir, comme du développement d’internet en 1997, de l’entrée de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2000 et de la désignation de la capitale chinoise pour organiser les Jeux olympiques en 2008, de l’exposition universelle de Shangaï en 2010, etc. Au fil du temps, des labels comme Maybe Mars, des salles de concert comme D-22, des disquaires, des studios d’enregistrement, des festivals comme Modern Sky, des plateformes de streaming font leur apparition et, tout en créant un marché, améliorent considérablement les conditions de la création instrumentale et de sa production, malgré les pressions politiques sur tout ce qui n’est pas culture mainstream. Tout passe par le Bureau de la censure et il faut déployer un talent pour la contourner ou bien s’autocensurer. Après avoir exprimé sa part d’idéalisme et de rêves, le rock chinois exprime désormais davantage un certain désenchantement. D’ouvertement contestataire, il s’est transformé en posture et mode de vie. Moins politisé, il dit le mal-être d’une jeunesse urbanisée et les difficultés du passage à l’âge adulte dans un monde en constante mutation. Chemin faisant, il a forgé sa propre identité, ce timbre particulier et cette sonorité singulière qui l’émancipent de ses emprunts d’origine à la pop occidentale ; et il reste l’un des éléments moteurs d’une culture non mainstream (ou contre-culture), qui ne se limite plus à Pékin, mais s’étend aux autres métropoles chinoises.
À l’oreille :
- Teresa Teng – Yue liang dai biao wo de Xin – The moon represents my heart –
Grand nom de la pop taïwanaise et hongkongaise, Teresa Teng « à la voix de velours » contribue à la diffusion massive de la musique gangtai : « La lune représente mon cœur » est la première chanson gangtai populaire sur le territoire chinois.
- JM Jarre – L’ouverture de son concert en live à Pékin – 1981
La première introduction de la musique occidentale en Chine.
- Cui Jian – Je n’ai rien – 1986. L’album Rock’n’roll On the New Long March sort en 1989. Morceau emblématique. Cui Jian est le père du rock chinois et ce titre devient l’hymne de Tian An Men
- Tang Dynasty – Meng hui Tang Chao – A dream to return to Tang Dynasty – 1992.
L’ère Heavy metal et Hard rock post-répression de Tiananmen. Le chanteur Ding Wu renoue avec les techniques vocales de l’opéra chinois, des textes poétiques emblématiques de la culture chinoise et des éléments folkloriques.
- A Boy – Oi !
L’ère punk et la génération de l’enfant unique.
- Hang on the box – Kill Your Belly – 2001.
Un groupe de féministes aux textes trashy et politiquement engagés dans le paysage du rock pékinois. Elles chantent en anglais.
- K. 14 – Fast – 2004.
Le groupe occupe une place fondamentale dans l’évolution du rock, une référence pour les nouvelles générations. Leurs chansons évoquent les désillusions de la jeunesse urbaine.
- SMZB – Drunk with City.
- Carsick Cars – Zhong Nan Hai – 2007.
L’âge d’or du rock indé en Chine, avant les JO. Le trio Carsick cars, à la sonorité no-wave, devient avec son album homonyme, Carsick cars, la grande référence du rock chinois et le morceau « Zhongnanhai », est l’un des titres les plus emblématiques de l’album, avec son double sens qui lui fait désigner le siège du gouvernement et une marque de cigarettes.
- Demerit – Voice of the People – 2008.
Représentant de la scène punk, le groupe puisant dans le street punk et le métal des années 1980, s’oppose à l’image que la Chine veut donner d’elle l’année où elle organise les JO. Paysage sonore apocalyptique, comme la jaquette de l’album Bastards of the Nation, représentant l’immeuble abritant le siège de la télévision, partiellement détruit. Le dernier morceau du disque, Voice of the People, est interprété en acoustique.
- Birdstriking – Colored heart – 2012.
L’ère post JO. Héritier de P. K. 14 et Carsick Cars, Birdstriking utilise des drones qui poussent les sons post-punk vers un style noise et psychédélique. Le titre original de « Colored heart » était en réalité « Ton cœur devrait être de toutes les couleurs et pas seulement rouge », il a été modifié.
- Chui Wan – Chui Wan – 2015.
Chui Wan utilise dans ce deuxième album, au style très épuré, des instruments traditionnels pour en extraire des sons, en faire des samples, créer des boucles et en faire une improvisation sur du rock psychédélique, voire expérimental.
- GAI – La grande Muraille.
L’émergence d’une forte culture hip-hop depuis 2016. Le rap est banni des médias officiels et le rappeur GAI a disparu des écrans après un passage en télévision en 2018.
Pour aller plus loin :
- Coraline Aim, Red Flag. Une histoire du rock chinois, Éditions Le mot et le reste, 2018.
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