#58 – Hong Kong, l’insoumise
proposée par Isabelle Kortian
Diffusée le 1 mars 2021
En Plateau :
François Bougon, journaliste, ancien correspondant de l’AFP en Chine et du journal Le Monde en Asie, est aujourd’hui responsable du service étranger de Mediapart. Sinophone, il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la Chine et signe, avec Hong Kong, l’insoumise. De la perle de l’Orient à l’emprise chinoise (éditions Tallandier, 2020), l’un des rares livres en français sur le sujet.
Contexte :
Le 1er juillet 1997, Hong Kong est rétrocédée à la Chine et les Britanniques quittent le port parfumé dans lequel ils étaient arrivés 156 ans auparavant à bord de canonnières. C’est la fin de la politique du statu quo qui avait permis à la Grande-Bretagne de conserver ce territoire au lendemain de la Seconde guerre mondiale, en pleine période de décolonisation. Le règlement de la question de Hong Kong n’était pas alors la priorité de la Chine communiste, préoccupée avant tout par la question de la survie de sa révolution et celle de sa consolidation, ainsi que plus tard par le développement de sa puissance économique et géopolitique, avec l’ouverture progressive du pays dans les années 1970.
Pour autant, le règlement de la question est simplement différé, la souveraineté chinoise sur Hong Kong étant non négociable pour Pékin.
La fin du bail emphytéotique de 99 ans, imposé à la Chine sur les Nouveaux territoires – après le traité de Nankin par lequel l’Empire victorien prenait possession de l’île de Hong Kong et la seconde guerre de l’opium qui lui permettait de conquérir la péninsule de Kowloon – le met à l’ordre du jour. Après deux ans de négociations, la Première ministre britannique Margaret Thatcher et le Premier ministre chinois Zhao Ziyang signent, en 1984, une Déclaration commune, ratifiée l’année suivante, garantissant jusqu’en 2047, un statut particulier à l’ancienne colonie britannique, résumé sous la formule : « un pays, deux systèmes ».
L’humiliation des traités inégaux imposés à la Chine impériale au XIXème siècle, que la République chinoise n’a jamais reconnus, et dont Hong Kong était l’emblème, est lavée. Pékin retrouve la souveraineté sur ce territoire chinois. Hong Kong rentre dans le giron de la mère-patrie.
Comment comprendre ce qui se passe aujourd’hui à Hong Kong ? Une jeunesse, née après la rétrocession du territoire à la Chine et qui n’a par conséquent jamais connu la colonisation britannique, se rebelle contre l’emprise croissante de Pékin qu’elle dénonce comme une nouvelle puissance coloniale, alors que Pékin se considère comme l’héritière des luttes anticolonialistes ! François Bougon nous invite à déconstruire mythes et clichés sur Hong Kong en nous plongeant dans l’histoire complexe de ce territoire et notamment sur l’identité particulière de ses habitants qui ont vécu un siècle et demi sous tutelle occidentale. Car, Hong Kong n’a jamais été la terre vierge évoquée par le récit colonial : la perle de l’Orient de l’Empire victorien, était déjà peuplée avant l’arrivée des Britanniques par des pêcheurs, agriculteurs et pirates, des Tankas, des Punti, des Hakkas et des Hoklo, et elle fut tout au long de son histoire, une terre d’accueil pour les Chinois du continent fuyant la faim et la misère, un refuge pour les opposants de tous les temps, un lieu d’exil. Elle fut aussi un lieu de confrontation et de tension, un centre de mobilisation politique et sociale, un lieu de réflexion intellectuelle où s’élaborait l’avenir de la Chine, le berceau du mouvement nationaliste qui renversa l’Empire Qing en 1911, et le lieu d’émergence, de transit ou de formation des révolutionnaires communistes, qui changèrent le destin de la Chine au XXème siècle. Hong Kong, acteur et spectateur de ce qui se passe en Chine continentale. Hong Kong, l’insoumise, s’opposa à l’occupant britannique, voire à l’expansion française en Indochine, et ce depuis la seconde moitié du XIXème siècle et durant le XXème siècle, organisant des grèves portuaires, des grèves générales, le boycott des produits britanniques sur place et sur le continent, des attentats. Conflits sociaux des années 1920, pour dénoncer les conditions de travail. Emeutes et attentats dans les années soixante, la révolution culturelle s’invitant à Hong Kong et divisant la population locale chinoise.
À quelle époque débute la prise de distance d’une partie des Hongkongais vis-à-vis de la Chine ? Dès les évènements de 1966-1967, où les répercussions de la révolution culturelle auraient durablement effrayé et détourné de la Chine continentale une partie de la population de Hong Kong ? Après la répression sanglante du mouvement étudiant, le 4 juin 1989, place Tiananmen à Pékin, commémoré chaque année à Hong Kong par l’organisation d’une veillée au Parc Victoria ? Après la rétrocession de 1997 et l’attente inquiète qui s’installe ? Avec la manifestation du 1er juillet 2003, lorsqu’un demi-million de personnes s’opposent au projet de loi sur la sécurité nationale ? En tout cas, le mouvement des Parapluies occupant plusieurs quartiers de Hong Kong de septembre à décembre 2014 (durant 79 jours), qui réclame un véritable suffrage universel, jamais instauré du temps des Britanniques, mais qui devait l’être durant la période de transition, s’inscrit dans cette tradition de mobilisations civiles. Il en va de même pour les grandes manifestations de l’été 2019 contre un projet d’extradition vers la Chine présentée par la cheffe de l’exécutif, Carrie Lam.
Comment réagit ou réagira l’establishment local qui a dans l’histoire de ce territoire, chaque fois, pris parti pour le plus fort, qu’il soit britannique, japonais ou chinois ?
Que recouvre la revendication d’une identité hongkongaise distincte ?
Comment le fait qu’on parle cantonnais à Hong Kong et mandarin en Chine continentale, s’ajoutant à l’existence d’un cinéma hongkongais dont Bruce Lee est une icône, de la canto-pop, de l’esprit du « rocher au lion » symbolisant la fierté d’avoir fait de Hong Kong une métropole financière de premier rang, sont autant d’éléments constitutifs d’une certaine culture et modalités d’existence ?
Comment des référents identitaires multiples coexistent-ils ?
Comment le discours officiel accordant une place centrale aux Hans, contribue à l’exclusion des différences dont toute expression est réprimée au Tibet et au Xinjiang ?
Toutes proportions gardées, cette grille de lecture est-elle, oui ou non, pertinente pour Hong Kong ?
Sur un territoire qui n’a jamais été une démocratie du temps des Britanniques, des individus et des organisations se battant pour conserver des droits et libertés dont ils jouissaient, et pour en obtenir davantage, font aujourd’hui l’objet de répression (intimidations, emprisonnements, condamnations, perte d’emploi, etc.). La pandémie met un frein à la mobilisation de la rue et renforce la lutte de l’exécutif local contre ses opposants. Hong Kong peut-il néanmoins gâcher le centenaire du Parti communiste chinois, le 1er juillet 2021 ? Cette crainte conduira-t-elle Xi Jinping, qui n’a oublié ni la pérestroïka de Gorbatchev ni la chute de l’Union soviétique, à rechercher activement une sortie de crise et laquelle ? Que peut d’autre part gagner ou perdre ce territoire de 7 millions d’habitants dans la rivalité sino-américaine pour la place de première puissance mondiale ? Hong Kong, n’est-ce qu’un pion au XXIème siècle, après avoir été le lieu du rapprochement sino-américain au XXème siècle ? Quelle force du point de vue du droit international revêt la Déclaration sino-britannique de 1984, attribuant à Hong Kong un haut degré d’autonomie jusqu’en 2047, dans une période de grand désordre international qui n’épargne ni les normes juridiques ni leur universalité ?
À l’oreille :
- The Reynettes – Kowloon, Hong Kong (1966)
- Roman Tam – Below the Lion Rock (1979)
- Sam Hui – The Tower (1974)
- Beyond – Boundless Oceans, Vast Skies, 海阔天空(1993)
Pour aller plus loin :
- François Bougon, Hong Kong, l’insoumise. De la perle de l’Orient à l’emprise chinoise, Tallandier, 2020
- François Bougon, La Chine sous contrôle. Tiananmen (1889-2019), Le Seuil, 2019
- François Bougon, Dans la tête de Xi Jinping, Actes Sud, 2017
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