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#50 – Liban : retour sur un an de « révolution avortée »

proposée par Isabelle Kortian

Diffusée le 28 décembre 2020


#50 – Liban : retour sur un an de « révolution avortée »
Le monde en questions

 
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En plateau (virtuel) :

Aurélie Daher, enseignante-chercheuse à l’Université Paris-Dauphine et Sciences Po Paris, spécialiste du Liban, et notamment du Hezbollah.

Contexte :

Le 17 octobre 2019, débutait au Liban un mouvement de contestation civile. Des manifestations pacifiques se déroulaient à Beyrouth comme dans les principales villes du pays, pour dénoncer la corruption de la classe politique dirigeante et son incurie. Un quart de la population du pays, toutes confessions confondues, est descendu dans la rue pour appeler au renouvellement des élites dirigeantes issues des partis confessionnels.

Qu’en est-il un an plus tard ?

Que sont devenues les aspirations populaires à la déconfessionnalisation du paysage libanais, à l’émergence d’une nouvelle citoyenneté, d’un autre mode de fonctionnement institutionnel ? Force est de constater, observe Aurélie Daher, que la crise économique et bancaire que traverse le pays, la plus grave de toute son histoire, et frappant tous les citoyens, a fait de la survie de chacun et chacune, de chaque famille, une priorité. La paupérisation des classes moyennes et l’aggravation de la précarité des plus faibles, a augmenté l’insécurité, y compris alimentaire. La livre libanaise s’est considérablement dépréciée face au dollar, l’argent des particuliers placé dans les banques est bloqué ou réduit en fumée, ceux qui parviennent à nourrir leurs familles n’ont les moyens ni de payer leur traitement médical ni de financer les études scolaires et universitaires de leurs enfants dans un pays où l’enseignement est largement privé et communautaire.

Cependant avant même que la crise économique, bancaire, et sanitaire, étrangle le pays, les vieux réflexes et démons communautaires avaient repris le dessus sur la contestation transversale. La démission du Premier ministre, Saad Hariri, le 29 octobre 2019, et l’impossibilité de trouver un autre leader sunnite pour le remplacer, a bouleversé l’équilibre multiconfessionnel du système politique qui répartit le pouvoir et les ressources du pays entre les trois principales communautés. En effet, conformément à la Constitution en vigueur, le président du Liban doit être maronite, le premier ministre sunnite et le président de la Chambre des députés chiite, et conformément à l’interprétation de cet équilibre institutionnel, toute atteinte à cet équilibre doit se traduire par un jeu à somme nulle dans lequel les trois groupes religieux doivent soit tous perdre soit tous gagner. Ainsi, les sunnites se sont-ils désolidarisés de la contestation quand ils estimèrent que seule leur communauté avait perdu au jeu, alors que les chrétiens et les chiites n’avaient, quant à eux, pas été touchés par la démission de leurs dirigeants respectifs. En sonnant la fin de la récréation, le 24 octobre, le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah, avait appelé les manifestants chiites à rentrer chez eux, ce qu’ils firent. Les Druzes aussi finirent par rentrer dans le rang. Quant aux chrétiens, majoritairement maronites, ils étaient divisés : les partisans de Michel Aoun n’étaient pas descendus dans la rue pour exiger sa démission, contrairement à ceux de Samir Geagea. Dans un État clientéliste, pour trouver et conserver un emploi, ou pour qu’aboutisse la moindre démarche administrative ou relevant de la vie quotidienne, il vaut mieux passer par sa communauté et faire allégeance à ses leaders. Rares sont ceux qui ont les moyens de s’en affranchir et d’y résister.

Ajoutons encore que, sur la scène internationale, les mouvements sociaux de citoyens descendant dans la rue pour défendre leurs droits, appeler à un changement politique ou exprimer leur colère, au cours de l’année 2019 (en Irak, au Liban, en Algérie, au Chili, à Hong Kong, en Bolivie, au Venezuela, sans compter en Europe, les Gilets jaunes en France, les Catalans en Espagne, les pro et les anti-Brexit au Royaume-Uni), ont marqué le pas en 2020, la crise du covid ayant limité les possibilités de rassemblements collectifs, la lassitude ou la crise économique ayant fait le reste, sans oublier la répression et l’interdiction pure et simple de manifester.

Au Liban, il n’y eut donc de révolution qu’en termes de mécanique céleste. Retour à la case départ ou presque, constate Aurélie Daher. Un an plus tard, Saad Hariri a retrouvé son poste de premier ministre. L’espoir de voir aboutir l’enquête relative à l’explosion du port de Beyrouth (qui fit, le 4 août dernier, 200 morts, et plus de 6000 blessés et 250 000 sans-abris), inculper et condamner des responsables politiques, est sans doute illusoire dans ces conditions, malgré les attentes des victimes ou celles de leurs familles, étant donné le fonctionnement du système. Les dirigeants communautaires au pouvoir semblent insubmersibles et inamovibles, le blocage et la paralysie d’autant plus insurmontables qu’aucun leadership alternatif, aucune nouvelle figure politique n’a émergé durant la contestation civile, laquelle fut rejointe par des opportunistes de tous bords et vieux routiers de la politique libanaise.

Le Liban s’enfonce dans la crise. Quatre mois après l’explosion du port, Paris et les autres partenaires internationaux du Liban attendent hypothétiquement de ses dirigeants qu’ils réforment le pays en profondeur pour lutter contre la corruption, la gabegie, le clientélisme et l’opacité dont la population libanaise est la première victime. Sans ces réformes, il n’y aura pas davantage de fonds collectés que l’aide d’urgence de 280 millions de dollars débloqués, dont une grande part en farine après la destruction des silos de blé et réserves dans l’explosion portuaire. Or, toute la question est de savoir si la classe politique en place est capable de telles réformes. La levée temporaire et partielle du secret bancaire sur les comptes de la Banque du Liban (BDL) et ceux des institutions publiques permettra-t-elle de relancer l’audit juriscomptable de la BDL ou bien est-ce une nouvelle manœuvre pour gagner du temps ? L’Arabie saoudite avait dans le passé porté secours au Liban afin de soutenir la livre libanaise et les liquidités en devises des banques, de renforcer la stabilité du système financier et apaiser les tensions sur le marché. Ryad avait par exemple renfloué les caisses de l’État libanais, en juillet 2006, par le dépôt d’un milliard de dollars à la Banque centrale libanaise. Elle l’avait déjà fait en 1997, avec un dépôt de 500 millions de dollars.

Mais, désormais, Ryad est moins disposé à injecter de l’argent ou se porter garant des obligations financières du pays, n’ayant pas apprécié d’avoir été accusé par Beyrouth (et notamment par le président Michel Aoun)de détenir le Premier ministre libanais, Saad Hariri, lequel avait annoncé sa démission depuis le royaume saoudien, le 4 novembre 2017. Quant aux autres partenaires, ils sont aussi aux prises avec leurs propres difficultés économiques.

De quoi demain sera-t-il fait ? Des temps sombres en perspective ?

Aurélie Daher note que les Libanais survivent aujourd’hui grâce à l’aide, au soutien et à la solidarité de leur diaspora.

À l’oreille :

Trois extraits de l’épopée historique musicale intitulée Saïf 840 (Eté 1840) créée et écrite par Mansour Rahbani, en 1988 et reprise ensuite par Élias, Marwan, Ghady et Oussama Rahbani en 2009.

La pièce musicale retrace l’histoire mouvementée de cet été chaud où depuis la ville d’Antélias et au sein d’un groupe de résistants multi-communautaires, naît une offensive contre la répression des forces occupantes. Les turbulences de l’histoire libanaise, à travers musique, chant et danses : ses révoltes et ses combats, ses personnages courageux, pittoresques et attachants, ses histoires d’amour. Dans une fresque poétique, au succès non démenti, Mansour Rahbani déconstruit l’histoire pour en souligner sa part d’illusion et de désillusion, mais aussi les volontés, les rêves, les contradictions et les utopies qui ont la vie dure.

  • Mansour RahbaniAl Maaraka
  • Mansour RahbaniYa Hayya Allah
  • Mansour RahbaniBeirut

Pour aller plus loin :

  • Aurélie Daher, Le Hezbollah : mobilisation et pouvoir, PUF, 2014
  • Aurélie Daher, Parrainages régionaux et polarisations belligènes : la rivalité entre l’Iran et l’Arabie saoudite au Liban, in Critique internationale, 2018-3 (n°80)
    ET

  • Radio Cause commune, Le monde en question, n°09 et n°46


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