#36 – Lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie : le rapport 2019 de la CNCDH
proposée par Isabelle Kortian
Diffusée le 29 juin 2020
En Plateau :
- Nonna Mayer, sociologue, chercheuse au Centre d’études européennes et de politique comparée de Sciences-Po/CNRS
- Célia Zolynski, Professeur Agrégée de droit privé à l’Ecole de droit de la Sorbonne de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne où elle codirige le Département de recherche en droit de l’immatériel (IRJS-DreDis). Membre du Comité de prospective de la CNIL et du Comité national pilote d’éthique du numérique, elle est en outre personnalité qualifiée au sein de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) après avoir été membre du Conseil national du numérique (CNNum).
- Tommaso Vitale, Associate Professor de sociologie à Sciences Po, directeur scientifique du master Governing the Large Metropolis à l’École Urbaine, chercheur au Centre d’études européennes et de politique comparée de Sciences Po/CNRS
Contexte :
Le 18 juin 2020, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), Rapporteur national indépendant sur la lutte contre le racisme sous toutes ses formes, a publié son rapport annuel sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. S’articulant autour de deux grands axes, le rapport a comme objectifs de comprendre le phénomène raciste en France, d’analyser l’action de tous les acteurs étatiques et non étatiques en matière de lutte contre le racisme, et de formuler des recommandations pour le prévenir et le combattre.
Nonna Mayer, présente dans ses grandes lignes les conclusions de cette 29ème enquête de la CNCDH qui d’un point de vue méthodologique repose essentiellement sur des entretiens en face à face d’un échantillon représentatif de la population.
Plus de trois quarts des Français adhèrent à la lutte contre le racisme. L’indice longitudinal de tolérance (ILT), en hausse constante depuis 2013, se stabilise en 2019 après avoir atteint son plus haut point en 2018. Le renouvellement générationnel et une population de plus en plus diplômée sont des facteurs explicatifs de cette évolution de la société où les normes antiracistes, antisémites, anti-xénophobes prévalent de plus en plus, et plus à gauche qu’à droite. Les questions d’ordre économique et social sont les premières préoccupations des Français, loin devant les questions d’immigration, de racisme et d’intégrisme religieux, qui sont au plus bas.
Toutefois, les résultats encourageant sur l’état de l’opinion et les préjugés ne doivent pas faire oublier que le racisme lié à l’origine fait de nombreuses victimes. Il ne doit pas non plus faire oublier qu’il existe une hiérarchie dans les rejets d’autrui témoignant de préjugés particuliers à l’encontre de tel ou tel groupe ou minorité. Des milliers de femmes, d’enfants et d’hommes sont victimes chaque jour de discriminations dans l’accès aux services publics, à l’éducation, au logement, dans le monde du travail, voire lors des contrôles d’identités et sur les réseaux sociaux.
La CNCDH s’inquiète cette année encore de la persistance de préjugés et de discriminations fortes envers certaines minorités et tout particulièrement envers les Roms.
Ainsi, le racisme au quotidien reste une préoccupation majeure et une réalité sous-estimée invitant à distinguer logique des opinions et logique des actes, comme en témoigne l’augmentation des actes racistes, à mettre en perspective avec le faible nombre de contentieux pour motif raciste. Depuis de nombreuses années, la CNCDH appelle chaque année les pouvoirs publics à remédier aux causes de la sous-déclaration des actes racistes par les victimes.
La prévention et la déconstruction des préjugés dans tous les pans de la société doivent être privilégiés pour une lutte durable contre le racisme.
Si la CNCDH est très attachée à une approche globale du racisme, elle tient aussi à souligner les formes spécifiques qu’il peut prendre selon les minorités concernées. Le focus sur le racisme anti-Noirs met en lumière des préjugés encore très actifs, souvent sous-estimés, et propose plusieurs recommandations pour les combattre. Le monde en questions consacrera prochainement une émission au racisme anti-Noirs.
Célia Zolynski présente le second focus de ce rapport 2019, relatif à la haine sur Internet, laquelle a augmenté durant le confinement. Le racisme occupe une place importante dans les discours haineux en ligne qui se caractérisent en outre par leur dimension anonyme et virale : diffamations raciales, injures raciales ou incitations à la discrimination, à la haine ou à la violence publique. Lutter contre la haine en ligne est une nécessité et un enjeu social et sociétal. Depuis 2015, la CNCDH recommande à l’État français de se doter d’une autorité indépendante de régulation qui serait notamment chargée de prévenir, de répondre rapidement, et de manière adaptée, au discours de haine sur internet.
L’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique impose aux personnes physiques et morales dont l’activité est d’offrir un accès des services de communication au public en ligne, de signaler les contenus illicites à l’autorité judiciaire. Le recours aux dispositifs et outils existant telle la plateforme de signalement Pharos ou la brigade numérique de la gendarmerie ne sont-ils à encourager davantage et appliquer ?
Le 13 mai 2020, la loi visant à lutter contre la haine en ligne sur internet (dite loi Avia) a été adoptée par l’Assemblée nationale. En juillet 2019, la CNCDH avait émis un avis critique sur ce projet de loi qui visait entre autres à s’en remettre à des acteurs privés (Google, Facebook, Twitter, Snapchat, Youtube, etc.) pour effectuer eux-mêmes une censure des contenus haineux, leur donnant par conséquent un pouvoir non négligeable sur la liberté d’expression des utilisateurs sur leurs plateformes. Bien qu’inquiète en effet et consciente que la diffusion de messages à caractère haineux est favorisée par l’anonymat permis dans les réseaux sociaux, la CNCDH jugeait la loi inadéquate et disproportionnée avec des risques de censures non justifiées.
Le 18 juin dernier, le Conseil constitutionnel, s’appuyant notamment sur l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen précisant que « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi »), retoquait la loi Avia devant entrer en vigueur au 1er juillet 2020. Le juge constitutionnel considère en effet qu’il existe un risque de surcensure si on laisse les réseaux sociaux se prononcer sur un contenu, sans l’intervention d’un juge. L’obligation faite aux réseaux sociaux de supprimer dans les 24h, sous peine de lourdes amendes, les contenus haineux qui leur sont signalés, aurait pu inciter les opérateurs de plateforme en ligne à retirer des contenus signalés, qu’ils soient ou non manifestement illicites. Ce mécanisme prévu par la loi risquait ainsi de porter « une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée ».
On peut par ailleurs s’interroger sur la fiabilité des algorithmes en charge de détecter des contenus illégaux, en lieu et place du juge qui tient aussi compte du contexte pour qualifier et analyser le caractère licite ou illicite d’un propos.
Tommaso Vitale intervient sur le racisme anti-rom qui apparaît dans le rapport 2019 comme la forme de racisme la plus banalisée et celle qui suscite le moins de réprobation. La haine à l’égard des « Roms », la plus grande minorité d’Europe, est largement sous-estimée par les médias et l’opinion publique. Méconnus, les « Roms » forment en réalité une mosaïque de minorités, avec des langues, des pratiques religieuses et des religions différentes. Leur présence en France et en Europe est parfois multiséculaire, parfois plus récente, antérieure ou postérieure à l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, ou encore plus récente de quelques années ou de quelques mois. Ils représentent par conséquent des chaînes migratoires très différentes, et les plus pauvres parmi eux sont ceux qui sont au début de leur parcours migratoire et ne représentent guère plus qu’un « Rom » sur 20. Pourtant, ils forment la minorité la plus stigmatisée, la plus rejetée, et les préjugés et idées reçues à leur encontre sont nombreux et partagée par plus de la moitié de la population : « groupe à part, refusant de s’intégrer, nomade, contribuant à l’insécurité, vivant de vols et de trafics, exploitant les enfants ». A tel point que le plus grand nombre d’entre eux, ceux dont l’arrivée, l’installation et l’intégration en France est plus ancienne, cachent leur origine pour ne pas être victimes des discriminations et du racisme anti-Roms.
Tommaso Vitale rappelle la vague d’agressions contre les Roms qui s’est produite en Ile de France en mars 2020. Trente-sept agressions physiques furent commises à la suite de fausses rumeurs portant sur l’enlèvement d’enfants, attribués à des personnes assimilées aux Roms. Le poids des préjugés envers les Roms était au cœur de ces événements, pour la CNCDH, dans la mesure où l’association implicite entre Roms, pauvreté et menace à la sécurité publique était au fondement des motivations des agresseurs.
Il rappelle également que les Tsiganes ont fait l’objet d’une extermination par les nazis durant la Seconde guerre mondiale.
La CNCDH recommande l’élaboration d’un plan d’action national contre le racisme anti-Roms qui serait inclus dans le plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme.
Le monde en questions consacrera également prochainement une émission au racisme anti-Roms.
À l’oreille :
- Paul McCartney et Stevie Wonder – Ebony and Ivory
- Dmitrochenkova Raya – Russian Roma dance – Smolensk, Russia
Pour aller plus loin :
- Le rapport 2019 de la CNCDH
- Les essentiels du rapport de la CNCDH
- Nonna Mayer, “So close, yet so far : the French Front National and Les
Républicains (2007-2017).” In Trumping the Mainstream. The conquest of democratic politics by the populist radical right, ed. Lise Herman and James Muldoon, 222-245. London: Routledge (avec F.Haegel), 2018 - Nonna Mayer, 2018. “The Radical Right in France.” In The Oxford Handbook of the Radical Right, ed. Jens Rydgren, 433-451. Oxford: Oxford University Press, 2018
- Nonna Mayer, “L’ impact du genre sur le vote Marine Le Pen » dans la Revue française de science politique, 67 (6): 1067-1087.(avec A. Amengay et A. Durovic), 2017
- Bénédicte Fauvarque-Cosson (Auteur), Célia Zolynski (Auteur), Le cloud computing – l’informatique en nuage – Colloque 11 octobre 2013, Collection Colloques, volume 22, Société de législation comparée, 2014
- Nathalie Martial-Braz et Célia Zolynski, La gratuité : un concept aux frontières de l’économie et du droit, LGDJ coll. Droit et économie, 2013
- Célia Zolynski, Méthode de transposition des directives communautaires, Étude à partir de l’exemple du droit d’auteur et des droits voisins, Dalloz, 2007
- Tommaso Vitale, Italia civile. Associazionismo, partecipazione e politica. Donzelli, Roma, pp. VIII-216. ISBN: 97888-6843-507-3., 2016, with R. Biorcio).
- Tommaso Vitale, De la Ville à la Métropole. Les défis de la gouvernance, L’œil d’or, Paris, 400 pp., (avec Christian Lefèvre and Nathalie Roseau), 2013
- Tommaso Vitale, Programmare i territori del welfare. Attori, meccanismi ed effetti [Planning Welfare Territories. Actors, Mechanisms and Outcomes], Carocci, Roma, (with Emanuele Polizzi and Cristina Tajani), 2013
- Tommaso Vitale, La condizione giuridica di Rom e Sinti in Italia [The Legal Status of Roma and Sinti in Italy], Giuffrè, Milan, p. 1.382, two tomes (with Paolo Bonetti and Alessandro Simoni), 2011.
- Tommaso Vitale, Piccolo Nord. Scelte pubbliche e interessi privati nell’Alto milanese [Small North. Public Choices and Private Interests in Northern Milanese Area]. Bruno Mondadori, Milano, 304 p. (with Simone Tosi), 2011
- Avis de la CNCDH relatif à la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur internet
- Radio Cause commune, Le monde en questions, StopCovid : l’avènement d’une surveillance numérique généralisée ?, avec Patrice Franceschi et Célia Zolynski.
ET :
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