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#33 – Le pentecôtisme au Brésil

proposée par Isabelle Kortian

Diffusée le 1 juin 2020


#33 – Le pentecôtisme au Brésil
Le monde en questions

 
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En plateau :

Marion Aubrée, anthropologue et enseignante-chercheuse émérite à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Femme de terrain, elle observe depuis plus de 40 ans en Amérique latine, et en particulier au Brésil, l’importance de l’élément religieux dans la structuration des identités. Pionnière dans l’étude du pentecôtisme et néopentecôtisme au Brésil, elle étudie l’essor de ce mouvement religieux protestant né au début du XXème siècle aux États-Unis. Membre du comité de pilotage pour l’élaboration du Dictionnaire des faits religieux (PUF, 2019), elle en rédige plusieurs notices dont l’une sur le pentecôtisme.

Contexte :

Comme son nom l’indique, ce mouvement religieux issu du protestantisme accorde une place centrale au récit de la Pentecôte, célébrée 50 jours après Pâques, comme l’irruption de l’Esprit Saint sur les Apôtres. Elle représente un second Baptême, le commencement d’une vie nouvelle, une conversion personnelle. Annoncée par le Christ, la venue de l’Esprit Saint témoigne de la puissance de Dieu, de son action qui peut se manifester par des miracles, des guérisons, des dons tel que celui du « parler en langues » (glossolalie). Dans la Trinité chrétienne, l’Esprit Saint est la seule des trois figures ne faisant pas l’objet de représentation anthropomorphique. Il est souvent symbolisé par une colombe ou des langues de feu se posant sur les Apôtres. Le rapport à la Bible, central, ne suppose pas le détour par l’exégèse. Le pasteur, homme marié, est une figure charismatique, celui qui peut convaincre par la parole, convertir par son prêche, guérir les cœurs et les âmes, par exorcisme s’il le faut. Si le pentecôtisme s’est d’abord répandu dans les milieux urbains et parmi les populations les plus pauvres et fragilisées, c’est en partie dû au fait qu’il sait valoriser la subjectivité de l’individu précarisé, souder par l’émotion une communauté de personnes par ailleurs démunies, frappées par l’exclusion sociale ou paupérisées par l’exode rural et menacées d’anomie sociale. L’individu en quête d’un statut et de reconnaissance trouve une voie de salut en devenant pasteur, un moyen de gagner sa vie grâce aux dons des fidèles, ou en affirmant par la conversion son appartenance à une communauté d’élus.

Si la religion catholique demeure majoritaire au Brésil, elle n’est désormais plus hégémonique et les pentecôtistes constituent les principaux acteurs des processus de transformation religieuse en cours. Ainsi, un joueur de football brésilien, portant l’effigie de Jésus sur son maillot de football, signale qu’il est pentecôtiste.

Né aux Etats-Unis au début du XXème siècle, comment le pentecôtisme s’est-il développé au Brésil ? Par trois vagues successives, la dernière correspondant à ce qu’on a appelé l’avènement du néopentecôtisme remettant en cause l’iconoclasme, développant le télévangélisme, la théologie de la prospérité ainsi qu’une vision manichéenne du monde dans lequel les autres sont diabolisés, en particulier les cultes afro-brésiliens. Ces caractéristiques communes ne doivent toutefois pas occulter la grande diversité et multiplicité des églises se réclamant du pentecôtisme, leur fragmentation, même si certaines ont acquis un poids incontestable par rapport aux autres, par leur dynamisme, en investissant au fur et à mesure dans les médias, la politique, l’économie, au point de représenter désormais une puissance nationale et transnationale.

Le succès du pentecôtisme pèse dans le débat politique et les grands débats sociétaux. Mouvement conservateur, qui ne s’est pas dressé contre la dictature et le régime des militaires de 1964 à 1985, mais s’en est accommodé comme expression de la volonté de Dieu, mouvement hostile à la place traditionnellement accordée au corps et à la sensualité au Brésil, mouvement opposé à l’avortement, au mariage pour tous, à l’adoption pour tous, même s’il a pu prendre des positions sociétales parfois plus libérales dans sa concurrence avec l’Eglise catholique. Une partie des classes moyennes a adhéré au néopentecôtisme et, ulcérée par les réformes sociales du parti des Travailleurs (PT) de Lula (Bolsa Familia, démocratisation du transport aérien et des vols intérieurs, etc.), a voté en faveur du président Jair Bolsonaro. Pour mémoire, deux ans avant les élections présidentielles, ce dernier s’est fait baptiser dans les eaux du Jourdain, en 2016, son second baptême (« born again »), quittant le catholicisme pour devenir néo-pentecôtiste. De nombreux observateurs ont noté qu’il devait son élection en octobre 2018 aux fameux « 3 B », le « B » de bœufs pour les éleveurs de bovins, le « B » de Bible pour les évangélistes dont les néo-pentecôtistes constituent plus des deux tiers et le « B » de balles pour désigner les partisans du libre usage des armes à feu, aucun « B » n’étant exclusif de l’autre.

Le président Bolsonaro, toujours soutenu par des pans entiers de la société, mais de plus en plus critiqué par une partie des classes moyennes ayant voté pour lui, fera-t-il l’objet d’une destitution ? Cette procédure, qu’elle aboutisse ou non, pourrait-elle avoir un impact sur l’essor du néo-pentecôtisme au Brésil ?

À l’oreille :

  • Jorge Ben – Fio Maravilha
  • Jotta A – hallelujah

Pour aller plus loin :

  • Marion Aubrée, Intronisation d’un Trump tropical (in) OUTRE-TERRE – revue européenne de géopolitique, Le Brésil et la révolution géopolitique mondiale, n° 56, juin 2019, pp. 115-123, éd. Ghazipur. Paris.
  • Marion Aubrée, Raisons et déraisons de la terreur (en collaboration avec L. Bazin et M. Salim) (in) Journal de l’A.F.A, Terreurs et Violences – sujets et institutions, n° 154-155, 2ème semestre 2018, Paris.
  • Marion Aubrée, Brésil : les femmes pentecôtistes entre «combat» et «délivrance», (in) Gwendoline et Yannick Fer, Genre et Pentecôtisme : enjeux d’autorité et rapports de genres , éd. Labor et Fides, Genève, 2015, pp. 265-286.
  • Marion Aubrée, Fundamentalismos religiosos, violência e sociedade, M. Aubrée, I. Dias de Oliveira, E. Pace (orgs.), ed. FAPEG, Goiânia, 2017.
  • Marion Aubrée, Iemanjá, la sirène aux étoiles, en collaboration avec Isabelle Boudet, éd. Larousse, 2009.
  • Marion Aubrée, Le Livre, la Table et les Esprits – Genèse, évolution et actualité du mouvement social spirite, entre France et Brésil, en collaboration avec François Laplantine, éd. J.C Lattès, 1990.
  • Dictionnaire des faits religieux, sous la direction de Régine Azria, Danièle Hervieu-Léger, Dominique Iogna-Prat, PUF, 2ème édition, 2019, et notamment les 4 notices rédigées par Marion Aubrée.
  • Marion Aubrée, Jésus, l’Esprit-Saint et la couleur des fidèles, paru dans les Cahiers du Brésil contemporain, n°49-50, Paris, 2002, pp. 125-134.
  • Marion Aubrée, Pentecôtisme brésilien : les transformations du rapport au politique. Dynamique de la relation au politique, publié dans Penser le politique en Amérique latine, la recréation des espaces et des formes du politique, sous la direction de N. Borgeaud-Garcianda, B. Lautier, R. Peñafiel et A. Tizziani, Karthala, 2009, pp. 337-347.
  • Marion Aubrée, L’étude des protestantismes brésiliens : du « désenchantement du monde » au « polycentrisme du mal », paru en espagnol dans Interpretar la modernidad religiosa : Teorias, conceptos y metodos en América latina y Europa, Ed. del CLAEH, Buenos-Aires, 2007.
  • ET :

  • Radio cause commune, le monde en questions, n°31, Le Brésil, son président et le Covid-19, Invité : Hervé Théry.


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