21 – Yassin Adnan pour “Hot Maroc”
proposée par Isabelle Kortian
Diffusée le 9 mars 2020
En Plateau :
Incontournable figure de la littérature marocaine, Yassin Adnan est aussi journaliste, et notamment le concepteur et présentateur d’émissions culturelles consacrées aux auteurs et personnalités du monde culturel arabe. Il y eut d’abord l’émission « Masharif », diffusée sur la première chaine de télévision publique au Maroc, de 2006 à 2019, et désormais, depuis 2019, l’émission « Chez Yassin » diffusée chaque mercredi soir depuis le Caire (Égypte).
Contexte :
Poète et nouvelliste, Yassin Adnan se lance dans le roman avec Hot Maroc, publié au Caire en 2016. Chaleureusement salué par la critique au Maroc comme dans l’ensemble du monde arabe, son premier roman est nominé pour le Prix international du roman arabe (International Prize for Arabic Fiction), souvent appelé le Booker arabe. Ce prix créé en 2007 à Abu Dhabi est le plus prestigieux des prix du roman arabe.
Si la poésie a longtemps été le principal genre littéraire du monde arabe, le roman occupe désormais la première place. Son rôle s’avère essentiel pour comprendre le monde arabe contemporain. On ne peut donc que se réjouir des dynamiques de traduction et les encourager, car elles rendent possible le passage à une culture, à un monde que le regard extérieur ne suffit pas à capter pleinement.
Résumé :
Hot Maroc sort en français aux éditions Actes Sud dans une remarquable traduction de France Meyer. Le roman sera également bientôt publié en anglais.
Il se déroule dans la ville de Marrakech en pleine mutation, entre l’exode rural, l’apparition de bidonvilles et la construction de nouveaux quartiers. L’urbanisation désordonnée de la ville se reflète dans la vie des personnages sur près d’un demi-siècle. Quitter le bidonville privé d’électricité pour migrer vers l’un des nouveaux quartiers construits pour les classes moyennes émergentes est un signe d’ascension sociale, comme l’est aussi pour la plupart l’accès à l’université. L’arrivée d’internet, l’ouverture des cybercafés, les journaux en ligne et les réseaux sociaux donnent l’impression d’une accélération formidable de l’histoire, mais la modernisation en question ne signifie pas nécessairement davantage de liberté ou de démocratie. Les taupes restent des taupes.
On savourera la grande richesse du bestiaire de Yassin Adnan. Et toute son ironie. La comédie humaine se double d’une comédie animale. La zoologie vient au secours de la sociologie. Chaque personnage a son double, son alter ego en quelque sorte. Il y a l’écureuil à la mémoire phénoménale qui rate ses études d’histoire et de géographie, car il n’est doté que d’une mémoire d’indic, inopérante pour les dates et les cartes, se souvenant seulement de l’endroit où il a caché ses réserves en graines et noisettes. Il y a le hérisson, le chien sloughi, le caméléon, la vache, la chamelle et la pieuvre. Et tout ce beau monde, avant d’entrer dans la vie professionnelle, milite au sein de l’union nationale des étudiants du Maroc, divisée entre groupes gauchistes et groupes religieux islamistes. Ensemble ou séparément, ils livrent des batailles. Pour le retour des renvoyés, pour l’infirmerie ou pour savoir qui des gauchistes ou des islamistes contrôlera la cafétéria.
Le passé étudiant laisse des traces qu’un gérant de cybercafé saura exploiter plus tard pour faire et défaire, dans l’anonymat, réputations et carrières de ses prétendus ennemis, par le biais de fake news, pour le plus grand bonheur des services de renseignement qui profitent de son pouvoir de nuisance et le manipulent. Hot Maroc est une radioscopie de la nouvelle société marocaine née des bouleversements économiques des années 80. La médiocrité, la jalousie, la lâcheté, la mesquinerie y constituent un obstacle à l’émancipation et à la démocratie. Le livre pointe comment les intimidations, les menaces, les atteintes à la liberté d’expression passent aussi désormais par la toile qui surveille et punit. Mais tout cela, comme la question des fake news ou de l’ambivalence des nouvelles technologies de l’information et de la communication, dépasse largement les frontières du Maroc… Yassin Adnan nous interroge sur l’univers dans lequel nous vivons et celui dans lequel nous voulons vivre.
À l’oreille :
- Taallaka galbi chanté par Houyam Younès
- Hit da shamsireghket chanté par Cheikh Imam (dont la voix incarne le symbole de la chanson militante engagée, à partir des années 60)
- Ya Marrakech chanté par Ismail Ahmed (Ô Marrakech, rose parmi les palmiers)
Ces trois chansons sont citées dans le livre
Pour aller plus loin :
- Yassin Adnan, Hot Maroc, roman traduit de l’arabe (Maroc) par France Meyer, Actes Sud, mars 2020
- Yassin Adnan, Pommes de l’ombre (nouvelles), éditions de la faculté des Lettres Ben M’sik, Casablanca, 2006
- Qui croit aux lettres ? (nouvelles), Caravan Books, Delmar, New York (nouvelles)
- Yassin Adnan, Je ne vois qu’à peine (recueil de poésie), éditions Dar An-Nahda, Beyrouth, 2007
- Yassin Adnan, Le récif de l’effroi, recueil de poésie traduit en français par Siham Bouhal, éditions Marsam, Rabat, 2005
- Yassin Adnan, Trottoir de l’apocalypse (poèmes), éditions Al-Mahda, Damas, 2003
- Yassin Adnan, Mannequins (poèmes),éditions de l’Union des écrivains du Maroc, Casablanca, 2000
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