#134 – Lula is back !
proposée par Isabelle Kortian
Diffusée le 9 novembre 2022
En plateau
Hervé Théry, géographe, spécialiste du Brésil, directeur de recherche émérite au CNRS-Creda, Professeur à l’Université de Sao Paulo, co-coordinateur de la revue Confins, et auteur du blog
Contexte
De la prison à la présidence, Lula effectue un retour spectaculaire sur le devant de la scène politique brésilienne. Commentant les résultats du second tour de l’élection présidentielle du 30 octobre dernier, Hervé Théry note tout d’abord, que le risque de chaos et de contestation majeure du scrutin par les partisans de son rival Jair Bolsonaro, a été limité par la déclaration de ce dernier, après deux jours de silence, de respecter l’ordre constitutionnel et par celle de Ciro Nogueira, ministre de la Casa Civil précisant : « Nous commencerons le processus de transition en suivant rigoureusement la loi ». C’est un soulagement. Jair Bolsonaro, à défaut de reconnaître la victoire de Lula, a acté sa défaite. Il n’avait, en réalité, guère le choix, alors que ses soutiens le quittaient un à un. Dès le 30 octobre, son crucial allié, Arthur Lira, président de la Chambre des députés, félicitait Lula pour son élection. Son ami, le pasteur pentecôtiste ultra-conservateur Silas Malafaia déclarait, mardi 1er novembre, ne pas vouloir se lancer sans « preuve robuste » dans une « aventure » putschiste et disait « prier » pour le nouveau président de gauche. Bolsonaro a également perdu le soutien des barons de l’agro-négoce et de plusieurs gouverneurs, dont ceux de Sao Paulo et du Minas Gerais, qui ont envoyé leur police dégager les axes routiers.
Le scrutin (entièrement électronique) s’est donc relativement bien déroulé, les irrégularités furent peu nombreuses. Et dans l’ensemble, les institutions du pays souvent malmenées par Jair Bolsonaro ont bien résisté durant les quatre années de son mandat.
Mais, en recueillant seulement 50,9% des voix au second tour des élections présidentielles, la victoire de Lula n’est pas triomphale et le « phénix du Brésil » hérite d’une situation compliquée et dégradée économiquement, ainsi que d’un pays politiquement divisé. La mauvaise gestion de la crise sanitaire, qui fit plus de 700 000 morts au Brésil, n’a pas fait perdre autant de voix qu’on aurait pu le penser à Jair Bolsonaro. Indice que le vote des électeurs fut plutôt marqué par un phénomène de rejet : « Tout sauf Bolsonaro ! » ou bien « Tout sauf Lula !». Si Bolsonaro a perdu ses alliés politiques ou institutionnels, qui ont proclamé qu’ils respecteraient le sort des urnes, il a perdu aussi une partie du cœur de son électorat, que l’on a résumé sous la formule choc des « 3 B » : Beef, Bible, Balls. Il a perdu un peu de ses soutiens dans l’agro-business en raison de ses excès qui pourraient pénaliser les exportations de bovins ou de soja, voire susciter un boycott des produits brésiliens. Il a perdu aussi un peu du soutien des évangélistes. Il n’a en revanche que peu perdu d’électeurs dans le lobby des armes à feu, dont les partisans étaient ouvertement défendus par le président, convaincu comme ces derniers que le port d’armes et l’auto-défense étaient le moyen efficace de lutter contre l’insécurité chronique bien réelle du pays, faisant chaque année de nombreuses victimes.
L’ancien leader syndical, fondateur du Parti des travailleurs (PT), président d’une décennie dorée (2003-2011), et que Barack Obama avait qualifié d’« homme politique le plus populaire au monde », avait promis à sa sortie de prison de « sauver le Brésil » du « projet de haine » de Jair Bolsonaro. Mais au lendemain d’un scrutin serré, il va devoir convaincre le « marais » : pour beaucoup, le PT reste un repoussoir et un parti corrompu ayant acheté les voix de partis du centre pour gouverner. Or, le PT ne semble pas avoir depuis bénéficié d’un renouvellement de ses cadres et Lula est conscient qu’il devra rassembler au-delà du PT, lorsqu’il accèdera à la présidence en janvier 2023, et former une coalition.
Confronté à un Congrès hostile où les bolsonaristes sont majoritaires, à une situation économique incertaine, à un pays violent et polarisé depuis 2013 (et les manifestations de rue contre Dilma Roussef), quelles seront les marges de manœuvre de Lula ?
À l’oreille
- Tiago Doidao, Juliano Maderada- Tá na Hora do Jair Já Ir Embora (Il est temps que Jair parte)
- Musicas do Lula
- morceau instrumental, hommage au Nordeste qui a voté massivement pour Lula, avec ses rythmes et instruments typique (accordéon et triangle)
Pour aller plus loin
- Hervé Théry, Le Brésil, pays émergé, collection Perspectives géopolitiques, Armand Colin, 2e édition 2016
- Hervé Théry, Le Brésil, Armand Colin, 6e édition 2012
- Hervé Théry, « Brésil 2016, l’écume et les courants profonds », EchoGéo
- Hervé Théry,« Le Brésil est un pays anthropophage… », Portraits de géographes, Site de la Société de Géographie
Et
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