À l'antenne
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#132 – Consolée

proposée par Isabelle Kortian

Diffusée le 26 octobre 2022


#132 – Consolée
Le monde en questions

 
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Beata Umubyeyi Mairesse, lauréate du Prix des cinq continents de la Francophonie pour son premier roman, Tous tes enfants dispersés (Autrement, 2019), publie chez le même éditeur Consolée, un superbe roman sortant notamment de l’oubli un scandale méconnu de l’histoire coloniale.

Contexte

Année 1954. Nous sommes au Rwanda alors sous tutelle belge. Consolée, l’enfant d’un Blanc et d’une Rwandaise, est retirée à sa famille noire afin d’être placée dans une institution pour « enfants mulâtres ». Le discours colonial n’autorise pas le métissage, considéré comme un désordre. L’erreur doit être corrigée, tout doit rentrer dans l’ordre. Que se passe-t-il dans la tête de l’enfant saisissant à travers les bribes d’une conversation entre sa mère et l’un de ses oncles, qu’elle doit être rendue aux Blancs ? Qu’emporte avec elle Consolée arrachée à sa mère et à son grand-père avec qui elle a tissé une relation si forte qu’elle guidera tout au long de sa vie sa recherche de l’harmonie et d’une relation pleine d’empathie pour le monde, la nature, le cosmos, en phase avec tous les vivants ?

Soixante-cinq plus tard, Ramata, une quinquagénaire d’origine sénégalaise, effectue un stage d’art-thérapie dans un Ehpad du Sud-Ouest de la France. Elle y rencontre Madame Astrida, une vieille femme métisse atteinte de la maladie d’Alzheimer qui perd l’usage du français et s’exprime dans une langue inconnue. En tentant de reconstituer le puzzle de la vie de cette femme, en menant une véritable enquête, à l’instar de l’enquête menée par Beata Umubyeyi Mairesse pour faire sortir de l’oubli cet aspect peu connu de l’histoire coloniale, Ramata va se retrouver confrontée à son propre destin familial, amenée à repenser sa trajectoire migratoire à la lumière de la relation qu’elle entretient avec sa fille, à réfléchir son histoire et la considérer comme une histoire inachevée, ayant besoin d’être relayée, reprise par d’autres, pour être transmise enfin.

Beata Umubyeyi Mairesse dit la difficulté d’être noire aujourd’hui dans l’Hexagone. Elle rend audible l’inaudible, visible l’invisible. Les trous de la mémoire, les absences, les amnésies de l’histoire, le déni. Elle pointe aussi un phénomène social et sociétal, quelque chose qui demain pourrait demain arriver à plus d’un parmi nous, à savoir ne plus se souvenir dans sa vieillesse que de la langue de son enfance.

Beata Umubyeyi Mairesse signe un roman poétique, bouleversant qui met en résonance le passé colonial et la condition des enfants d’immigrés. Une écriture tout en nuances, pour dégoupiller les héritages et les idées reçues. Un roman polyphonique, où alternent sans se contredire, plusieurs voix narratrices. Juste ce qu’il faut pour déstabiliser le lecteur et la lectrice et l’inviter à prendre son temps, à emprunter des chemins de traverse, à faire des détours, autant de postures nécessaires à toute réflexion sur la pluralité des identités, trop souvent confondue avec la cacophonie ou la négation de l’universel. Consolée dit la possibilité d’une réparation symbolique et d’une langue retrouvée. L’enfant arrachée aux siens retrouve à la fin de sa vie la langue dont elle a été privée, l’univers, l’environnement dont elle a été séparée. Magnifique méditation sur le langage et sa puissance du langage avec tout ce qu’il charrie, véhicule, mais aussi tout ce qu’il porte comme promesse. Condition de possibilité du vivre ensemble. Reprendre langue, vaincre l’oubli, l’occultation, se parler, au-delà des effets de communication, vaincre les silences et les souffrances par la mémoire, reprendre ensemble le fil de la narration.

 À l’oreille

Pour aller plus loin

  • Beata Umubyeyi Mairesse, Consolée, roman, éditions Autrement, 2022
  • Beata Umubyeyi Mairesse, Ejo, suivi de Lézardes et autres nouvelles, Autrement, 2020 (edité aux Editions La Cheminante en 2015 et 2017. Ejo reçut le Prix François Augiéras, en 2016 et Lézardes, le Prix de l’Estuaire- Prix du Livre Ailleurs, en 2017.
  • Beata Umubyeyi Mairesse, Tous tes enfants dispersés, Autrement, 2019. Le livre est nominé pour plusieurs prix littéraires (Prix Wepler, Prix André Malraux, Prix Jean Giono, Prix du premier roman de la SGDL)
  • Beata Umubyeyi Mairesse, Après le progrès, 45 poèmes en prose, éditions La Cheminante, 2019.
  • Beata Umubyeyi Mairesse, Le fardeau de la femme blanche, nouvelle publiée dans La Nouvelle Revue Française, août 2019

Et

  • Radio Cause commune, Le monde en questions, n°29 et n°47


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