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#128 – Gorbatchev, le dernier dirigeant de l’Union soviétique

proposée par Isabelle Kortian

Diffusée le 21 septembre 2022


#128 – Gorbatchev, le dernier dirigeant de l’Union soviétique
Le monde en questions

 
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Vladimir Fédorovski, influent diplomate sous Gorbatchev, porte-parole de la Perestroïka. L’écrivain désormais français, de mère russe et de père ukrainien, auteur du Roman vrai de Gorbatchev, paru chez Flammarion en 2019, revient sur le destin du dernier Secrétaire général du parti communiste de l’Union soviétique (PCUS). Il vient par ailleurs de publier Nicolas II, Lénine – Le roman d’une révolution aux éditions Balland.

Contexte

Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev fut le dernier Secrétaire général du comité central du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS) – il fut désigné en 1985 – et l’unique et éphémère président de l’Union des républiques socialistes soviétiques (1990-1991). Il est décédé le 30 août 2022 à l’âge de 91 ans. Figure controversée et paradoxale, l’homme au legs ambivalent suscite des jugements contradictoires. Pour Vladimir Fédorovski, la personnalité de Gorbatchev était une forteresse inaccessible. Alexandre Yakovlev, qui fut à la fois l’inspirateur et l’architecte de la Perestroïka et l’un de ses plus proches collaborateurs se déclara quant à lui « incapable de pénétrer le psychisme de Gorbatchev ».

Loué, admiré, voire adulé en Occident pour son rôle dans la fin de la Guerre froide, rôle pour lequel il reçut le prix Nobel de la Paix en 1990, il était et reste beaucoup moins populaire en Russie et dans tout l’espace post-soviétique. Pour certains, il a changé la face du monde, permit la réunification de l’Allemagne, mis fin à la guerre en Afghanistan. Pour d’autres, il fut le fossoyeur de l’Union soviétique. Il est tenu pour responsable de la dislocation de l’URSS, même si en réalité cette dernière fut actée par la publication du communiqué du 8 décembre 1991, cosigné par Boris Eltsine, président de la république socialiste fédérative soviétique de Russie, Stanislaw Chouchkievitch, président de la république socialiste soviétique de Biélorussie et Leonid Kravtchouk, président de la république socialiste soviétique d’Ukraine. Ce communiqué appelé « accord de Minsk », conclu dans la forêt de Belovej, en Biélorussie, annonçait laconiquement : « l’Union des républiques socialistes soviétiques a cessé d’exister en tant que réalité géopolitique et en tant que sujet du droit international », et donnait naissance à la CEI, Communauté des Etats indépendants.

Mikhaïl Gorbatchev, l’homme de la Perestroika et de la Glasnost, a de son côté toujours dit qu’il n’avait pas voulu la dislocation de l’URSS. (Evénement que Vladimir Poutine considère comme la plus grande catastrophe géopolitique du XXème siècle). Mais sa politique de réformes et de transparence avait-elle des chances d’aboutir ou bien était-il trop tard pour transformer un système sclérosé et à bout de souffle ? Jusqu’où voulait-il réformer et jusqu’à quel point entendait-il mettre fin à la langue de bois, sinon vraiment démocratiser un système et un espace composé de 15 républiques ? Il est en tout cas le premier leader politique de l’histoire soviétique à avoir passé sa jeunesse dans un village et aux champs avant de s’élever dans l’appareil du parti. Il est issu d’une famille paysanne de la région de Stavropol, située au sud de la Russie. La région n’a jamais connu le servage et aurait ainsi conservé une certaine liberté d’esprit, voire un sens de l’initiative. Qui plus est, depuis la mort de Staline, elle est un laboratoire expérimental de réformes, notamment dans l’agriculture. Second atout, Gorbatchev et sa femme ont fait des études universitaires, ce qui les distingue de la plupart des autres hauts cadres soviétiques, et leur donne des billes manquant à d’autres. De retour de Moscou où il a fait ses études de droit et s’est marié avec Raïssa, Gorbatchev intègre vite à Stavropol l’équipe qui pilote localement des projets réformateurs, avant de devenir le Premier secrétaire de la région de Stavropol.

Enfin, troisième atout, et non des moindres, Gorbatchev, est originaire d’une région peuplée à ses marges par une mosaïque de nationalités. Il aurait pu avoir une approche moins doctrinale de la question nationale supposée résolue par le mythe de la fusion des peuples dans un seul peuple soviétique. Au lieu de cela, confronté aux aspirations sociales, politiques et nationales, le Secrétaire général s’inscrira dans la lignée répressive de ses prédécesseurs, fermant la porte au dialogue et à la négociation. Cela commença avec l’arrestation et le transfert à Moscou, le 10 décembre 1988, des membres du Comité Karabagh, lesquels constituaient une véritable force politique alternative, et critiquaient notamment la gestion calamiteuse du séisme qui frappa l’Arménie le 7 décembre 1988 ainsi que la captation de l’aide internationale à Moscou ; en Géorgie, à Tbilissi, 22 manifestants furent tués à coups de pelle, en avril 1989, par l’armée soviétique ; en Azerbaïdjan, l’intervention de l’armée soviétique à Bakou fit 130 morts et des centaines de blessés, dans la nuit du 19  au 20 janvier 1990. C’était du reste la première fois que l’armée soviétique prenait d’assaut une ville située en territoire « soviétique ». Sans oublier l’assaut du Parlement et de la télévision de Vilnius par l’armée soviétique, en Lituanie, qui fit 14 morts, le 13 janvier 1991 ; ni les 5 morts à Riga, en Lettonie, cinq jours plus tard dans un assaut similaire.

Vladimir Fédorovski note deux erreurs majeures commises par Gorbatchev. La loi anti-alcool tout d’abord qu’il promulgua très vite et le rendit impopulaire, lui valant l’appellation de « Secrétaire minéral », puisqu’il était réputé ne pas boire d’alcool. Conséquence, l’augmentation de la consommation d’eau de Cologne, alcool frelaté et autres produits d’entretien comme substituts à la vodka et développement de la production privée artisanale. Autre erreur considérable, l’adoption en 1986 de la loi sur l’Entreprise qui permet aux chefs d’entreprise en place de prendre tout pouvoir sur de nombreux secteurs de l’économie du pays, ce qui eut pour conséquence la perte du contrôle budgétaire par l’administration, déclencha le pillage des richesses du pays et l’émergence d’une oligarchie prédatrice. Mais, remarque néanmoins Vladimir Fédorovski, c’est tout le legs de Gorbatchev (fin de la Guerre froide, le choix de la paix) qui vole en éclats dans la situation internationale actuelle, en rappelant que l’homme qui avait quitté la vie politique en 1991 avait mis en garde contre le risque de troisième guerre mondiale et le danger nucléaire.

À l’oreille

Pour aller plus loin

  • Vladimir Fédorovski, Nicolas II, Lénine – Le roman d’une révolution, éditions Balland, 2022
  • Vladimir Fédorovski, Le roman vrai de Gorbatchev, Flammarion, 2019 – J’ai lu, 2022
  • Vladimir Fédorovski L’Ukraine. Les faces cachées, éditions Balland, 2022
  • Vladimir Fédorovski, Le roman de Saint-Pétersbourg, éditions du Rocher, 2003. Prix Europe
  • Vladimir Fédorovski, Poutine de A à Z, Stock, 2017
  • Vladimir Fédorovski, Dictionnaire amoureux de Saint-Pétersbourg, Plon, 2016
  • Vladimir Fédorovski, Poutine, l’itinéraire secret, éditions du Rocher, 2014

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