À l'antenne
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#124 – Volodymyr Zelensky dans la peau de son peuple

proposée par Isabelle Kortian

Diffusée le 13 juillet 2022


#124 – Volodymyr Zelensky dans la peau de son peuple
Le monde en questions

 
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En plateau

  • Régis Genté, journaliste, correspondant dans l’ancien espace soviétique pour RFI, mais aussi pour France 24 et Le Figaro, est installé depuis plus de vingt ans à Tbilissi, capitale de la Géorgie.
  • Stéphane Siohan, journaliste, correspondant à Kyiv depuis 2013 pour Libération, Le Temps et RFI, a observé l’ascension du phénomène Zelensky et couvre la guerre de la Russie en Ukraine.

 Les deux journalistes publient ensemble Volodymyr Zelensky. Dans la tête d’un héros, aux éditions Robert Laffont.

Contexte

L’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie ont demandé officiellement leur adhésion à l’UE cinq jours après le début de l’invasion russe le 24 février 2022. Les 27 membres de l’Union européenne (UE) ont accepté la candidature de l’Ukraine et celle de la Moldavie, le 23 juin dernier, leur traçant un « destin » européen, tandis qu’ils ouvraient une « perspective » européenne à la Géorgie, conditionnant son accès au statut de candidat à la réalisation de réformes afin de garantir l’indépendance de la justice et des médias, et lui demandant d’œuvrer à l’amélioration du climat démocratique.

Les journalistes Régis Genté et Stéphane Siohan commentent les réactions en Géorgie et en Ukraine face à la décision du Conseil européen, confirmant l’avis de la Commission européenne. Déception et amertume en Géorgie où les partisans de l’UE sont descendus à trois reprises dans la rue pour rappeler que dans leur très grande majorité les Géorgiens veulent rejoindre l’Europe. Mais ils protestaient également contre leur gouvernement qu’ils accusent d’une part d’avoir délibérément saboter l’opportunité d’obtenir le statut de candidat à l’adhésion, et de servir d’autre part, de facto, les intérêts de la Russie, sous couvert d’une stratégie de normalisation avec cette dernière. En Ukraine, en revanche, le statut de candidat est apprécié comme une bonne nouvelle dans un contexte de guerre, et vécu comme une reconnaissance. L’entrée de l’Ukraine dans la famille européenne, voire son appartenance, s’est en effet imposée comme une sorte d’évidence, depuis l’invasion militaire de la Russie de Poutine et la sidération provoquée par la violation de l’intégrité territoriale du pays et la remise en cause de sa souveraineté. La résistance ukrainienne face à l’agression russe est devenue synonyme de combat pour la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes. Cette perception de la situation, notamment par les opinions publiques européennes et américaine, est nouvelle : elle date de la fin février 2022. Pourtant l’Ukraine, après l’annexion éclair de la Crimée par la Russie, est en état de guerre, depuis 2014, dans le Donbass où des forces séparatistes pro-russes, soutenues par la Russie et formées militairement par la milice Wagner, ont fait sécession, créant les républiques de Louhansk et de Donetsk que Poutine a reconnues peu de temps avant d’envahir l’Ukraine.

Changement d’échelle, de nature ou de degré du conflit ? Changement de perception du conflit ? Prise de conscience ? Un homme en tout cas a incarné ce moment historique : Volodymyr Zelensky. L’ancien acteur qui faisait rire les publics ukrainien et russe, à la tête de l’Ukraine depuis 2019, a fait son entrée dans l’histoire depuis le 24 février 2022. Il est le leader qui fait passer son pays dans une nouvelle dimension historique, symbolisant la bascule ukrainienne. Comme le soulignent Régis Genté et Stéphane Siohan, le personnage s’est métamorphosé en chef de guerre, forçant l’admiration, en incarnant l’héroïsme de tout un peuple défendant les principes fondateurs et les valeurs de l’UE. Celui qui a troqué le costume de ville pour le pantalon de treillis et le tee-shirt kaki, a fait face, restant à la Bankova, le siège de la présidence en plein cœur de la capitale ukrainienne, à l’image de son peuple entrant dans la résistance, telle une nation en armes, jouant son destin et luttant pour sa survie. Pour les Ukrainiens, il s’agit d’une guerre d’indépendance et de libération dans laquelle le pays réalise, en ce début de XXIème siècle, son unité nationale.

Ironie de l’histoire, Volodymyr Zelensky, l’homme d’affaires devenu millionnaire, est pour ainsi dire entré en politique « par effraction » alors qu’il n’avait aucune expérience politique, un peu comme l’Ukraine est redevenue souveraine de plein droit « par inadvertance » en 1991, étant la dernière des 15 ex-républiques socialistes soviétiques à proclamer son indépendance par voie de referendum, le 1er décembre 1991. Trente ans plus tard, les Ukrainiens, à plus de 80% pro-européens, voient l’Europe comme un espace civilisationnel de libertés et de démocratie, un cadre normatif garantissant l’Etat de droit, la protection des individus et la sécurité collective.

En l’espace d’une génération, la société ukrainienne a connu de profondes mutations. Si la corruption reste un défi majeur à relever, le désir d’Europe s’est imposé auprès de la nouvelle génération qui a peu connu l’époque soviétique et n’en a pas la nostalgie. Pour elle, le statut de candidat à l’adhésion est un puissant levier de transformation de la société et de l’Etat. Elle partage de moins en moins de points communs avec la Russie. Certes, les voies de l’émancipation démocratique empruntent parfois un parcours chaotique, et ce fut le cas de l’Ukraine depuis 1991, mais elle est aujourd’hui un pays très jeune, engagé à bâtir un monde meilleur pour les futures générations. A contrario, la Russie de Vladimir Poutine (âgé de 70 ans) défend une vision impériale ou néo-impériale de la Russie, sur le mode prison des peuples, adepte d’une conception autocratique du pouvoir, brimant les libertés civiles et politiques, réprimant les opposants : elle fait figure de repoussoir dans la conjoncture, aveugle et sourde face au renouvellement des générations qui ne veulent pas d’un retour au monde d’avant. La trajectoire de Volodymyr Zelensky (âgé de 40 ans) accompagne celle de son pays, depuis Maïdan et 2013, lequel a fait le choix d’une conception plurielle et inclusive de l’identité, résolument moderne, tournée vers l’avenir et rejetant tout retour rétrograde au passé. La guerre en est en train d’accélérer ce processus de mutation sociale et sociétale en accentuant le divorce entre les deux visions du monde.

Dos au mur, les Ukrainiens cependant n’ignorent rien de la gravité de la situation. Ils savent que la guerre sera longue. Les pertes humaines, les destructions matérielles, sont considérables, sans compter les disparitions, les enlèvements, ainsi que des transferts forcés de population en Russie. Les mécanismes d’anéantissement et d’annihilation sont une menace réelle. S’ils perdent la guerre, l’avenir des 3 ou 4 prochaines générations est en jeu. Mais, qu’en est-il des Occidentaux aujourd’hui unis dans leur soutien à l’Ukraine ? Sont-ils prêts à payer les conséquences (notamment économiques, énergétiques) d’une guerre longue ?

Les pressions sur le président Volodymyr Zelensky sont très fortes, de tous côtés. Les dangers aussi. La dépendance du pays vis-à-vis des Occidentaux pour les livraisons de matériel militaire ne fragilise-t-elle pas le président ? De quoi les Ukrainiens ont-ils besoin pour faire la différence sur le terrain et pour gagner ? Faut-il vouloir à tout prix et au plus vite instaurer un cessez-le-feu ? Faut-il ou non négocier sans préconditions ? Quelle paix et dans quelles frontières ? Combien de temps le président Zelinsky réussira-t-il à maintenir l’Ukraine en haut de l’agenda international et médiatique ? Les Etats-Unis et les Européens la soutiendront-ils quoi qu’il en coûte, en lui donnant les moyens de repousser l’assaillant, et pas seulement de s’épuiser chaque jour davantage dans une guerre défensive d’attrition ? Choisiront-ils en dernière instance de ménager Vladimir Poutine, comme ils l’avaient fait jusqu’au 24 février dernier ? Pour les livraisons d’armements et de munitions comme pour la reconstruction, l’Ukraine dépend de leur bon vouloir.

À l’oreille

Pour aller plus loin

Regis Genté – Stéphane Siohan, Volodymyr Zelensky. Dans la tête d’un héros, éditions Robert Laffont, 2022.



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