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#123 – Un autre monde

proposée par Isabelle Kortian

Diffusée le 6 juillet 2022


#123 – Un autre monde
Le monde en questions

 
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En plateau

Alain Frachon, ancien correspondant à Téhéran, Londres, Washington et Jérusalem, puis chef du service étranger et directeur de la rédaction du journal Le Monde. Il tient depuis 2014 une chronique hebdomadaire de politique étrangère pour le même quotidien. Il publie Un autre monde. L’ère des dictateurs aux éditions Perrin.

Contexte

Qu’est-ce qu’un chroniqueur de politique étrangère ? En quoi consiste l’exercice de la chronique internationale ? Alain Frachon qui tient chaque semaine, depuis 2014, une chronique dans le journal Le Monde, présente la spécificité du genre. Un format précis, 5700 signes espaces compris dans son cas. Une régularité, elle est publiée chaque jeudi, dans l’édition du Monde datée du vendredi. Un espace affermé. Un caractère transgenre, qui peut emprunter aussi bien à l’éditorial, à l’analyse, au reportage qu’au portrait. Dans cet espace, il est maître à bord, pour analyser, jauger, expliquer, interroger l’actualité. Il peut aussi s’indigner. Avec une règle éthique qu’il respecte toujours, celle de la clarté de l’expression afin de rendre intelligible son propos à ses lecteurs et lectrices. Et avec un scrupule, celui d’éviter de parler de tout (la « toutologie »), préférant pour cette raison mettre l’accent sur les régions qu’il connaît, ses « majors », comme il aime les appeler, que sont le Moyen-Orient, l’Amérique du Nord et la Grande-Bretagne, post et pré-Brexit, bref toutes ces aires géographiques dans lesquelles il a été correspondant, d’abord pour l’Agence France-Presse (AFP), puis pour Le Monde. Des régions qui lui sont familières, dans lesquelles il a vécu et avec lesquelles d’une manière ou d’une autre, de façon continue, il a tissé des liens. D’où sa conviction que pour être chroniqueur, il faut déjà avoir une certaine expérience professionnelle, permettant le recul et la distance nécessaires à l’exercice. Sans oublier la curiosité, l’ouverture d’esprit, l’humilité dans le savoir, qui portent à la lecture et relecture des anciens comme des plus contemporains.

Dans Un autre monde. L’ère des dictateurs, Alain Frachon a rassemblé une centaine de ses chroniques publiées entre 2014 et 2022, depuis la fin du mandat de Barack Obama, la présidence de Donald Trump, les crises et guerres à répétition au Moyen-Orient, la volonté de puissance et montée aux extrêmes de la Russie, l’affaiblissement spectaculaire des démocraties face à l’ascension spectaculaire de la Chine et celle des régimes autocratiques ou dictatoriaux. Quelles sont les lignes de fond, les tendances se dégageant du chaos de la scène internationale ? L’ordre international instauré au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et la victoire des Alliés, le système onusien s’articulant autour de la Charte des Nations-Unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme, est aujourd’hui remis en cause dans sa prétention à l’universalité normative : il est accusé de vouloir imposer à l’ensemble de la planète un ordre et des valeurs qui ne seraient que l’incarnation ou la projection d’une représentation du monde qui ne serait qu’occidentale. D’où sa contestation dans les faits et le discours par des puissances comme la Chine ou la Russie refusant de se plier à des valeurs qui ne seraient ni les leurs, ni universelles, seulement occidentales.

Face à cela, les démocraties occidentales sont déstabilisées, en repli. Les États-Unis en premier lieu, mais pas seulement, se sont trompés sur la fin de la Guerre froide qu’ils n’ont pas gagnée comme ils l’ont cru et dit. L’Union soviétique s’est effondrée d’elle-même, sous le poids de ses propres contradictions, insuffisances et échecs. Pendant qu’ils célébraient la fin de l’histoire et leur triomphe idéologique, confiants dans le fait que la mondialisation économique serait nécessairement le précurseur de la démocratie, ils ont peiné à réaliser que l’économie de marché et le capitalisme faisaient bon ménage (prospéraient) avec des régimes autoritaires, peu soucieux des libertés civiles et politiques et des droits humains. L’émergence de la Chine fut du reste pendant longtemps un objet de déni : au mieux elle était considérée comme l’usine du monde, inondant le marché de produits bas de gamme ! Ce n’est plus le cas aujourd’hui et, devenue deuxième puissance économique mondiale, elle vise la première place.

Entre les États-Unis et l’Europe, d’une part, et des puissances contestataires jusqu’à un certain point de l’ordre mondial hérité de 1945, d’autre part, existent un nombre de pays qui ne souhaitent l’inféodation à aucun de ces deux « blocs » géopolitiques qu’ils refusent d’ailleurs de considérer comme deux camps irréductibles. Ils veulent exister en entretenant librement des relations avec les uns ou les autres, tentant de dégager une marge de manœuvre pour agir en fonction de leurs intérêts propres. On l’observe très clairement dans le cas de l’Inde, par exemple. Mais elle n’est pas seule dans ce cas.

Peut-on parler d’un recul des Occidentaux ? Avec les désillusions consécutives à l’implosion de l’Union soviétique, c’est un autre monde qui a vu le jour, et non pas celui qu’ils attendaient naïvement. Les succès relatifs de la guerre contre le terrorisme après le 11 septembre 2001, les scandales liés à l’existence du camp de Guantanamo et de la prison d’Abou Ghraib, le retrait d’Afghanistan en août 2021 consacrant le retour au pouvoir des Talibans, tout cela n’a pas peu contribué à décrédibiliser le discours occidental sur les valeurs notamment. L’arrogance et les inconséquences ont fait le reste. La crise financière et économique de 2008 a quant à elle jeté un doute sur les compétences économiques et financières du monde occidental. La gestion de la pandémie liée au covid-19 et l’accès aux vaccins n’ont pas redoré son blason. Alain Frachon souligne la part de responsabilité des Occidentaux qui, depuis la fin de la Guerre froide, sont les premiers auteurs de leur déconsidération vis-à-vis du reste du monde.

Le retour de la guerre en Europe changera-t-il la donne ? La durabilité de l’attractivité européenne sur les autres nations, restées en dehors des frontières actuelles de l’Union européenne, sera-t-elle de nature à impulser une nouvelle dynamique signant la fin de l’effacement européen ?

À l’oreille

Pour aller plus loin

  • Alain Frachon, Un autre monde. L’ère des dictateurs, Perrin, 2022
  • Alain Frachon, États-Unis : de Roosevelt à Obama, avec Daniel Vernet, Le Monde, collection « Histoire », 2013
  • Alain Frachon, La Chine contre l’Amérique, avec Daniel Vernet, Grasset, 2012
  • Alain Frachon, L’Amérique des néo-conservateurs. L’illusion messianique, avec Daniel Vernet, Perrin, coll. « Tempus », 2007
  • Alain Frachon, L’Atlas des religions. Pays par pays, les clés de la géopolitique, hors-série Le Monde, 2007
  • Alain Frachon, L’Amérique messianique. Les guerres des néo-conservateurs, avec Daniel Vernet, Le Seuil, 2004


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