#119 – La Moldavie à la croisée des mondes
proposée par Isabelle Kortian
Diffusée le 1 juin 2022
En plateau
Florent Parmentier, Secrétaire général du Cévipof, enseignant à Sciences-Po, chercheur au Centre HEC Paris de Géopolitique, spécialiste de l’Europe centrale et orientale, a publié, avec Juliette Durrieu, La Moldavie à la croisée des mondes, aux éditions Non Lieu.
Contexte
Enclavée entre la Roumanie et l’Ukraine, pays grand comme la Bretagne ou la Belgique, la Moldavie est à la croisée des mondes, tiraillée par ses influences multiples liées à son histoire, sa culture, ses intérêts économiques et stratégiques. Un habitant de Chisinau plus que centenaire et qui aurait vécu toute sa vie dans le même appartement de l’actuelle capitale, serait né sous l’Empire russe des Romanov, entre les deux guerres mondiales aurait été roumain, après la Seconde Guerre mondiale, il aurait été citoyen soviétique et serait moldave depuis le 27 août 1991, en ayant ainsi changé quatre fois de pays en restant dans la même maison.
On trouve dans cet exemple, souligne Florent Parmentier, l’une des caractéristiques typiques de l’Europe centrale et orientale : la mobilité des frontières. La Moldavie aujourd’hui est le résultat de cette histoire, méconnue, mais un résumé de l’histoire de l’Europe. Elle n’est pas la Syldavie de Tintin, ni la Poldavie de Boris Vian, mais elle est l’héritière de la Bessarabie, ce territoire situé entre deux fleuves, le Prut et le Dniestr, un espace découpé de la principauté de Moldavie sous domination ottomane et intégrée à l’Empire russe de 1812 à 1918. Un espace habité par une population latine et slave, et où se côtoyaient les alphabets latin, hébraïque et cyrillique. Une terre d’émigration. Les pogroms de Kichenev en 1903 et ceux de 1905, sont les premiers pogroms du XXème siècle dans l’Empire russe et marquent le début d’une forte migration frappant la très importante communauté juive d’alors. D’autres migrations suivront après la Révolution de 1917 notamment, et après 1991. La Moldavie au tropisme francophone et francophile est un des pays les plus pauvres d’Europe et, en 2015, les transferts de fonds des migrants représentaient 26% du PIB moldave.
La proclamation de l’indépendance, le 27 août 1991, fut suivie d’un conflit entre mai et juillet 1992 qui se solda par la sécession de la Transnistrie (soutenue par Moscou), cette bande de terre longeant la rive gauche du Dniestr. Liée à des milieux sécuritaires et de renseignement russes ainsi qu’à des réseaux criminels et mafieux en Russie et dans l’espace post-soviétique, la Transnistrie bénéficie de sa proximité avec le port d’Odessa (situé en Ukraine) pour toutes sortes de trafics. Le conflit est non résolu à ce jour, même s’il semble, comme le précise Florent Parmentier, celui dont la résolution présenterait le moins de difficultés parmi ceux ayant éclaté dans l’espace de l’ex-Union soviétique. En 1994, la Moldavie a proclamé sa neutralité, s’engageant ainsi à ne pas rejoindre l’OTAN, mais attendant en retour le départ des troupes russes installées en Transnistrie. Avec une certaine sagesse, les dirigeants moldaves ont essayé de promouvoir une identité non clivante, de se penser comme un trait d’union possible entre l’UE et la Russie.
Trente ans d’indépendance ont en tout état de cause consolidé la République moldave : par rapport à la Roumanie dont elle se veut distincte et indépendante, et par rapport à la Russie aussi dans la mesure où les interactions et les liens culturels, sportifs, économiques avec la Transnistrie sont réels et forts, tout comme les points communs. En outre, le pays a atteint une relative maturité politique. L’alternance politique est un acquis et les résultats électoraux ne font l’objet d’aucune contestation, ce qui est loin d’être le cas dans d’autres républiques de l’espace post-soviétique, avec qui la Moldavie partage en revanche le fléau de la corruption se manifestant notamment par la confusion entre le pouvoir politique et économique. La lutte contre la corruption est le chantier prioritaire d’aujourd’hui est de demain de la Moldavie, indispensable à la maturation en cours de sa démocratie. La coalition anti-oligarchique entre pro-européens et pro-russes est un signe intéressant. La société moldave, fracturée, marquée par ses diversités culturelles, linguistiques, politiques, est à la recherche d’une pacification, afin de transformer un espace conflictuel en un espace stable et dynamique dans lequel il serait possible de faire coexister plusieurs enjeux.
Comment expliquer que le pays le plus pauvre d’Europe est celui qui accueille le plus de réfugiés depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine ? La Moldavie pourra-t-elle sortir indemne de la prolongation du conflit actuel en Ukraine ? Quelles sont à moyen terme les perspectives pour ce pays qui a signé en 2014 un accord d’association avec l’Union européenne et qui, le 3 mai dernier, par la voie de sa présidente, Maia Sandu, demandait formellement l’adhésion de son pays à l’Union européenne. Comment la Moldavie, à la croisée des mondes, interroge-t-elle l’identité européenne ?
À l’oreille
- Demetrius Cantemir – Musique savante ottomane du 17ème siècle
- Sirba Octet – Doina / Ca la breaza
- Smuglyanka moldavanka (chant soviétique) – I lautari (musique du film d’Emil Loteanu, 1972)
- Zdob şi Zdub & Advahov Brothers – Trenulețul – (LIVE – Moldova 🇲🇩 – Grand Final – Eurovision 2022)
Pour aller plus loin
- Josette Durrieu et Florent Parmentier, La Moldavie à la croisée des mondes, éditions Non Lieu, 2019
ET :
- Radio cause commune, Le monde en questions, n° 113
Sauf mention contraire et autres licences applicables cette œuvre sonore de Cause Commune est mise à disposition selon les termes de la
Licence Creative Commons Attribution - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.