#11 – Istanbul Rive gauche
proposée par Isabelle Kortian
Diffusée le 18 novembre 2019
À propos du livre Istanbul Rive gauche, érrances urbaines et bohême turque (1870 – 1980)
Par Timour Muhidine (aux éditions CNRS)
Contexte :
Voyage dans le temps et l’espace, cap sur les anciens quartiers de Galata et de Péra (ville basse et ville haute réunies, après le démantèlement des murailles de Galata), dans ce qui formera plus tard le 6ème arrondissement d’Istanbul, plus connu sous le nom de Beyoğlu.
Péra/Beyoğlu, à son apogée au 19ème siècle, incarne par excellence la ville cosmopolite, au point de former une ville dans la ville, au sein de Constantinople/Istanbul, trois fois capitale d’empire. Pour de multiples raisons, ce quartier se distingue d’autres quartiers d’Istanbul, notamment par son aspect architectural avec ses immeubles haussmanniens, ses passages, sa concentration exceptionnelle de non-musulmans (populations levantine, grecque, juive et arménienne), ses ambassades (qui deviendront des consulats lors de l’avènement de la République de Turquie et le transfert de la capitale à Ankara), ses cafés à la parisienne, ses théâtres, ses concerts, ses librairies, ses journaux, ses hôtels de luxe, ses magasins de luxe ou plus modestes, ses voyageurs, ses exilés (les Russes blancs notamment fuyant la Révolution de 1917) .
À l’époque où Istanbul/ Constantinople est un grand port commercial, Péra/Beyoğlu est un poumon économique de l’Empire où tout converge ou transite, où se concentrent grands et petits négoces ainsi que le secteur bancaire dont la Banque Camondo ou la Banque ottomane.
Beyoğlu fascine, Beyoğlu fait peur. La traversée du pont de Galata pour gagner Beyoğlu est en soi un voyage à l’étranger, en direction de l’Europe, de Paris (le français est à Péra la lingua franca) et Beyoğlu est à sa façon un petit Paris méditerranéen, avec sa vie intellectuelle, sa vie nocturne, l’esprit bohême. Pour ceux qui viennent d’Europe, le quartier n’est en revanche qu’un pâle reflet de l’occident orientalisé, tandis que l’altérité que Péra/ Beyoğlu incarne et met en scène fait peur à ceux qui n’y voient que lieu de perdition, lieu de tous les plaisirs et des tentations avec ses meyhane (tavernes), ses prostituées et sa pègre. Car on vient aussi à Beyoğlu pour s’encanailler.
Le livre de Timour Muhidine, d’une grande richesse, interroge les représentations littéraires de cet espace singulier qui émerge progressivement comme ville littéraire. Il nous invite à prendre le temps de flâner et déambuler, à la recherche des traces et des strates superposées du passé de Beyoğlu, lesquelles sont aussi l’une des sources d’inspiration de la littérature turque contemporaine.
Invité.e.s :
- Timour Muhidine, professeur de littérature turque à l’Inalco, traducteur et directeur de la collection « Lettres turques » aux éditions Actes Sud
- Nora Şeni, historienne, professeur à l’Institut français de géopolitique à l’Université Paris 8, directrice entre 2008 et 2012 de l’Institut français des études anatoliennes à Istanbul
- Kerem Topuz, interprète de conférence, historien de l’art, auteur du premier catalogue raisonné bilingue (en français et en turc) consacré au peintre turc Fikrat Moualla, de l’École de Paris
Pauses musicales :
- « Kâtibim »(Üsküdar’a giderken), chanson populaire turque écrit par un anonyme à l’époque de la guerre de Crimée, dans une très belle version interprétée par la chanteuse Safiye Ayla
- Pour l’ambiance meyhane,Telgrafın Tellerine Kuşlarmı Konar / İnsan Sevdiğine Canım Böylemi Yapar. Interprété par Ahmet KAYA (qui repose au Père Lachaise)
- Pour l’ambiance et la créativité musicale des manifestant-e-s du mouvement Gezi, fin mai et juin 2013, Tencere tava.
“Tencere tava hep ayni hava” est un dicton pour dire : “rien ne change c’est toujours la même musique” (traduction littérale: “casserole poêle, toujours la même chanson”). R. T. Erdogan, alors Premier ministre, ayant expressément fait référence à cette expression pour qualifier le mouvement protestataire de Gezi au printemps 2013, des musiciens (les Kardes(h) Türküler) le prirent au mot en formant un orchestre instrumental à partir des seuls ustensiles de cuisine.
Pour aller plus loin :
- Timour Muhedine, Istanbul Rive gauche, éditions du CNRS, 2019
- Nora Şeni et Sophie Le Tarnec, Les Camondo ou l’éclipse d’une fortune, Babelio, 2018
- Marc Ottavi et Kerem Topuz, Catalogue raisonné de l’œuvre Fikret Moualla (1903-1967). Ce premier tome est une suite logique d’« Anatomie d’une bohème », ouvrage paru en 2009 qui regroupait sur près de 300 pages les témoignages, anecdotes et souvenirs recueillis par Hıfzı Topuz (ISBN 978-2-9535012-0-9, Istanbul). L’ouvrage est disponible auprès du cabinet d’expertise Marc Ottavi. Un deuxième tome du catalogue raisonné est en cours de préparation.
Et plus de musique :
- Parmi d’autres versions de « Kâtibim »(Üsküdar’a giderken), celle interprétée par le chanteur Zeki Müren (enregistrement des années 60)
- Pour une ambiance “renbetiko/Pera/”Rum”, CAFE AMAN İSTANBUL – ANİXE ANİXE
- Et pour prolonger l’ambiance meyhane, « Ararım seni her yerde » (je te cherche partout), une chanson très connue
.
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