#25 – Laurent Wargon – Urgence climatique, libertés informatiques, entreprise démocratique
proposée par Élise, Fred, Julie et Mehdi
Diffusée le 26 mars 2025
25e émission Chemins de traverse diffusée en direct 26 mars 2025 à 22 h
Notre invité est Laurent Wargon. La première partie de l’émission sera consacrée à son parcours. Sans le bac, en parallèle de nombreux petits boulots, Laurent obtiendra un diplôme d’ingénieur informatique en cours du soir.
Après avoir été plus de 10 ans responsable informatique, Laurent Wargon a rejoint en 2017 Easter-eggs (une Entreprise du Numérique Libre, ENL)et a ainsi trouvé ce qu’il souhaitait : être associé dans une entreprise citoyenne et produire des services en logiciel libre.
Dans la deuxième partie de l’émission nous parlerons de ses engagements face à l’urgence climatique.
Questionnaire pour mieux vous connaître
Aidez-nous à mieux vous connaître et améliorer l’émission en répondant à notre questionnaire (en 3 minutes max). Vos réponses à ce questionnaire sont très précieuses pour nous. De votre côté, ce questionnaire est une occasion de nous faire des retours.
Sommaire
Liens
- Easter-Eggs
- Une entreprise sociale et solidaire consciente de ses responsabilité
- Réseau Libre Entreprise
- La Fresque du Climat
- The Shift Project
- Compte LinkedIn de Laurent Wargon
- Méta de Choc par Élisabeth Feytit
- Cours de Zététique & autodéfense intellectuelle en podcast, également disponible en vidéo
À l’oreille
- 2083 de Grand Corps Malade
- Carpe Diem de GiedRé
- Schmaltz par Jahzzar (générique)
Transcription
Note concernant la transcription : nous avons choisi, comme le préconise l’article Pourquoi et comment rendre accessible un podcast ?, une transcription fidèle aux propos tenus, sans suppression des tics de langage (les phrases qui ne finissent pas (…), les répétitions, les onomatopées).
Voix du générique (Laure-Élise Déniel) : Cause Commune, Chemins de traverse, d’autres voies pour imaginer demain.
Fred : Bonsoir à toutes, bonsoir à tous pour ce 25e épisode de Chemins de traverse, d’autres voies pour imaginer demain.
Dans Chemins de traverse, Julie, Élise, Mehdi et moi-même Fred, nous espérons vous proposer de belles rencontres et mettre en avant des parcours personnels et professionnels, des passions, des engagements.
Merci de nous accueillir dans votre salon, votre cuisine, voire votre chambre, ou peut-être encore pendant votre séance de sport.
Ce soir, nous avons le plaisir d’accueillir Laurent Wargon, que je connais depuis une bonne vingtaine d’années.
Sans le bac, en parallèle avec de nombreux petits boulots, Laurent obtiendra un diplôme d’ingénieur informatique en cours du soir.
Après avoir été plus de dix ans responsable informatique, il va rejoindre en 2017 Easter-Eggs, une entreprise de numérique libre, et ainsi trouver ce qu’il souhaitait, être associé dans une entreprise citoyenne et produire des services en logiciel libre.
Mais on ne va pas parler que d’informatique.
En effet, dans la deuxième partie de l’émission, nous parlerons de ses engagements face à l’urgence climatique.
Bonsoir Laurent.
Laurent : Bonsoir.
Fred : Avant que la discussion ne commence, je vous rappelle que nous sommes en direct ce mercredi 26 mars 2025 sur radio Cause Commune, La Voix des Possibles sur 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France, partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
N’hésitez pas à participer, à intervenir en direct.
Julie réalise l’émission ce soir.
Bonsoir Julie.
Julie : Bonsoir.
Laurent : Bonsoir Julie.
Fred : Alors Julie attend vos appels.
Notre téléphone est branché.
Appelez-nous au 09 72 51 55 46. Je répète, 09 72 51 55 46.
Ou alors vous pouvez tout simplement réagir sur le salon web de la radio. Rendez-vous sur le site causecommune.fm, bouton chat, salon, Chemins de traverse.
Rebonjour Laurent.
Laurent : Bonjour Fred.
Fred : Alors je suis ravi de te recevoir.
Je salue aussi les personnes qui viennent d’arriver sur le salon web.
Je vois déjà deux personnes qui se sont connectées, donc ça fait plaisir.
Alors comme je l’ai dit en introduction, on va parler, on va parler un peu d’informatique libre.
Alors les personnes qui connaissent un peu Cause Commune et qui sont des habituées vont peut-être se souvenir qu’il y a l’émission Libre à vous ! chaque mardi de 15h30 à 17h, qui parle d’informatique libre dans laquelle tu es déjà intervenu.
Mais on va aussi parler d’engagements et notamment par rapport à l’urgence climatique.
On va parler de deux mots qui je pense vont revenir assez souvent.
Alignement, équipe.
Voilà qui jalonne un petit peu ton parcours.
Alors comme tu as vraiment tenu à rentrer un peu dans le détail des activités autour de l’informatique libre, notamment surtout le modèle de société d’Easter-Eggs et aussi l’engagement climatique, on va passer le parcours un peu rapidement.
On va aller un petit peu directement à l’essentiel.
Alors j’ai appris en préparant l’émission avec toi, en fait, c’est que ton enfance a été dans un quartier un peu bourgeois de Paris parce que tu as été au collège et au lycée Henri IV, donc un lycée un peu très côté.
Alors comment ça s’est passé dans ce lycée Henri IV ?
Laurent : Voilà, alors je suis allé dans ce collège et dans ce lycée tout simplement parce que j’habitais à côté et je pense que ce n’était pas fait pour moi tout simplement.
C’est un univers extrêmement concurrentiel, dès la seconde.
Donc il faut aimer ça.
Moi, ce n’était pas mon cas.
Donc, je n’ai pas terminé le lycée, en fait.
Je suis sorti du lycée…
Fred : Tu as arrêté quand ?
Laurent : En première.
Fred : Ah d’accord, ok.
Laurent : Voilà.
En première, j’étais, comment dire, ça ne me convenait pas.
Donc, j’ai changé de lycée et puis…
Fred : C’était vraiment ce lycée-là avec ce côté objectifs important ou c’était le système éducatif ?
Ça peut se passer de la même façon dans un autre lycée d’après toi ?
Laurent : Je pense qu’ailleurs, il y a moins d’esprit de concurrence.
Il y a moins de tricheries, il y a moins de fausses amitiés.
Alors, il se trouve que j’étais très beau en maths et tout d’un coup, j’avais plein de copains.
Et puis, le jour où j’étais plus bon en maths parce que j’ai arrêté de travailler, je n’avais plus de copains.
Il y a vraiment un système très perverti, je pense, où l’objectif c’est d’avoir des bonnes notes et ça n’est pas d’avoir bien compris les matières qu’on vous enseigne.
Fred : D’accord.
Alors, avant de parler de ta sortie et de savoir notamment comment tes parents l’ont pris et puis la suite, tu m’as aussi expliqué que tu as quand même découvert les mathématiques et tu as notamment beaucoup apprécié parce qu’il y avait un raisonnement, un côté rationnel et que ça te permettait d’aller à l’encontre de ta timidité.
Ce qui m’a un peu étonné, mais tant que quand on en parlera tout à l’heure de ta partie professionnelle et même des engagements, tu fais de l’avant-vente. Tu vas voir des structures pour leur vendre des services en logiciels libres, tu fais des conférences, tu fais des fresques du climat, tu fais des émissions de radio.
Donc, le côté timide, en tout cas, tu le pousses, tu le mets de côté.
Donc, ce qui m’intéressait, c’est qu’est-ce qui te plaisait dans le côté mathématique ?
Laurent : J’ai eu la chance quand même, dans ce lycée, d’avoir un très bon prof de maths et sa façon de faire montrait qu’en fait, il est important de s’approprier la connaissance.
Les maths, c’est un univers qui est fermé, on pose les axiomes au départ et puis on chemine sur quelque chose qui semblait extrêmement solide, en tout cas suffisamment solide pour me permettre d’intervenir en plein cours, dire au prof « là, vous êtes trompé » et je faisais ça. Quelque part, j’étais légitimé par la matière.
Et ça, c’est quelque chose que je n’avais pas ailleurs, pas dans les autres matières.
Je ne me sentais pas légitime.
Il y a plein de façons de voir les sujets ailleurs.
En maths, il y a parfois plusieurs chemins, mais il n’y a qu’un seul résultat.
Donc, c’est extrêmement puissant.
Et donc, quand on est sûr de soi, la timidité s’en va.
Fred : Oui, parce que la timidité est liée aux doutes, à la peur du ridicule éventuellement.
Donc, tu quittes le lycée en première.
C’est un choix de ta part.
Et comment tes parents réagissent ?
Ah, ce n’est pas un choix de ta part ?
Laurent : Non, parce qu’en fait, sur le moment, c’est plutôt quelque chose que j’ai subi.
Je ne contrôlais pas ce qui se passait.
Par contre, ça se passait comme ça.
C’est-à-dire que le système ne me convenait pas, je l’ai rejeté.
Et une façon de le rejeter, c’était d’arrêter de travailler, c’était de se mettre en marge.
Ce n’était pas forcément contrôlé.
Après, effectivement, il y a eu une suite d’autres lycées, mais j’ai eu ce blocage.
Je ne pouvais pas passer des diplômes.
Fred : Et comment tes parents ont réagi ?
Laurent : C’était difficile.
Je m’excuse d’ailleurs d’avoir donné toutes ces difficultés.
Fred : Ils t’ont dit quoi ?
Est-ce qu’ils t’ont dit « Accroche-toi, tu vas y arriver », ou au contraire, ils t’ont dit « Si ce n’est pas fait pour toi, va bosser ».
Laurent : Non, ils étaient un peu désemparés.
C’est une famille d’intellos, donc il n’y a pas d’autre façon de faire sa vie que d’avoir des diplômes et de s’en servir pour mener sa vie.
C’était compliqué, d’autant plus que le cursus académique c’était central dans toute la famille.
Fred : Donc, tu arrêtes en première, tu te lances pour faire des petits boulots parce qu’il faut faire quelque chose, c’est ça ?
Laurent : C’est une initiative qui est la mienne, qui n’est pas celle de ma famille.
C’est pour découvrir la vie.
Un jour, je suis parti à Londres avec mon sac et j’ai dit que je vais tenter ma chance.
J’ai travaillé dans les cuisines, j’ai découvert que c’était compliqué, et puis toute forme de petit boulot.
Fred : Je vois une liste : la plonge, service au bar, cuisinier, caissier, déménageur.
Laurent : Ça, c’est une blague.
Fred : Ah, c’est une blague, déménageur ?
Laurent : Non, ce n’est pas une blague, je l’ai vraiment fait.
Mais bon, là, ce n’est pas très radiophonique comme blague parce qu’effectivement, à l’époque, 1 m 70, et 60 kilos, c’est un peu compliqué [rires].
Fred : Exactement. Livreur de pizza. Et surtout, tu as précisé « mon préféré : garagiste ».
Tu faisais quoi dans un garage ?
Laurent : Je bricolais les voitures, j’ai réparé les pneus, j’ai réparé, j’ai changé les batteries, j’ai changé les pots.
Fred : Mais tu avais une appétence pour la mécanique ?
Laurent : Oui, ça, j’ai toujours aimé.
Je me suis formé sur le tas avec le patron du garage qui était dans le quartier, c’était très sympa.
Fred : En parallèle, tu décides de revenir aux études, dans une fac ?
Laurent : Il y avait à l’époque une équivalence du bac qu’on pouvait passer à l’université, ce qui donnait accès au DEUG à l’époque.
Fred : diplôme d’études universitaires générales, je crois que ça s’appelait.
Laurent : C’était un bac plus deux, maths-physique et informatique.
Fred : Et c’était où ?
Laurent : Et c’était à Jussieu.
Fred : Ah, c’était à Jussieu, d’accord.
Laurent : Paris 6, je crois.
Et je crois que c’est à cette occasion que je découvre le logiciel libre.
Fred : Alors, c’est des années quoi ?
C’est des années 90 ?
Laurent : Oui, autour de ça.
Il y avait une première chose qui m’avait choqué au lycée, dans un cours d’histoire, c’était d’apprendre le phénomène de l’obsolescence programmée.
Fred : Alors, explique en une phrase ce que c’est.
Laurent : En une phrase, c’est des ingénieurs qui programment la fin de vie d’un appareil.
C’est-à-dire que l’appareil est en fin de vie, non pas parce qu’il est usé, mais parce que les ingénieurs l’ont décidé, parce qu’il faut vendre à nouveau des appareils pour faire fonctionner les entreprises.
Fred : Alors, c’est les entreprises qui le décident et les ingénieurs appliquent.
Laurent : C’est ça.
Fred : Ils ne sont pas obligés d’appliquer, ils pourraient changer d’entreprise, mais voilà.
Donc, c’est l’obsolescence programmée.
Laurent : Absolument.
Ça, c’est un premier gros choc que j’ai appris.
Et je me dis « mais comment on peut laisser faire une absurdité pareille ? »
C’est dingue.
Et à l’inverse, quand je découvre les logiciels libres, c’est tout l’inverse.
C’est-à-dire qu’on décide, quand on fabrique un logiciel libre, de le publier.
Et donc, d’autres peuvent non seulement s’en servir, mais en plus l’améliorer.
Et là, c’était le bon sens gagné, à la différence de l’obsolescence programmée.
Fred : Est-ce que tu retrouves un peu le plaisir que tu avais avec les maths dans le logiciel libre, ou pas du tout ?
Laurent : Là où ça peut se rejoindre, c’est dans l’appropriation.
Fred : Parce que tout à l’heure, tu as parlé d’appropriation du savoir.
Laurent : Oui, absolument.
Fred : Et là, c’est l’appropriation du savoir informatique, les logiciels libres.
Laurent : Voilà, c’est une technique qu’on peut s’approprier, qu’on peut décortiquer, qu’on peut regarder sous le capot.
Moi, en tant que garagiste, j’aime bien regarder sous le capot.
Et puis, au départ, c’est vraiment là-dessus.
Après, j’ai évidemment découvert les autres potentialités sur les libertés numériques et toute l’importance que ça peut avoir.
Fred : On va quand même rappeler que c’était dans les années 90.
Là, on est en 2025.
Pour les personnes qui nous écouteraient dans quelques années, à l’époque, le logiciel libre existait depuis quelques années, mais était encore balbutiant.
Il y avait le noyau, par exemple, Linux. Et pour donner des dates, la première version, c’était en 1991.
Donc, voilà, c’était au tout début.
Donc, tu étais vraiment au tout début.
Et puis, c’est vrai que Jussieu été un haut lieu du logiciel libre avec notamment Rémy Card, qui est l’un des premiers enseignants là-bas, qui a développé pas mal de choses autour du noyau Linux.
Donc, tu fais tes études-là, mais je vois dans mes notes « sorti sans diplôme ».
Donc, tu recommences.
Laurent : Voilà.
Donc, c’est un espèce de blocage que j’ai vécu avec un certain nombre d’années.
Fred : Mais tu suivais quand même les cours, tu arrivais à les suivre.
Laurent : J’arrivais à les suivre.
Et puis, à peu près un mois avant l’examen, j’arrête tout.
Donc, c’est un truc que j’ai réglé par la suite, mais qui existait, avec lequel j’ai vécu un certain nombre d’années.
Et que, comment dire, j’ai pu, avec finalement, en parallèle de ces études, travailler, donc quelque part déstresser de cet objet de diplôme.
Et ça a fini par fonctionner, mais il a fallu du temps.
Fred : Alors, ça a fini par fonctionner, on peut y aller tout de suite.
Donc, tu vas commencer à travailler chez Hachette-Livre, l’assistance téléphonique, et faire un peu de développement sous Excel, donc un tableur Microsoftien.
Ensuite, tu vas rejoindre Telestore, qui est une société qui, à l’époque, s’est créée dans le Minitel et ensuite qui a créé des sites web, si je me souviens bien.
Et en parallèle, tu reprends des études du soir au CNAM, donc le Concertatoire national des arts et métiers, pour devenir ingénieur.
Laurent : Absolument.
Fred : Mais quand tu te lances là-dedans, quel est l’objectif ?
Et est-ce que tu te dis « est-ce que je vais y arriver ? »
Laurent : Alors justement, à ce moment-là, l’objectif c’est juste passer quelques modules que je pouvais ajouter à mon CV et qui pouvaient m’ouvrir des portes.
D’ailleurs, la porte Telestore s’est ouverte grâce à ça, puisque j’avais commencé à, à la fois, à travailler sur des modules, mais aussi à m’auto-former dans le logiciel libre. C’est beaucoup comme ça qu’on faisait.
Fred : Donc, dans l’entretien d’embauche, ça a joué le fait que tu avais commencé à suivre les cours du module du CNAM.
Laurent : Voilà.
Fred : D’accord.
Laurent : Ce qui a aussi surtout joué finalement, c’est des questions techniques auxquelles je savais répondre.
Fred : Ah, les fameux tests techniques ou les questions, voilà.
Laurent : Voilà.
C’était un test très opérationnel, et comme j’avais bricolé chez moi ma petite boîte Linux qui produisait un serveur web.
Fred : Tu te souviens de c’était quoi comme test ?
Laurent : Comment vous faites pour démarrer un serveur Apache ?
Fred : D’accord, ok.
Laurent : C’était des petits trucs comme ça.
Fred : D’accord, ok.
Serveur Apache, c’est un serveur web, c’est pour créer des sites web.
Laurent : Et puis, j’ai trouvé finalement qu’ils étaient extrêmement tolérants sur mon ignorance.
Fred : Et sur ton absence de diplôme aussi.
Laurent : Aussi. Oui.
Mais ce qui comptait, c’était que ça m’intéresse et que j’ai envie de faire.
Fred : D’accord.
Laurent : Voilà.
Fred : Et donc, tu suis tes études le soir, en parallèle de ton travail.
Ça dure combien de temps les écoles d’ingé au CNAM ?
Laurent : Alors, c’est variable parce que ça dépend du rythme qu’on a envie de donner.
Fred : Donc toi, tu as passé combien de temps ?
Je crois que j’ai été diplômé en 2005 et j’ai dû commencer le cursus en peut-être 98. 97-98.
Fred : Qu’est-ce que tu as ressenti quand tu as été diplômé ?
C’était ton premier diplôme.
Laurent : C’est ça, oui. Et je pouvais enfin passer à autre chose.
C’est-à-dire que…
Laurent : Alors, si je comprends bien, ce n’était pas uniquement une façon d’apprendre des choses, une façon d’avoir un plus sur un CV lors d’un entretien, c’était aussi pour régler un problème ?
Laurent : C’était régler le problème que j’avais eu avant, qui était très prononcé.
Et au moins, là, c’était quelque chose de réglé.
Et après, j’ai eu une mission aux arts décoratifs où l’annonce était intéressante puisque la mission c’était de déployer des logiciels libres.
Fred : Donc, au Musée des arts décoratifs.
Laurent : Voilà.
Donc, c’était parfait.
Et c’était tellement bien, cette mission, que j’y suis resté en fait 12 ans finalement.
Fred : Attends, que je comprenne bien.
Tu es rentré en tant que Télestore ou tu es rentré en tant que salarié ?
Laurent : Non, je suis rentré en tant que salarié.
Fred : Ah ok, parce que tu as parlé de mission.
Donc, je pensais que Télestore t’avait envoyé en mission.
Donc, tu quittes Télestore en répondant à une offre d’emploi au Musée des arts décoratifs.
Et finalement, tu vas y passer 12 ans.
Donc, tu rentres en tant qu’informaticien de base.
Laurent : Admin sys.
Fred : Admin sys, donc administrateur système ou administratrice système.
Et quand tu en sortiras, tu seras le DSI, si je me souviens bien.
Laurent : Exactement.
Fred : Donc, DSI c’est Direction des systèmes d’informatio.
Laurent : Responsable informatique.
Bon, le rôle, c’est de gérer le budget du service informatique et de vérifier que les projets soient bien menés.
Fred : Et le service informatique, c’était combien de personnes ?
Laurent : Alors, il y avait deux personnes.
Donc, un admin, un administrateur système réseau, un technicien bureautique.
Et donc, j’ai découvert en fait ce poste-là qui existe dans presque toutes les entreprises.
Le musée, ce n’est pas une entreprise.
Donc, c’est un statut public-privé ?
Laurent : Ah, c’est public-privé.
C’est un peu compliqué.
C’est une association de 1901, mais qui fonctionne avec des subventions de l’État.
Il y a du privé, du public là-dedans.
Il y a un savant mélange.
Fred : D’accord.
Donc, tu vas y rester 12 ans.
Donc, je suppose que tu t’es amusé.
Tu as fait des choses différentes.
Tu as monté en compétences.
Et puis, en même temps, le logiciel libre se développait de plus en plus.
Est-ce que au Musée des arts décoratifs, tu utilisais beaucoup de logiciels libres ?
Laurent : Alors, j’ai remplacé à peu près tous les logiciels d’infrastructure, c’est-à-dire tous ceux qui n’étaient pas visibles par les utilisateurs.
Donc, ça, c’était facile.
Et puis, j’ai eu une première difficulté, une première réussite, on va commencer comme ça, sur le système de mail, calendrier et contacts, qui est un système libre que j’ai pu installer.
Et ensuite, une première difficulté avec les logiciels de bureautique.
Ça, ça ne s’est pas passé.
Fred : C’était dans les années 2005-2010 ? Donc, ce n’était pas forcément évident.
Laurent : Ce n’était pas évident.
Certains l’avaient déjà fait.
La gendarmerie l’avait fait.
Fred : La gendarmerie avait commencé, oui.
Laurent : Il y a eu quelques belles tentatives, quelques beaux essais qui ont été faits.
Donc, ce n’est pas passé.
Alors, j’étais vraiment déçu.
Et puis, au bout d’un certain nombre d’années, j’ai commencé à chercher ailleurs.
Fred : Chercher ailleurs, c’est-à-dire pour partir ou…
Laurent : Changer d’entreprise.
Fred : Ah oui, d’accord.
Toi, tu vas très vite en fait.
Je croyais que tu cherchais ailleurs pour trouver d’autres solutions par rapport aux arts déco.
En fait, tu dis que tu commences à chercher ailleurs.
C’est-à-dire que tu te sens aller trop aux arts déco ?
Laurent : Voilà.
Au bout d’un certain nombre d’années, on fait un peu toujours la même chose.
On voit que là où on veut aller, ça n’avance pas et que la situation est compliquée.
Donc, on se dit peut-être que je vais chercher ailleurs.
Fred : D’accord.
Et à l’époque, une des entreprises auxquelles les arts déco font appel en sous-traitance, c’est une entreprise du dossier libre, c’est Easter-Eggs.
Laurent : Absolument.
Et ça, c’est quand je suis arrivé en poste au tout début des arts déco, j’ai cherché des experts qui pouvaient m’aider.
Moi, je sais administrer un serveur d’email, mais s’il y a une difficulté, les usagers ils ne peuvent pas attendre trois jours que j’ai trouvé la solution.
Donc, j’ai fait appel à Easter-Eggs.
Fred : Alors, Easter-Eggs, c’est une société de services en logiciel libre.
Laurent : Absolument.
Fred : Qui, à l’époque, devait avoir combien de personnes ?
Une quinzaine peut-être déjà ?
Laurent : À ce moment-là, ils n’étaient pas nombreux.
Fred : Pas nombreux ?
Laurent : Oui, peut-être entre 10 et 15.
Fred : Donc, pour que les gens comprennent, c’est une société dont la spécialisation, c’est les logiciels libres.
Donc, du développement, de l’installation, de la formation, de la maintenance.
Et je renvoie à libreavous.org ou causecommune.fm, émission Libre à vous !.
Laurent est déjà intervenu et aussi Pierre-Yves Dillard, pour parler d’Easter-Eggs un petit peu sur la partie métier.
Et donc, cette entreprise est prestataire des arts déco ?
Laurent : Absolument.
Fred : Et toi, si je comprends bien, dans ta recherche ou tes envies d’aller voir ailleurs, tu te dis à un moment, pourquoi pas aller voir Easter-Eggs, c’est ça ?
Laurent : Alors, je n’ai pas pensé tout de suite à Easter-Eggs.
Fred : D’accord.
Laurent : J’ai pas tout de suite pensé à Easter-Eggs parce que, comment dire, j’ai d’abord pensé à faire ce que je savais faire ailleurs.
Fred : Le même poste, mais ailleurs ?
Laurent : Voilà, le même poste, mais ailleurs.
Fred : Donc, un poste de responsable informatique, mais dans une structure utilisatrice, on va dire.
Laurent : Voilà, à peu près la même chose que ce que je faisais, mais ailleurs avec d’autres personnes, avec d’autres situations.
Et donc, c’est d’abord comme ça que j’ai fait mes recherches.
Et puis, ça ne marchait pas.
C’est-à-dire que je ne le trouvais pas et ça a duré un certain nombre d’années.
Fred : Mais quand tu dis tu ne trouvais pas, est-ce que tu ne trouvais pas des structures qui te conviennent ou est-ce que tu trouvais des structures, mais que finalement, tu n’étais pas pris ?
Laurent : Il y a eu tous ces cas de figure.
Il y a eu tout ça.
C’était quelque part une recherche que je faisais, mais peut-être que ce n’était pas ma recherche.
Je ne regardais pas au bon endroit.
Et alors, ce qui s’est passé, c’est un enchaînement assez inattendu.
Un jour, je découvre que mon interlocuteur habituel chez Easter-Eggs a quitté la société et que donc j’allais changer d’interlocuteur, soit.
Mais voilà, je raccroche mon téléphone et puis ça me fait gamberger un peu.
Et deux heures plus tard, je rappelle en disant « voilà, le poste de Jacky, ça m’intéresse ».
Fred : Donc, c’était Jacky Pirès ?
Laurent : Jacky Pirès, oui.
Fred : Son poste, c’était de l’avant-vente, c’est ça ?
Laurent : Voilà.
Fred : Est-ce que tu peux juste expliquer ce que c’est que l’avant-vente, en fait ?
Laurent : Oui.
Donc, l’avant-vente, c’est expliquer aux clients les projets, c’est dire ce que les techniciens savent faire et comment ils peuvent répondre aux problématiques posées par le client.
Fred : Donc, il faut l’avoir un peu quand même de connaissances techniques pour ne pas raconter n’importe quoi.
Et puis, il faut savoir parler et vendre.
Parler, vendre, alors…
Fred : Convaincre même, plutôt.
Laurent : Oui, enfin, bien expliquer.
Fred : Bien expliquer, oui.
Laurent : Bien expliquer et…
Fred : Et bien comprendre les besoins de la structure.
Laurent : Voilà.
Et alors, dans le mot vente…
Fred : J’ai l’impression que ça te dérange, le mot vente.
Laurent : Ça dérange un petit peu parce que dans tous mes petits boulots, à un moment donné, j’étais vendeur chez GO SPORT.
Et puis, je connaissais à l’époque, je connaissais bien les vélos du marché et j’étais capable de dire aux clients « ne prenez pas celui-là, il va être un peu fragile ».
En fait, moi, j’aime bien dire la vérité.
Donc, alors chez GO SPORT, j’étais viré pour ça. [rires]
Mais chez EasterEggs, au contraire, c’est une marque de fabrique, c’est-à-dire qu’on dit la vérité.
On dit ce qui est, on dit les fragilités du système s’il y en a, on dit jusqu’où le périmètre de confiance peut aller, c’est-à-dire jusqu’où on a la maîtrise technique.
Et on aime bien que les choses soient bien claires dès le début.
Fred : D’accord.
Laurent : Donc, en fait, je suis capable de vendre si j’y crois vraiment.
Fred : D’accord.
Alors, tu rappelles donc Easter-Eggs, je suppose que tu tombes sur Pierre-Yves, Pierre-Yves Dillard, qui est l’un des fondateurs d’Easter-Eggs.
Il doit être un petit peu surpris, non ?
Laurent : Alors, sûrement !
Fred : Vous n’en avez pas parlé après ?
Laurent : Non, sûrement, parce qu’en fait, il m’a bien challengé, « Ah, t’es sûr ? » Parce que finalement…
Fred : Excuse-moi de te couper, mais le sentiment que j’ai, que ça peut donner, c’est que tu redescends quelque part.
Laurent : Oui.
Fred : Parce que t’as un poste de direction informatique et le poste d’avant-vente, c’est un poste un peu plus… un peu en dessous, quelque part.
Laurent : Alors, c’est presque pire que ça, puisque en fait, le premier poste que je vais occuper chez Easter-Eggs, c’est un poste d’administrateur système et réseau.
Fred : Alors, donc, tu appelles pour éventuellement dire « Jacky Pirès, mon contact en avant-vente part, donc le poste se libère, donc peut-être que je serai intéressé ».
Et au final, après discussion avec Pierre-Yves Dillard et Easter-Eggs, tu vas intégrer Easter-Eggs, non pas en tant que responsable avant-vente, enfin avant-vente, mais en tant qu’admin sys.
Laurent : Absolument.
Fred : Donc, tu vas redescendre…
Encore un cran, dans la technique, en fait.
Laurent : C’est ça, voilà.
Fred : Et ça te fait plaisir ou… ?
Laurent : Bah oui.
En fait, il s’est passé une année entre le moment où je dis « le poste de Jacky m’intéresse » et le moment où je mets les pieds chez Easter-Eggs.
Fred : Et entre-temps, ils n’avaient pas recruté quelqu’un, c’est ça ?
Laurent : Entre-temps, ils n’avaient pas recruté quelqu’un.
Fred : D’accord. OK. On va faire un peu de teasing.
Parce que ça fait 25 minutes, on va faire une petite pause musicale, comme ça, on va pouvoir enchaîner.
Et par rapport à notre timing, Laurent…
Alors, je précise que Laurent, c’est un invité parfait, parce que la préparation de l’émission, il y a même le timing qui est sur ma fiche sous les yeux.
Donc, là, on est dans le bon timing.
J’en profite pour préciser aux personnes qui sont sur le salon web, sur le site causecommune.fm, bouton chat, salon, Chemins de traverse, que si vous voulez réagir, poser des questions, n’hésitez pas, j’ai l’écran qui est sous les yeux.
Alors, on va faire une première pause musicale.
Donc, tu as, comme d’habitude, pour les invités, choisi la pause musicale.
Je vais te demander de l’expliquer rapidement.
Cette pause musicale, ça s’appelle Carpe Diem de GiedRé, qui est humoriste, chanteuse et qui officie notamment sur France Inter.
Pourquoi ce choix de chanson ?
Laurent : Elle n’est plus chez France Inter.
Fred : Elle ne fait pas partie des gens virés, c’est ça ?
Laurent : Elle fait partie des gens qui ont suivi.
Fred : Ah, qui ont suivi, d’accord.
Laurent : Elle est plutôt sur Radio Nova, dans l’émission La dernière.
C’est une chanson qui parle de climat.
Voilà, j’ai trouvé important.
On va parler climat en troisième partie d’émission.
C’est une façon assez sarcastique de parler climat.
Je vous laisse découvrir.
Fred : Nous allons écouter Carpe Diem par GiedRé.
[ Diffusion de la pause musicale ]
Voix du jingle (Laure-Élise Déniel) : Cause Commune, 93.1.
Nous venons d’écouter Carpe Diem par GiedRé.
Une chanson un peu grinçante, on va dire, et on va parler tout à l’heure de la catastrophe climatique.
Je suis toujours avec Laurent Wargon.
Si vous voulez participer à notre conversation, n’hésitez pas à appeler au 09 72 51 55 46, ou plus simplement sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton chat, salon Chemins de traverse.
Juste avant la pause musicale, on en était à Laurent qui arrivait dans la société Easter-Eggs, et qui va passer un an en admin sys avant de changer un petit peu.
Avant de parler de ça, je voulais revenir sur une autre activité, parce qu’en introduction j’ai parlé d’un des mots qui te tient à cœur, celui d’équipe, et on va en parler avec Easter-Eggs.
Mais l’esprit d’équipe, la notion d’équipe, tu l’as aussi découvert fortement dans des activités sportives et notamment le roller.
Laurent : Oui.
Pendant ma période aux arts déco, après avoir eu ce diplôme, je me suis retrouvé avec du temps libre puisque je n’avais plus mes soirées qui étaient occupées, à rédiger mon rapport, à rédiger mon mémoire, tout ça.
Et j’ai commencé à faire du roller.
En fait, je savais faire du roller depuis mon enfance.
Et cette activité, je l’ai pratiquée de façon extrêmement crescendo avec plusieurs associations, l’association qui fait la rando du dimanche, celle qui fait la rando du vendredi, la rando du lundi qui était confidentielle, les randos du mercredi qui étaient moins confidentielles, un club Planet Roller qui réunissait des pratiquants, des voyageurs, etc.
Et puis, il y avait dans ce club une équipe de vitesse.
Donc, on a fait le championnat de France.
Il y avait douze courses dans l’année.
Et puis après, on a fait des longues distances.
Et puis, on a fait aussi les 24 heures du Mans.
Fred : Qu’est-ce que t’appelles les longues distances ?
C’est Paris-Versailles, c’est ça ?
Laurent : Alors, oui.
Paris-Versailles, c’était un petit apéritif.
Avec le club, on avait fait Paris-Orléans et puis en équipe. Et là, c’était vraiment une équipe de passionnés. On est allé jusqu’à Dieppe un jour.
Fred : D’accord, Paris-Dieppe.
Laurent : Paris-Dieppe.
Fred : Allez-retour ?
Aller simple, 220 kilomètres.
Donc, ça fait quand même une petite trotte sur une journée.
Et donc, c’est toute une équipe.
On se voyait presque tous les jours.
Fred : Julie demande combien de temps ça prend à Paris-Dieppe ?
Laurent : On a mis 10 heures.
A peu près 20, 22 kilomètres en moyenne lissée
Fred : D’accord.
Laurent : Et en fait, j’ai vraiment découvert cette impression de participer à un projet commun au sein de ces équipes.
J’ai organisé les 24 heures du Mans avec neuf autres patineurs et puis c’était très plaisant en fait.
En travaillant pour l’équipe, je travaillais pour moi quelque part.
Fred : D’accord.
On va en parler dans très peu de temps.
C’est aussi ce qu’on dit dans le logiciel libre quelque part.
Donc, vivre au sein d’une équipe. Donc là, dans le sport, on parlera tout à l’heure peut-être de la famille, dans la partie notamment sur le climat pour faire référence à la chanson de GiedRé où des parents s’adressent à leurs enfants de façon un peu méchante.
On va revenir sur Easter-Eggs.
Quand tu rejoins Easter-Eggs, est-ce que tu connais déjà le modèle de fonctionnement d’Easter-Eggs ?
Ou est-ce que pour toi, Easter-Eggs, c’est juste une société de services en logiciel libre comme une autre, sauf que tu la connais parce que ça a été ton prestataire ?
Laurent : Au début, je cherchais un prestataire technique et c’est tout ce que je cherchais.
Ce n’est que par la suite que j’ai découvert le modèle social.
Fred : Après avoir quitté les arts déco ou pendant les arts déco ?
Laurent : Pendant les arts déco, je découvre le modèle social.
Fred : Tu le découvres parce que Easter-Eggs te le présente ?
Est-ce qu’ils l’utilisent comme argument de vente ?
Laurent : Non, ce n’était pas un argument de vente.
Ça a été présenté une fois avec une personne de la hiérarchie des arts déco, mais j’ai senti que ce n’était peut-être pas le bon endroit.
C’est moi qui ai découvert ça.
Surtout, au moment où je dis que Jacky Pirès s’en va et ça m’intéresse, j’avais bien conscience du modèle social à ce moment-là.
Fred : Quand tu parlais tout à l’heure, tu appelles Easter-Eggs pour dire que le poste pourrait m’intéresser.
Tu discutes avec Pierre-Yves Dillard.
Je suppose, connaissant Pierre-Yves Dillard, qu’il t’en remet une couche sur le modèle d’organisation d’Easter-Eggs pour être sûr que ça va te convenir.
Laurent : À ce moment-là, il y a un doute parce que je suis dans un statut social qui est supposé être au-dessus d’un poste que je peux occuper chez Easter-Eggs.
Et, donc, ça pose question.
Fred : En plus, tu vas nous expliquer un peu le modèle de fonctionnement d’Easter-Eggs.
Chez Easter-Eggs, c’est une personne, une voix, tout le monde est à égalité.
Est-ce que tu peux nous présenter les fondements du modèle d’organisation sociale d’Easter-Eggs ?
Laurent : Je vais essayer d’être rapide.
Easter-Eggs, c’est une SARL, une entreprise qui appartient à une association, loi 1901, et tous les salariés sont membres de l’association.
La personne morale qui pilote l’entreprise, c’est l’association, et tous les salariés vont voter pour les sujets difficiles.
Ils sont tous égaux sur le devenir, l’avenir de l’entreprise et les décisions qu’on prend.
Tout le monde, une personne égale une voix.
En plus de ça, il y a un salaire unique pour tout le monde.
Ça, c’est une façon de dire, une façon de faire cohésion d’équipe.
Je peux demander à n’importe qui dans l’équipe quelque chose.
Fred : Il n’y a pas de compétition.
Laurent : Il n’y a pas de compétition interne.
Souvent aussi, je présente Easter-Eggs comme ce que Easter-Eggs n’est pas, et ce que Easter-Eggs n’est pas, c’est les fonctionnements que j’avais connus avant.
En tant que responsable informatique, j’étais très seul finalement.
J’avais une équipe qui se foutait un peu de mes préoccupations.
J’avais une cheffe qui s’en foutait aussi.
Ce n’était pas forcément facile à vivre.
Il fallait toujours faire plus, avec toujours moins de budget.
Il y avait de la compétition, même avec des collatéraux.
Fred : C’est quoi un collatéral ?
Laurent : Un collatéral, c’est quelqu’un d’autre. Par exemple, le chef du service technique, les autres n-1 de ma cheffe.
C’est vraiment le langage classique des entreprises, n+1, n+2.
Fred : Là où tu étais, il y avait une hiérarchie qu’il n’y a pas à Easter-Eggs, car formellement, c’est une personne, une voix.
Et après, c’est l’investissement que chacun et chacune met dans les décisions quotidiennes, les idées, etc. je suppose.
Laurent : L’investissement de chacun, ça on peut se supposer qu’il est assez équivalent pour tout le monde.
Ce qui va être différent, c’est naturellement les compétences.
Chaque fois qu’il y a une décision à prendre, naturellement on va s’adresser à la personne la plus compétente sur le sujet dont on parle pour prendre une décision.
Fred : Par exemple, comment se passe une embauche chez Easter-Eggs ?
Laurent : L’embauche, c’est quelque chose qui demande, c’est un engagement fort, c’est une direction forte que l’on prend, parce qu’il y a un risque forcément.
Là, on va demander à tout le monde de voter.
Fred : Vous faites carrément un vote ?
Laurent : Voilà.
Là, il y a sur la mailing list, on demande qui vote pour, qui vote contre.
Fred : Ça veut dire que quand il y a un recrutement, la personne qui est recrutée rencontre toutes les personnes d’Easter-Eggs ?
Laurent : Pas forcément.
Fred : Parce que comment les personnes votent si elles n’ont pas rencontré la personne ?
Laurent : Non.
Effectivement, il y a les gens qui connaissent et les gens qui n’ont pas rencontré ne peuvent pas se prononcer.
Ça, c’est normal.
Fred : Mais il faut quand même une majorité ou un sort de consensus.
Laurent : Il faut quand même une majorité.
Fred : C’est-à-dire que si, par exemple, quelqu’un dit « elle, je ne la sens pas », elle n’est pas prise ?
Laurent : Oui, c’est ça.
Évidemment, ça sera argumenté, ça sera expliqué.
Mais en fait, les instants de vote sont assez rares, puisque l’objectif de l’entreprise, c’est assez simple, il faut qu’on continue à pouvoir payer nos salaires.
Donc ça veut dire qu’il faut quelques contrats récurrents dans une bonne proportion.
Et donc, il y a peu de situations où on n’est pas d’accord.
Fred : Qu’est-ce que ça change concrètement le salaire égal, notamment lorsque, dans le cas de réponse par exemple à un appel d’offre ou autre, où souvent, il y a une personne de l’équipe commerciale dans une entreprise de service classique, une personne de l’équipe technique qui vont répondre à l’appel d’offre, etc.
Et souvent, traditionnellement, la personne qui est commerciale a envie de vendre, quoi qu’il arrive.
Et même si la personne de l’équipe technique dit que ça va être compliqué, qu’il faudrait plus de temps, etc. Souvent, la personne commerciale est un peu motivée aussi par sa partie variable.
Donc là, je suppose que le fait que la personne de l’équipe technique et la personne de l’équipe commerciale avant-vente ont le même salaire, il n’y a pas ce problème-là.
Laurent : Non, pas du tout.
En fait, ce qu’on vend, c’est ce dont on va être sûr que la réalisation va être facile par les personnes qui vont faire.
Et donc moi, à chaque fois que j’ai un projet, déjà les projets se mènent en binôme, c’est-à-dire que je ne vais pas inventer une technique que je ne connais pas. Je réponds aux clients avec un admin sys, un administrateur système réseau.
Et la première question, c’est « est-ce que tu connais ces technologies ? », « est-ce que tu as un agenda suffisamment allégé pour pouvoir répondre dans les délais ? », « est-ce que tu as des congés qui sont prêts » etc.
Donc la première des choses, c’est s’assurer que le côté technique, ça va se faire confortablement.
Fred : Pour la personne technique ?
Laurent : Oui, voilà.
Fred : Et aussi pour l’intérêt de la structure cliente ?
Laurent : Absolument.
C’est-à-dire que si on a un expert qui travaille confortablement, on va avoir une qualité de livrable.
Sinon, on ne l’a pas. Si on presse le citron…
Fred : Ce n’est pas comme ça que fonctionnent normalement les sociétés de services en informatique hein.
Laurent : Voilà, ce n’est pas comme ça.
Fred : Majoritairement, c’est plutôt l’inverse.
On pressure les gens, on veut vendre à tout prix, parce qu’il faut faire du chiffre.
Et puis après, les équipes techniques doivent se débrouiller pour rendre le service, le livrable entre guillemets, c’est-à-dire le code ou le site web, par exemple, en temps et en heure.
Laurent : Et c’est pour ça sans doute qu’en tant que client, quand j’étais aux arts déco, j’avais des qualités de livrable chez Easter-Eggs qui étaient exceptionnelles et que je n’avais pas ailleurs chez d’autres fournisseurs.
Cette qualité-là, finalement, elle est obtenue juste avec de l’humain.
C’est-à-dire, c’est juste « est-ce que tu vas pouvoir me faire ce projet de façon confortable ? ».
Fred : Donc, quelque part, ça crée une entreprise plus efficace pour le rendu du service ?
Laurent : C’est plus efficace à la fois sur le résultat et même, j’ai même pensé à autre chose, quand on demande un service à une grosse SS2I, finalement, pour le client, il y a une partie du financement du projet qui va arriver chez l’actionnaire, chez les actionnaires qui, eux, ne travaillent pas.
Et chez Easter-Eggs, en fait, ça arrive juste dans nos salaires, de tous les gens qui travaillent.
Donc, il y a aussi une efficacité financière sur ce sujet.
Fred : D’accord.
Julie demandait sur le salon web « est-ce qu’il y a d’autres entreprises qui fonctionnent comme cela ? »
Laurent : Alors, c’est les entreprises du réseau Libre Entreprise.
Fred : Alors, dans le monde informatique, dans le monde du logiciel libre, c’est les entreprise du réseau Libre Entreprise, c’est ça ?
Laurent : Oui.
Fred : Donc, c’est un réseau qui a été créé sur le même modèle de fonctionnement d’Easter-Eggs, c’est ça ?
Laurent : Alors, je n’étais pas là au moment où ça s’est créé, donc je ne peux pas en parler avec grande précision.
Mais de mémoire, je crois qu’il y avait Code Lutin, qui est une entreprise qui est à Nantes, et Easter-Eggs, qui ont été à l’initiative de ce projet.
L’idée, c’était de dire, voilà, chez Code Lutin, il y a des développeurs Java.
Nous, ce n’est pas notre spécialité.
On va pouvoir mettre en commun un certain nombre de choses, notamment les documents administratifs, publier quelque part nos façons de faire, un peu à la façon des logiciels libres, de façon à aider les entreprises qui souhaitent se lancer dans ce type d’aventure.
Fred : D’accord.
Laurent : Et donc, on est relié de façon informelle par une charte.
Et en gros, la charte, elle dit, on a envie de faire des logiciels libres et uniquement cela.
Et puis, on a envie d’un modèle social équitable.
Fred : D’accord.
Laurent : Voilà.
Fred : Et donc, vous trouvez quelque part un alliélement entre des valeurs et votre activité professionnelle.
Laurent : Absolument, oui.
Fred : Donc, tu es un homme heureux aujourd’hui.
Laurent : Alors oui, absolument.
Fred : Plus heureux qu’avant ?
Laurent : Plus heureux qu’avant, absolument.
D’ailleurs, je ne pourrais pas retourner…
Fred : C’est la question que j’allais te poser.
Est-ce que tu t’imagines ailleurs ?
Laurent : Non, je ne m’imagine pas du tout ailleurs.
À un moment donné, je me suis posé des questions au sujet de l’urgence climatique, puisque c’est quelque chose qui a pris beaucoup d’importance dans ma vie.
Mais finalement, j’ai réussi à mixer les deux activités, j’en parlerai tout à l’heure.
C’est un environnement social exceptionnel.
Je souhaite à tous les auditeurs de vivre ça.
Fred : On a parlé d’Easter-Eggs, du modèle de fonctionnement, on a parlé de logiciel libre, mais on n’a pas forcément défini ce qu’est le logiciel libre.
Et toi, tu m’as mis dans les notes « le logiciel libre raconté à ma fille quand elle avait 5 ans »
C’est quoi ces histoires ?
Tu as raconté à ta fille ce qu’était le logiciel libre quand elle avait 5 ans ?
Laurent : Oui.
C’est toujours important de parler à ses enfants et de leur raconter ce qu’on fait de nos journées.
Quand on a 5 ans, on ne sait pas ce que c’est qu’un logiciel.
En revanche, on sait ce que c’est qu’un gâteau.
Et donc c’était l’histoire du petit lapin qui avait son anniversaire et qui invitait ses amis, qui faisait un gâteau aux carottes et ses invités trouvaient ce gâteau tellement bon qu’ils lui ont demandé la recette.
Alors, il dit « bien sûr, je vais te donner ma recette ».
Et cette recette, de cette façon-là, s’est diffusée de main en main.
De cette façon-là, cette recette s’est améliorée au cours du temps et ça faisait la différence avec le petit écureuil qui, lui, ne voulait pas partager sa recette et qui restait telle qu’elle est.
Et donc qui ne s’est pas amélioré au cours du temps et qui est devenu moins bon que la recette du lapin.
C’est une façon de parler à ma fille de mes journées.
Fred : D’accord.
Et donc logiciel libre, on en parle assez souvent sur Cause Commune, ce sont des logiciels qui sont développés de façon communautaire avec 4 libertés.
La liberté de l’utiliser et d’étudier son fonctionnement, de le copier et de le modifier.
Et quelque part, c’est un pont commun que des structures, des bénévoles, des entreprises, des collectivités créent et qui profitent à tout le monde.
Il y a de plus en plus de collectivités notamment qui s’engagent autour des logiciels libres dans l’émission Libre à vous ! sur Cause Commune, on en parle très souvent.
Je vous renvoie plutôt sur l’émission Libre à vous ! sur la radio Cause Commune.
Il y a de nombreuses émissions consacrées au sujet.
Là, on parle un peu de l’aspect professionnel par rapport aux logiciels libres.
Mais il y a aussi un aspect, j’aimerais bien avant qu’on aborde l’urgence climatique, l’aspect un peu plus personnel.
Parce que tout à l’heure, tu parlais d’équipe avec le roller.
Easter-Eggs, j’ai bien compris que c’est une équipe aussi.
Mais il y a aussi une équipe fondamentale pour beaucoup de gens, c’est la famille.
Et quand on promeut le logiciel libre, quand on a envie d’utiliser que des logiciels libres, on est quand même confronté à la réalité du monde.
Et la réalité du monde, je vais prendre juste un exemple, je vais te demander comment tu gères. Tu as des enfants comme moi, et il y a une dizaine d’années dans les activités des enfants, que ce soit sportives, culturelles ou autres, ce qu’on nous demandait c’était une adresse courriel pour être informé par exemple des compétitions sportives.
Aujourd’hui, les gens qui organisent, qui sont bénévoles, heureusement que ces personnes-là existent, elles ne demandent plus d’adresse e-mail.
Elles demandent en général un compte WhatsApp.
Comment tu gères ça toi ?
Parce que je sais que tu n’as pas de compte WhatsApp.
Comment tu gères ça ?
Laurent : Alors moi, je n’en ai pas de compte WhatsApp, mais ma femme a un compte WhatsApp.
Et donc quelque part, c’est triché puisque c’est elle qui va recevoir les messages des clubs de sport, des parents, des copains, etc.
Donc, en fait, je n’ai pas de bonne solution par rapport à ça.
C’est-à-dire que s’il n’y avait pas ma compagne qui avait ce compte WhatsApp, moi j’en aurais un.
Fred : Je précise que je pose la question, je suis dans la même situation, exactement.
Laurent : Donc oui, c’est compliqué.
Fred : On ne te fait jamais de reproches ? Personne ne te fait jamais de reproches en te disant « tu devrais quand même faire l’effort de t’installer à un WhatsApp » ?
Laurent : Oui, on sent bien qu’il y a…
Fred : C’est une pression sociale quand même.
Là, je parle de la famille, mais on peut parler aussi des personnes militantes qui, dès qu’il y a une activité, souvent, elles créent un groupe Facebook ou une chaîne WhatsApp pour se mobiliser.
Laurent : Oui, j’ai aussi été confronté à ça dans ma démarche climat.
J’ai d’ailleurs même, pour un projet, installé un WhatsApp sur mon téléphone et, à la fin du projet, désinstallé WhatsApp.
Je pense qu’il ne faut pas être trop radical parce que c’est trop compliqué.
En revanche, ça nous a permis quand même d’en parler.
Aujourd’hui, WhatsApp appartient à M. Zuckerberg, qui était un proche de Trump, donc on peut quand même se poser des questions.
« Qui peut lire vos données ? »
Ça permet aussi d’en parler, ça permet aussi d’échanger.
Fred : Sur le salon web, il y a un commentaire qui dit « Papa, son métier, c’est d’améliorer des gâteaux aux carottes », par rapport à l’explication que tu donnais à ta fille tout à l’heure.
Je regarde de l’heure, on a encore un tout petit peu de temps peut-être sur la partie Easter-Eggs, même si on peut aussi passer à la partie urgence climatique.
Est-ce que le modèle social d’Easter-Eggs…
Tout à l’heure, je te demandais si au niveau des arts déco, Easter-Eggs avait expliqué un petit peu de son modèle social et tu me parlais de cette personne des ressources humaines ou de la direction. Ce n’était pas trop.
Mais est-ce qu’aujourd’hui, c’est Easter-Eggs, quand elle vend des services, elle parle du modèle social ? « Nous, on est une entreprise qui est détenue par les salariés » ou est-ce que finalement, ça ne rentre pas en ligne de compte ?
Dans le processus de vente, j’entends.
Laurent : Ça dépend.
Ça dépend pourquoi les clients viennent.
Mais moi, maintenant, la plupart du temps, quand je fais une présentation d’Easter-Eggs, j’ai cinq slides pour faire un pitch de cinq minutes pour ne pas que les clients s’endorment.
Mais il y a un slide qui parle du modèle social.
Je le présente comme finalement un intérêt pour le client puisqu’on s’y sent tellement bien que ceux qui étaient là au début en 97, ils sont toujours là.
Donc, ça veut dire qu’il y a une continuité de l’expertise technique.
Ça, c’est important pour le client.
Ensuite, quand je dis « chaque fois que vous avez une personne d’Easter-Eggs, c’est comme si vous aviez le patron de la boîte »
Fred : C’est vrai que vu comme ça, oui.
Laurent : Vous avez forcément quelqu’un de très impliqué et ça vous intéresse forcément d’avoir cette qualité de réponse.
Donc, j’en parle de cette façon-là.
Fred : On ne se ferait pas une petite pause musicale ?
Laurent : Allez.
Fred : Bon, celle-là est un peu plus déprimante que l’autre.
Laurent : Alors, c’est à peu près le même texte.
Fred : C’est le même texte.
Mais c’est plus triste.
Alors, tu l’expliques ou on écoute ?
Laurent : On va écouter d’abord.
Fred : Donc, ça s’appelle 2083 par Grand Corps Malade.
On se retrouve dans 3 minutes 45.
Belle soirée d’écoute de Cause Commune, la voie des possibles.
[ Diffusion de la pause musicale ]
Voix du jingle (Laure-Élise Déniel) : Cause Commune, 93.1.
Nous venons d’écouter 2083 par Grand Corps Malade et je vais lancer la suite de la discussion avec Laurent Wargon par cette phrase « La victoire pour le climat ne pourra qu’être collective », vient de dire Grand Corps Malade.
Donc, on va enchaîner la troisième partie de l’interview de Laurent.
On va revenir tout à l’heure un peu sur Easter-Eggs parce que tout est lié, en fait, dans le parcours de Laurent.
Et c’est normal.
Il y a de la cohérence et l’engagement sur le climat.
Beaucoup de gens s’engagent sur le climat, il y a souvent un déclic.
Fred : Et toi, c’est quoi ton déclic ?
Laurent : Alors, effectivement, il y a eu un déclic, je ne sais même plus exactement, peut-être en 2018, où j’étais en vacances au Portugal.
Alors, j’avais pris l’avion pour y aller, ce n’était pas un sujet pour moi à cette époque-là.
Et cette année-là, il y a eu, sur notre chemin, des incendies, une énorme canicule et donc ce qui vient avec les canicules, parfois, c’est des incendies, et on est passé tout à côté.
C’est-à-dire qu’un jour, il y avait même des cendres qui se sont déposées sur le balcon.
Et puis, un soir, on voit dans le ciel une planète rouge et on se dit « mais c’est quoi ce truc ? ».
C’était une planète très, très rouge.
« Alors, qu’est-ce que c’est ? C’est Vénus ? ». On ne savait pas.
Et en fait, non, c’était juste le soleil qui avait été filtré par les particules qui devenaient rouges.
Donc, il y a eu un climat assez angoissant, en fait, à ce moment-là.
En même temps, ça m’a poussé à faire des recherches pour comprendre ce qui se passe.
Et peut-être en même temps, j’écoutais déjà beaucoup de podcasts, donc je suis tombé sur des podcasts qui expliquent un peu le sujet du climat.
Et ça a été d’abord un déni, en fait.
Fred : De la sidération ?
Laurent : Alors oui, surtout que quand on commence à se documenter sur le sujet, c’est énorme.
Si on ne s’était pas documenté au fil du temps auparavant.
Donc, le sujet est tellement énorme que je me dis « mais ce n’est pas possible, ils doivent se tromper quelque part ».
Et j’ai commencé à me documenter.
Donc, me documenter, concrètement, c’est y passer une heure ou deux chaque soir pour quelque part me dire « ce n’est pas possible, ils se sont trompés quelque part ».
Fred : Petite question, c’était un voyage en famille ?
Laurent : C’était un voyage en famille, oui.
Fred : Est-ce que ton épouse et tes enfants, alors ils étaient jeunes, tes enfants peut-être.
Laurent : Oui.
Fred : Ton épouse, ou ta compagne, je ne sais pas, ta compagne, elle a eu la même réaction, le même sentiment ?
Non, ce n’était pas… En tout cas, elle n’est pas rentrée dans une démarche de recherche comme j’ai pu le faire.
Moi, pendant à peu près six mois, j’ai investi du temps là-dedans, donc j’ai lu le résumé des rapports du GIEC, j’ai été creuser, en fait.
Alors, le résumé c’est 30 pages, le rapport technique c’est 150 pages, et puis le rapport détaillé c’est 3-4 000 pages, donc c’est plus des documents qu’on utilise pour aller lire tel chapitre, tel alinéa, ce n’est pas pour lire en entier à part le résumé.
Et donc, j’ai creusé, creusé, creusé, j’ai été vérifier les sources, etc. parce que ce n’était pas possible que le sujet soit aussi énorme que ça.
Fred : C’est-à-dire que tu te disais « c’est trop énorme, donc ça doit être faux » c’est ça ?
Laurent : Voilà, exactement.
Fred : Et donc, tu avais besoin d’aller vérifier, d’aller aux sources du consensus scientifique, de voir quel était le consensus scientifique ?
Laurent : Et comment ça marche un consensus scientifique ?
Fred : Voilà, exactement.
Laurent : J’ai aussi eu besoin d’analyser, d’écouter des discours climato-sceptiques.
Alors, en fait, il faut dire climato-dénialiste, ça c’est la bonne façon de le dire.
Fred : Alors, Laurent dit ça parce qu’effectivement, dans les questionnements, il a employé le terme climato-sceptique, mais autant on pouvait peut-être être en 2015, 2016, climato-sceptique, c’est à dire douter, et c’est toujours bien de douter, mais aujourd’hui, effectivement, il y a un consensus scientifique, il y a des preuves, donc finalement, les gens qu’on appelle climato-sceptiques sont plutôt des gens qui sont dans le déni, dans le déni pour différentes raisons, mais ils sont dans le déni.
Laurent : Oui, donc après, ça reste un vocabulaire qu’ils emploient.
Fred : Donc, tu te formes pendant, tu te renseignes pendant six mois, ça te convainc que « ah ouais, il y a vraiment un problème », et là, est-ce que tout ça te déprime ?
Laurent : Oui, oui.
Fred : Parce que finalement, moi, je me dis, si je passe six mois à lire tout ça et à me dire, ah ouais, ça doit être déprimant quand même.
Laurent : Alors, oui, d’abord, il y a le déni, ensuite, c’est un peu ce qu’il y a, un truc qui s’appelle la courbe du deuil, qui n’est pas tellement un résultat scientifique qu’une façon d’enchaîner les états émotionnels à la suite d’une mauvaise nouvelle, une façon de faire, une façon qui est décrite.
Donc, effectivement, le déni, la colère, la déprime et ensuite la reconstruction.
Il faut aller jusqu’au bout, en fait, de la connaissance pour savoir où on en est.
Et puis, après, il faut prendre des mesures parce qu’on ne peut pas ne rien faire face à ça.
Fred : Ah si, j’allais te poser la question. Tu nous as fait écouter Carpe Diem de GiedRé tout à l’heure où, globalement, les parents disent « nous, on ne va rien faire parce que, de toute façon, vu notre âge, ce n’est pas très grave ».
Donc, tu aurais pu te dire, à l’époque, tu devais avoir 45 ans, un truc comme ça, 43-45 ans.
Tu étais encore jeune.
Tu es encore jeune.
Tu aurais pu te dire « bon, finalement, je m’en fous, je ne peux rien y faire ».
Et finalement, toi, tu dis, « non, je vais faire quelque chose ».
C’est ça ?
Laurent : Oui.
Je n’imagine pas ne rien faire.
En fait, non seulement nous, on va, sur la fin de notre vie avoir des mauvaises surprises.
En 2003, à Paris, il y avait une mauvaise surprise.
Il y avait une canicule qui a fait 70 000 morts.
Je ne parle pas des habitants de Calais l’an dernier.
Fred : Et dans sa chanson, GiedRé dit qu’il y aura 50 degrés au Mans dans quelques années.
Laurent : Oui, oui.
Ça fait partie des scénarios possibles.
Tout à fait, plus 4 degrés pour la France, en moyenne.
Donc, ça fait des extrêmes températures significatives.
Fred : Donc, tu t’es quand même senti concerné à la fois pour toi, mais est-ce que tu t’es aussi…
Parce que moi, la réaction que j’ai eue, c’est pour les enfants, en fait, c’est le monde qu’on leur laisse, parce qu’on a quand même une responsabilité.
Laurent : Bien sûr.
Fred : Tu as eu cette même réaction ?
Laurent : Oui.
Je pense même que… Alors, ça, c’est très personnel, ce n’est pas du tout…
Fred : C’est ton émission.
Laurent : Effectivement, peut-être que sans enfants, je n’aurais peut-être pas réagi de la même façon.
Je ne sais pas.
Fred : D’accord.
Laurent : On ne peut pas refaire l’histoire.
Fred : D’accord.
Laurent : Mais c’est sûr que quand on a des enfants, et surtout que c’est la dérive climatique… Alors, je parle de dérive parce que même si on arrêtait aujourd’hui toute émission de gaz à effet de serre, en fait, le climat, il a déjà changé.
Et ce qui est déjà changé, on ne peut pas revenir en arrière.
Fred : D’accord.
Laurent : C’est-à-dire que le CO2, quand il est dans l’atmosphère, il y reste.
Et les temps nécessaires à l’épuration du CO2 qui est dans l’air sont trop longs aux échelles de temps humains.
Fred : D’accord.
Laurent : Donc, c’est vraiment un phénomène à cliquet.
Il n’y a pas de retour en arrière possible.
Fred : Ok.
Donc, tu passes toutes ces courbes, ces étapes de ce qu’on appelle la courbe du deuil, effectivement, et tu te dis qu’il faut faire quelque chose.
Et donc, quand on agit, on peut agir au niveau personnel, interpersonnel, systémique.
Tu commences par quoi ?
Tu te dis qu’est-ce que tu veux faire ?
Laurent : Alors, effectivement, la première étape pour moi, ça a été de rejoindre une association qui s’appelle The Shifters, qui est une association petite sœur d’une autre association qui s’appelle The Shift Project, qui est présidée par Jean-Marc Jancovici, donc un expert du climat.
Donc, The Shift Project, c’est une association dont les membres sont des corps intermédiaires qui ont intérêt à financer des études sur le climat.
C’est une forme de lobby où, dedans, parmi les financeurs, on retrouve la SNCF parce qu’ils ont un moyen de transport très décarboné, on retrouve des gens qui font l’isolation des toitures, etc.
Parce qu’il y a uniquement des personnes morales qui sont membres de cet asso, et qu’il y a des bonnes volontés qui ont envie de faire avancer les choses, il y a une deuxième asso qui s’est montée, qui s’appelle The Shifters, et dont les membres sont des citoyens.
Fred : D’accord.
Laurent : À un moment donné, il y avait à peu près autant de membres dans The Shifters qu’il y avait d’adhérents à l’Europe Écologie Les Verts, donc c’est quand même significatif.
Et du coup, encore aujourd’hui, je propose un petit peu de service, je fais de l’aide, je donne des conseils pour le système d’information de The Shift Project, ça ne me prend pas beaucoup de temps, mais c’est quelque chose que j’arrive à faire de façon efficace puisque c’est mon métier.
Fred : Mais t’as rejoint cette association aussi pour ne pas être seul ou pas ?
Parce que souvent quand on découvre un truc qui nous fait peur, on se dit « je vais essayer de trouver des potes ».
Laurent : C’est ça, on a besoin de se parler, et donc ça tombe bien parce qu’on se parle toutes les semaines.
Fred : D’accord.
Laurent : Donc on ne fait pas que de l’informatique, on parle aussi de l’actualité, et puis sur les listes de discussion, tout d’un coup j’entends parler d’un outil de sensibilisation qui s’appelle La fresque du climat.
C’est comme ça que j’ai découvert cet outil-là, donc je suis allé d’abord voir ce que c’est.
J’ai participé à une fresque du climat, j’ai trouvé que c’était vraiment intéressant pour sensibiliser, parce que ça met un animateur au contact de deux petits groupes de personnes en général.
Il y a deux petits groupes de cinq à sept personnes pour deux tables, et ça forme une proximité suffisante à déclencher quand même des prises de conscience.
Fred : D’accord.
On ne va pas rentrer trop dans le détail, parce qu’il est 23h07 et le temps passe très vite.
Mais donc c’est une phase de sensibilisation, de compréhension. Donc tu as suivi une fresque du climat, ensuite tu t’es formé pour devenir animateur.
Laurent : Voilà.
J’ai fait un peu tous les rôles qu’on peut faire, puisque je suis devenu animateur, ensuite je suis devenu formateur pour animateur, et ensuite il y a un système de gradation, pour le coup c’est un peu hiérarchique, avec des systèmes de ceintures de couleurs, et j’ai terminé par être instructeur de la fresque, c’est-à-dire on peut valider les formateurs pour animateurs.
Fred : Est-ce que tu as arrivé à analyser un petit peu l’impact ?
Par exemple, tu fais une fresque, il y a des personnes, et à la fin, est-ce que tu te dis « tiens, il va y avoir au moins une personne ou deux personnes qui vont faire quelque chose » ? C’est difficile le retour.
Laurent : c’est difficile, c’est une remarque qui est effectivement très subjective.
Il y a un taux de transformation qui est mesurable, qui est combien il y a de participants qui ont envie de devenir animateur, donc là il y en a 1 sur 12, mais c’est une moyenne générale, ce n’est pas pour moi en particulier.
Et puis j’ai quand même eu quelques retours, ou des fois des retours indirects, des personnes qui avaient échangé avec leurs formateurs pour animateurs, à la suite d’avoir vécu une fresque avec moi.
Fred : D’accord.
Laurent : Donc ça, j’ai pu avoir des retours comme ça, et ça marchait plutôt bien.
Au total, sur la période, une période phare où tous les gens qui avaient envie de découvrir un peu le sujet s’inscrivaient à des fresques, j’ai dû rencontrer à peu près 1 000 personnes, peut-être 700 pour faire La fresque du climat et 300 pour la formation pour animation.
Fred : Je suppose que ce sont des publics plus ou moins difficiles, parce qu’il y a peut-être certaines entreprises où c’est peut-être moins réceptif.
Tu m’as raconté une anecdote où le déjeuner avec un comité de direction d’une grande entreprise française à la suite d’un atelier, un pavé de boeuf est servi à table.
Comment t’as réagi ?
Laurent : Ça, c’était un grand moment.
Donc arrive ce pavé de boeuf, et qu’est-ce que je fais avec ça ?
Le manger, pas le manger.
De toute façon, si je ne le mange pas, il va être jeté à la poubelle, donc quelque part, l’émission de CO2, elle est faite.
Alors je leur dis « Écoutez, je suis ravi d’avoir cette viande-là parce que ça fait six mois que je n’ai pas mangé de viande. » Et là, tous les regards convergent, une table de huit, tous les regards convergent.
« Comment ? Qu’est-ce qui se passe ? »
Et là, on se demandait ce qu’ils ont fait pendant les trois heures qui précèdent.
Et puis, ils commencent à comprendre, j’ai l’impression que ces regards-là en fait m’ont donné quelque chose.
C’est-à-dire qu’ils ont compris qu’on pouvait être engagé complètement.
Fred : Oui, parce qu’en fait, là, tu parles de La fresque du climat dans laquelle, je suppose effectivement on parle du pavé de bœuf. Parce qu’il faut savoir que tout simplement, la viande rouge, on ne va pas rentrer dans les détails, mais c’est l’un des choses les pires par rapport au climat.
Laurent : Voilà.
S’il y a une seule chose à faire dans les repas à éviter, c’est la viande d’animaux ruminants.
Fred : Mais donc, avant, parce que tu as enchaîné sur la fresque du climat, mais quand tu as eu ces idées de faire quelque chose, au niveau personnel, tu as fait des choses. C’est à ce moment-là que tu es devenu végétarien, par exemple ?
Laurent : Oui, sûrement.
Fred : Et pour cette raison-là, ou aussi pour des raisons éthiques par rapport aux animaux, au bien-être animal ?
Laurent : Alors, ça, c’est venu après.
Mais non, la première action, c’est vraiment liée aux émissions de gaz à effet de serre.
Voilà.
Donc, oui, j’ai modifié mon alimentation et c’est vrai que ce n’est pas simple en famille.
Fred : Alors, c’est ma question.
Tout à l’heure, je te parlais en famille par rapport à WhatsApp, mais là, j’ai finalement la même question.
Laurent : Alors, on a trouvé des solutions pour pas que ça soit trop clivant.
C’est-à-dire que quand on invite chez nous, on peut faire du canard, ce n’est pas de la viande rouge.
Donc, on trouve des solutions. Moi, je pense que d’être trop intégriste, ça fabrique des ruptures.
Et vraiment, c’est le truc que je voulais éviter parce que dès qu’on est en rupture, à ce moment-là, il n’y a plus de dialogue et on n’avance pas.
Fred : Alors, si je comprends bien, le reste de ta famille proche n’est pas devenue végétarienne.
Mais le reste de la famille élargie, est-ce que tu leur as parlé, par exemple, dans les repas de famille ?
Parce que traditionnellement, en France, la viande est quand même très présente.
Est-ce que tu leur as dit à un moment « écoutez, pour des raisons notamment écologiques, climatiques, etc., je ne mange plus de viande ? ».
Est-ce que tu leur as évoqué le sujet, présenté les arguments ?
Laurent : Ils me connaissent, j’ai pu en parler. Mais si je suis invité, je mange ce qu’on me donne, même si c’est de la viande, et même si c’est de la viande rouge, mais je parle.
Je dis « ça me fait plaisir de le manger, mais ça fait six mois que je n’en ai pas mangé pour ces raisons-là ».
Ça ouvre le dialogue.
Je partage quand même le repas poliment, mais ça pose le dialogue.
Fred : Que disent les gens à ce moment-là ? Est-ce qu’ils entendent l’argumentaire ? Après, ils n’ont pas l’obligation de changer leur alimentation, mais est-ce qu’ils entendent l’argumentaire, notamment sur la viande rouge, sur les ruminants en tout cas ?
Est-ce qu’ils entendent cet argumentaire, qui est scientifique, qui est un fait.
Laurent : Alors, moi, je présente le sujet, après, ils en retiennent ce qu’ils ont envie, quoi.
Là où ça devient intéressant, c’est quand, sur une table familiale, je suis la deuxième personne à ne pas manger de viande, et là, ça devient vraiment intéressant.
Fred : Et est-ce qu’en dix ans, tu as vu une évolution, d’ailleurs, dans ta famille ou dans tes proches ou dans tes amis, justement ?
Tiens, j’allais te poser la question, professionnellement, chez Easter-Eggs ?
Laurent : Alors, chez Easter-Eggs, j’ai vu une évolution, ouais.
Même peut-être, et peut-être pour d’autres raisons, mais autour de 2018-2020, il y a eu plusieurs personnes qui sont devenues végétariennes.
Alors, ça peut être pour la cause animale, ça peut être pour d’autres raisons, mais…
Fred : Oui, ça peut être aussi pour des raisons de santé, parce que manger trop de viande, c’est mauvais pour la santé.
Laurent : Et donc, il y a eu, effectivement, chez Easter-Eggs, cette démarche-là, à tel point que quand on fait des repas d’équipe, il n’y a pas de viande du tout.
Fred : Alors, comme on ne cache pas grand-chose aux auditrices, auditeurs de Chemins de traverse et de Cause Commune, il faut savoir que moi, je travaille pour l’association April, qui est hébergée dans les locaux d’Easter-Eggs, et on fait des repas en commun, et notamment on fait des raclettes, et la dernière raclette est une raclette végétarienne.
Pas végane, parce qu’il y avait du fromage, en l’occurrence, mais en tout cas, il n’y avait pas de viande, il n’y avait pas de charcuterie, ni autre, quoi.
Là, c’est la nourriture. Est-ce que tu as changé d’autres aspects ?
Donc, par exemple, tout simplement, le fait quand on va chercher des repas à emporter, d’avoir des boîtes alimentaires et des sacs à toi, plutôt que d’avoir un sac donné par le restaurant et une boîte en plastique qui sera jetée et qui ne sera pas réutilisée.
Quels sont les changements, les petits changements que tu as pu mettre en place ?
Ce qui me parait intéressant aussi pour les personnes qui nous écoutent et qui se disent « bon ok, on a conscience que la catastrophe climatique est là, mais qu’est-ce qu’on peut faire à notre niveau ? Et c’est quoi les petits pas ? »
Parce que, donc, faire évoluer l’alimentation, mais est-ce qu’il y a d’autres petits pas que tu as mis en oeuvre ?
Laurent : Alors, il y a effectivement, on utilise des boîtes en verre pour aller chercher nos repas le midi.
Ça, je pense que c’est plus une question d’hygiène de vie, mais ce n’est pas un sujet de CO2, ce n’est pas un sujet de gaz à effet de serre.
Dans les déplacements, il y a un vrai sujet.
Alors, il se trouve qu’il y a beaucoup de personnes qui pratiquent le vélo-taf chez nous et donc ça, c’est très efficient du point de vue de ce qu’on peut faire et d’ailleurs, qui fait que finalement, on est en meilleure santé quand on vient en vélo.
C’est une bonne chose.
J’ai décliné ça aussi, peut-être, quand on part en vacances en famille.
Fred : Est-ce que vous prenez encore l’avion ?
Laurent : On ne prend plus du tout l’avion.
Fred : D’accord.
Laurent : Voilà.
Donc, la dernière fois, c’était au Portugal.
Ça, c’est un truc pas facile à vivre pour tout le monde chez moi.
Fred : En Europe, on peut aller très loin en train, mais ça prend du temps.
Donc, vous faites comment ?
Vous vous limitez à des endroits courts ou vous faites des longs voyages mais en train ? Ou en voiture ?a
Laurent : On a pu aller à Barcelone en train et souvent, ce qu’on fait, c’est qu’on prend un train et puis comme on arrive dans un endroit difficile à vivre sans voiture, on loue une voiture à l’arrivée.
Fred : D’accord.
Laurent : Donc là, il y a une vraie économie d’émission.
On met chez nous le chauffage à 19 degrés pour la salle commune.
Alors ça, ce sont des gestes qui ne sont pas des petits gestes, c’est des gestes qui, une fois qu’on fait son bilan carbone…
Fred : Quand je dis des petits gestes, des petits pas, ce n’est pas sur l’impact, c’est sur le fait de le faire.
Parce que finalement, l’impact est important quand tu le dis effectivement.
Laurent : Mais c’est intéressant, je pense, d’avoir une bonne vision de l’impact parce que, par exemple, le côté emballage, du point de vue des gaz à effet de serre, ça a très peu d’impact.
Fred : Mais par contre, faire un voyage en avion, ça a énormément d’impact.
Laurent : Énormément.
C’est ce qu’on fait aussi dans ces ateliers de fresque du climat.
À la fin, une fois qu’on a passé du temps à bien comprendre la dérive climatique, on prend du temps pour faire un débat et pour dire qu’est-ce qui est facile à faire, qu’est-ce qui est difficile à faire, qu’est-ce qui est efficient et qu’est-ce qui n’est pas efficient.
Et puis, une fois qu’on a bien étudié tout ça, on se dit qu’on va commencer par le plus efficient et le plus facile.
Fred : Tout à l’heure, tu parlais des climato-sceptiques, qu’on peut appeler aussi climato-dénialistes.
Les repas de famille, c’est bien quand on est éveillé, pour ne pas employer le terme woke, que ce soit sur le climat, contre le racisme, etc., pour l’égalité homme-femme, etc. On est à peu près sûr que dans les repas de famille, on va avoir quelqu’un qui est plutôt de l’autre côté.
Laurent : Oui, c’est un risque.
Fred : Alors comment ça se passe, justement, par rapport, par exemple, à un climato-sceptique ou climato-dénialiste familial ou de proximité, on va dire.
Laurent : Oui, ou même dans un atelier de fresque du climat.
Fred : Ou dans un atelier de fresque du climat, effectivement, oui.
Laurent : Alors, moi, je considère que c’est un croyant.
Fred : C’est un croyant ?
Laurent : C’est un croyant.
Fred : D’accord.
Laurent : C’est quelqu’un qui croit sincèrement.
Et donc, si quelqu’un croit en Dieu, je ne vais pas lui expliquer, enfin, je n’ai rien à lui expliquer.
Donc, en fait, moi, je ne discute pas avec les climato-dénialistes et je dis, très bien, tu crois ça, on arrête la discussion.
Je n’ai pas envie de me fatiguer, ça ne sert à rien.
Fred : Mais à ce moment-là, la personne peut te dire « mais vous n’avez pas d’argument, monsieur ».
Laurent : Eh bien, j’arrête la discussion.
Fred : D’accord. Ok.
Laurent : Parce que ça ne sert à rien.
Fred : Ça ne sert à rien. C’est-à-dire que tu sais que de toute façon, ça ne sert à rien.
Laurent : On va être quelqu’un qui est dans une croyance.
En revanche, je prends soin des gens qui sont autour.
Donc, en fait, je vais répondre aux gens qui sont autour.
Et là, effectivement, il y a plein de réponses possibles.
Dès qu’on commence à demander à un climato-sceptique quelles sont tes sources, en général, c’est très facile de montrer que les sources ne sont pas valides.
Il ne s’agit pas de papiers qui ont été écrits dans des revues à comité de lecture.
C’est en général assez facile à démonter.
Fred : D’accord.
Et au niveau professionnel, au niveau d’Easter-Eggs, on parlait de certains de tes collègues qui ont changé leur régime alimentaire, mais je crois qu’à un moment, tu faisais des fresques du climat au nom d’Easter-Eggs, c’est-à-dire sur ton activité professionnelle.
Laurent : Voilà.
Fred : Ce qui est étonnant, finalement, pour une entreprise qui fait du logiciel libre, a priori.
Laurent : Alors, j’ai commencé à faire des fresques en tant que bénévole, donc ça m’a formé aussi à faire un bon déroulement d’atelier, et puis j’ai eu l’opportunité de faire des fresques. Je crois que ma première fresque pro, c’était chez Total.
Fred : Chez Total ?
Laurent : Chez Total, oui.
Mais j’ai senti que c’était quand même intéressant de le faire parce que malgré l’appartenance à l’entreprise, il y a différents profils et il y avait des profils qui étaient bien conscients.
Alors, j’ai proposé à mes collègues d’inclure cette activité dans l’activité d’Easter-Eggs.
Donc, ils ont tous été d’accord, tous ceux qui se sont prononcés, il y en a qui ne se prononçaient pas, mais il y a eu un tiers des personnes qui ont voté pour et puis les deux tiers qui n’ont pas voté.
Fred : Parce qu’ils n’avaient pas d’avis ou que…
Laurent : Oui, ou que… Voilà.
Mais Easter-Eggs, c’est un projet qui est social, mais qui est économique et il fonctionne parce qu’il y a une économie qui fonctionne.
Fred : Quand tu dis économique, c’est parce qu’il faut payer les salaires, c’est ça ?
Laurent : C’est ça.
Voilà.
Si je passe dans la semaine trois demi-journées à faire des fresques, il faut que, si c’est sur mon temps de travail il faut qu’il y ait un équilibre financier à la fin.
Fred : Il faut qu’un minimum, ça paye ton salaire, quoi.
Laurent : Voilà, exactement.
Fred : Un minimum.
Laurent : Donc, voilà.
Donc, en fait, j’ai travaillé dans ce contexte-là parce qu’il y a cette réalité économique.
Mais après, j’ai fait les deux, j’ai fait du bénévolat et j’ai fait du pro.
Fred : D’accord.
Et tu continues à en faire, des fresques du climat ?
Laurent : Alors, ça, c’est beaucoup…
Les demandes en trente sont beaucoup atténuées, en fait.
Au bout d’un moment, peut-être en début 2024, les demandes entrantes ont fortement diminué.
Fred : Mais parce qu’il y a beaucoup plus de personnes qui proposent des fresques, c’est ça ?
Laurent : Alors, les deux.
Donc, en fait, il y a eu moins d’entreprises qui ont envie d’en faire et plus de personnes qui candidataient.
Fred : D’accord.
Laurent : Et comme à la fresque, on essayait de répartir un petit peu les rôles, ça faisait beaucoup moins d’activités de fresques et comme il y avait quand même un temps nécessaire à investir pour répondre aux demandes entrantes, en gros, en 2024, j’ai arrêté.
Fred : D’accord.
Laurent : J’ai pu faire quelques fresques auprès d’étudiants, mais en termes pro, j’ai arrêté.
Fred : Et est-ce que tu as des envies ou des projets, je regarde le temps qui passe, d’autres actions par rapport justement à cette urgence climatique ?
Laurent : Alors, là, je n’ai rien formulé à ce stade, je me suis intéressé à la démarche scientifique et comment mieux répondre au sujet des climato-sceptiques, et du coup, ça m’a emmené aussi sur comment déjouer les fake news et des choses comme ça.
Fred : D’accord.
Laurent : Sur mon intérêt de maintenant et du futur, j’ai trouvé un cours en ligne, qui est un cours de quelqu’un qui s’appelle Richard Monvoisin et qui présente la démarche scientifique.
Donc, je me suis rendu compte que dans beaucoup de cursus d’ingénieur, il n’y a pas d’épistémologie, pas du tout.
Fred : L’épistémologie, c’est l’histoire des sciences, c’est ça ?
Laurent : L’histoire des sciences, l’histoire du savoir, comment le savoir se construit, etc.
Et donc, à l’époque de fake news, ça veut dire mensonges, il faut appeler les mots tels qu’ils sont, de tous ces mensonges prononcés dans les médias, il faut s’armer contre ça, il faut se vacciner.
Et donc, j’ai trouvé ça et j’ai vraiment plongé dedans, c’est vraiment passionnant.
Donc, je me demande si on ne peut pas, dans l’avenir, faire des ateliers autour de ça.
Fred : D’accord.
Laurent : De vulgarisation.
Fred : Et comment tu te sens après le retour de Donald Trump à la tête des États-Unis, et puis tous les fadas qui sont autour, enfin, je ne sais pas si ce n’est pas des fadas, mais…
Laurent : On est très mal.
J’ai écouté, il n’y a pas longtemps, un historien qui s’appelle Johann Chapoutot.
Fred : Spécialiste du nazisme.
Laurent : Alors, spécialiste de l’Allemagne des années 30.
Fred : Oui, excuse-moi.
Laurent : Mais oui, c’est ça, en gros.
Et ce qu’il montre, c’est que dans les années 30, il y avait à peu près les mêmes schémas qu’aujourd’hui, c’est-à-dire qu’il y avait un milliardaire qui possédait plein de médias, qui faisait collusion avec le pouvoir, et voilà, donc c’est très inquiétant.
C’est très inquiétant ce qui arrive aujourd’hui aux États-Unis, c’est très inquiétant ce qui peut nous arriver demain en Europe.
J’ai peur aussi que les sujets climat soient relégués au second plan, parce que si on a le fascisme qui arrive, le climat, ça va passer derrière.
Donc oui, on n’est pas bien, mais il faut résister.
Voilà, je pense qu’il faut…
Depuis ça, j’ai donné un petit coup de pouce aux médias indépendants, j’ai fait ce que j’ai pu à ce moment-là, et trouver des formes de résistance.
Fred : D’accord.
On va passer aux questions finales.
Pour finir sur une note aussi positive, mais la résistance, c’est une belle note positive.
Est-ce que tu as envie de partager quelque chose qui t’a émerveillé ou fait du bien dernièrement ?
Laurent : Mes derniers sujets, c’est vraiment les sujets de zététique, le cours de la Richard Monvoisin.
J’ai aussi découvert un podcast qui s’appelle Méta de choc, c’est sur la méta-cognition.
C’est le podcast d’Élisabeth Feytit, qui fait parler des personnes qui ont été dans des croyances particulières, et qui raconte comment ces personnes se sont retrouvées elles-mêmes au cours des années.
Et je trouve que c’est un véritable vaccin contre tous ces mensonges qu’on peut entendre ici et là.
Et je trouve que cette initiative est vraiment intéressante.
Je vous encourage à découvrir Méta de Choc.
On mettra un lien dans la page de l’émission du jour.
La dernière question, je te la pose ou pas ?
Fred : Non.
Laurent : Non
Fred : Ok.
Ah, de toute façon, la musique vient de démarrer.
Nous entendons la musique de générique. C’est Schmaltz par Jahzzar disponible sous licence libre Creative Commons partage dans les mêmes conditions.
Bien, un grand merci Laurent d’être venu au micro de Chemins de traverse sur Cause Commune.
Et merci aussi à vous, auditrices et auditeurs, d’avoir pris place autour de notre table en bois du studio pour écouter l’émission.
N’hésitez pas à réagir, donner votre avis, poser des questions, faire des suggestions, un formulaire de contact est disponible sur la page de l’émission sur le site causecommune.fm.
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L’émission va bientôt se terminer.
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Ce mercredi, juste après Chemins de traverse, à 23h30, une émission inédite de Minuit Décousu. Lundi prochain, 31 mars, c’est la fin de la trêve hivernale, de nombreuses personnes risquent l’expulsion à l’occasion de la semaine d’action « Tout le monde déteste la fin de la trêve hivernale ». Minuit Décousu vous propose 1h d’émission pour en découdre avec la rue et le mal-logement.
Côté Chemins de traverse, prochain rendez-vous mercredi 2 avril 2025, une émission un peu pas exceptionnelle, car ce sera notre première soirée musicale. Mehdi sera là pour vous proposer un tour d’horizon musical commenté, de la musique plein les oreilles.
A mercredi prochain donc.
Salut et solidarité.
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