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#113 – La guerre de Poutine contre l’Ukraine (6)

proposée par Isabelle Kortian

Diffusée le 10 avril 2022


#113 – La guerre de Poutine contre l’Ukraine (6)
Le monde en questions

 
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En plateau

Florent Parmentier, Secrétaire général du Cévipof, enseignant à Sciences-Po, chercheur au Centre HEC Paris de Géopolitique, spécialiste de l’Europe centrale et orientale, a publié, avec Juliette Durrieu, La Moldavie à la croisée des mondes, aux éditions Non Lieu.

Contexte

La Transnistrie peut-elle être la prochaine étape de la guerre en Ukraine ?

Florent Parmentier explique les raisons de l’inquiétude qui secoue la Moldavie (2,6 millions d’habitants), indépendante depuis 1991, et enclavée entre d’une part la Roumanie, membre de l’Otan (depuis 2004) et de l’Union européenne (depuis 2007), et d’autre part l’Ukraine, aujourd’hui en guerre après avoir été amputée de la Crimée (annexée par la Russie en 2014) et des républiques autoproclamées de Donetsk et Lougansk, dont l’indépendance fut reconnue par la Russie le 21 février 2022, 3 jours avant le déclenchement des hostilités.

Or, au lendemain de son accession à l’indépendance, à la suite de l’implosion de l’Union soviétique, des affrontements opposant Moldaves et Transnistriens ont abouti à un cessez-le-feu conclu en juillet 1992, jamais été remis en cause par les parties, mais qui contraint la Moldavie (capitale Chișinău/Kichinev) à composer avec un territoire séparatiste pro-russe situé dans sa partie orientale. Figurant au nombre des conflits non résolus de l’espace post-soviétique, il passait jusqu’à présent pour celui dont la résolution présentait le moins de difficultés. Les relations entre Moldaves et Transnistriens, que le Dniestr sépare géographiquement, sont en effet nombreuses et dictées par le pragmatisme, notamment parce que de chaque côté du fleuve on retrouve les trois mêmes groupes ethniques moldaves, russes et ukrainiens. La Transnistrie (avec Tiraspol comme « capitale ») est de facto indépendante de la Moldavie, sans être reconnue par aucun Etat de la communauté internationale, pas même par la Russie qui la soutient pourtant, mais qui a fait le choix jusqu’à maintenant de ne pas s’aliéner toute sympathie moldave par une décision unilatérale de reconnaissance. Dans cette zone parfois qualifiée de trou noir de l’Europe, se développe un capitalisme de contrebande.

En vue de la résolution de ce conflit dit gelé, la Moldavie a choisi en 1994 le statut de la neutralité, s’engageant ainsi à ne rejoindre aucune alliance militaire, en l’espèce l’Otan, mais attendant en retour l’évacuation de toutes les troupes qui stationnent sur son territoire, visant ainsi les quelques 1500 militaires russes installés en Transnistrie ainsi que les stocks d’armes datant de l’époque soviétique. La neutralité moldave n’a jamais été remise en question par les gouvernements successifs du pays, même pro-européens. Elle n’applique pas les sanctions décidées par les Américains et les Européens.

En quoi la voie de la neutralité choisie par la Moldavie peut être une piste de réflexion dans le cadre d’une cessation des hostilités et d’un retour à la paix ? En quoi la guerre actuelle pourrait-elle néanmoins rebattre les cartes et fragiliser le précaire équilibre instauré depuis 1992 ? Si la Moldavie, dans une relation de dépendance économique vis-à-vis de la Russie, représente un intérêt stratégique plus limité que l’Ukraine, l’actuel redéploiement en cours des armées russes dans l’est et le sud de l’Ukraine ne signifient pas pour autant l’éloignement de tout danger de conflit ouvert entre Moldavie et Russie au sujet de la Transnistrie. Tout pourrait en effet basculer dans l’éventualité d’une prise d’Odessa par les Russes, après une chute de Mykoalev. Non seulement l’Ukraine serait alors coupée du port d’Odessa, son poumon économique, et de tout accès à la mer Noire après avoir été coupée d’accès à la mer d’Azov, mais un couloir russe pourrait être établi en direction de la Transnistrie, qui constitue l’hinterland d’Odessa située à 60 km de la Moldavie.

Florent Parmentier montre l’importance de l’histoire dans la réflexion géopolitique.  L’histoire de la Moldavie nous renvoie à celle de la Bessarabie faisant partie de l’Empire russe, rattachée à la Roumanie au lendemain de la Première guerre mondiale, tandis que la Transnistrie reste dans l’ancien espace russe devenu soviétique, à la suite de la Révolution d’Octobre 1917, et reçoit le statut de République autonome soviétique socialiste moldave (RASSM), rattachée à la République socialiste soviétique d’Ukraine. Bessarabie et RASSM fusionnent ensuite en 1940 pour former la République socialiste soviétique de Moldavie. Comment dans la durée les liens se créent mais se défont aussi ? Comment les identités se forgent, comment la séparation de chaque côté du Dniestr renvoie à une histoire et une mémoire différentes, mais comment aussi la fusion de chacun de ces territoires situés de part et d’autre du fleuve, a éloigné les Moldaves de la Roumanie, par exemple, et fortifié leur désir d’indépendance. L’étude de la Moldavie nous place au cœur des processus de formation et de légitimation identitaires qui ont amené l’ancienne république soviétique à développer sa propre voie sur le chemin de l’indépendance, couplée avec le statut de neutralité, conçue afin de garantir sa sécurité et son intégrité.

À l’oreille

Pour aller plus loin

Josette Durrieu et Florent Parmentier, La Moldavie à la croisée des mondes, éditions Non Lieu, 2019



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