#72 – Il y a 50 ans, se tenait le premier Congrès mondial tsigane
proposée par Isabelle Kortian
Diffusée le 31 mai 2021
En plateau (virtuel) :
Jean-Pierre Liégeois, sociologue, a fondé en 1979 et dirigé jusqu’en 2003 le Centre de recherches tsiganes de l’Université Paris Descartes/Sciences sociales, Sorbonne. Depuis le début des années 1980, il coopère avec le Conseil de l’Europe et la Commission européenne (de 1984 à 2001) en qualité d’expert pour les questions concernant les Roms et les Tsiganes. Ses travaux, publiés depuis 1967, sont parmi ceux qui ont ouvert de nouvelles perspectives de compréhension des communautés roms/tsiganes, par l’examen critique des politiques menées à leur égard, par la présentation du développement des organisations roms/tsiganes, et par la définition de propositions destinées à améliorer la situation difficile de 10 à 12 millions de personnes constituant la plus grande minorité d’Europe.
Contexte
Du 8 au 12 avril 1971 se tenait dans la banlieue de Londres le premier Congrès mondial tsigane avec des délégués en provenance de 14 pays auxquels s’ajoutent des observateurs d’autres pays. L’objectif est de fédérer les Roms, de susciter leur action dans le monde entier et d’interpeller ainsi l’opinion publique internationale sur la situation des Roms. « Nos problèmes sont partout les mêmes », déclare, dans son allocution, le président du Congrès, ajoutant que « nous avons été passifs assez longtemps ». Il y est question d’émancipation et de mobilisation en faveur de la défense des droits, de l’identité, de la culture et de la langue des Roms.
Jean-Pierre Liégeois, témoin et acteur de cette histoire, souligne la mutation politique que représente cet événement dans l’univers des Roms (passage de la tradition à de nouvelles formes d’actions politiques, avec les enjeux que cela comporte) et son caractère révolutionnaire. Il a été précédé par d’autres tentatives analogues pour la défense des groupes de Gitans. La Communauté mondiale gitane, association créée en 1959 à Paris, par Ionel Rotaru, a été dissoute en 1965 à la demande de la préfecture de police. Vint ensuite la création du Comité international tsigane, en dissension avec certaines idées utopiques de Rotaru, mais reprenant néanmoins certains points de son programme. C’est ce Comité, implanté dans la banlieue Est de Paris, qui organise le Congrès de 1971 qui se tient à Londres. Le Comité changera de nom en 1978, à Genève, devenant l’Union romani internationale (URI).
En 1971, les participants à cette première mondiale affirment leur volonté de passer d’une pression subie vers l’uniformisation à une politique consciente de fédération, en vue d’une adaptation (et non pas d’une intégration ou assimilation) aux autres sociétés. Ils veulent devenir des sujets de l’histoire et non plus seulement l’objet des politiques de rejet, d’exclusion, de discriminations, d’extermination, de réclusion, d’assimilation. Car, quelles que soient par ailleurs les différences considérables existant entre les politiques précitées à l’égard des Roms, elles sont ouvertement ou plus insidieusement la négation d’une réalité ethno-culturelle. Une réalité ethno-culturelle que les États refusent de reconnaître. Négation quand on exclut, expulse, enferme, déporte, extermine. Négation dans sa variante « soft » quand on veut intégrer, assimiler, ou quand on traite les Tsiganes, les Roms, les Gitans, les Gens du Voyage comme des cas sociaux ou marginaux.
Afin de signifier qu’ils ne veulent plus se laisser définir par les représentations et stéréotypes des autres, ils rejettent le terme de Tsigane et ses diverses variantes linguistiques, et choisissent l’éponyme de « Rom ». Geste inaugural à forte charge symbolique, annonçant l’avènement de temps nouveaux et émancipateurs : la désignation n’est pas une prérogative des autres, on ne peut reprendre, sans distance critique, la terminologie à connotation péjorative imposée par les autres sociétés. En choisissant leur dénomination et désignation, ils affirment à la fois leur identité et le droit au respect de cette identité. Le Congrès décida aussi l’adoption d’un hymne et d’un drapeau. Il fit de la journée du 8 avril la Journée internationale des Roms, et cinq commissions furent instituées : affaires sociales, éducation, crimes de guerre (recherche sur le génocide perpétré par les nazis, perpétuation du souvenir des Roms, constitution des dossiers de dommages de guerre), linguistique et culturelle.
Jean-Pierre Liégeois souligne que le Congrès de 1971, dans ses décisions, reprend une bonne part des propositions et actions décidées à Bucarest, en 1933, lors d’une Conférence organisée par les Roms de Roumanie : adoption d’un drapeau, création d’une bibliothèque et d’une université roms, intensification des échanges entre les organisations roms afin de renforcer l’identité et le combat pour les droits des Roms. La Seconde guerre mondiale, les persécutions et l’extermination par les nazis ont tué dans l’œuf le réveil rom : l’intelligentsia fut décapitée et beaucoup choisirent le retour à l’invisibilité pour tenter de se protéger. Il fallut attendre plus de trois décennies pour que le flambeau soit repris.
L’Union romani internationale (URI) est désormais une ONG interlocutrice des Etats, des instances européennes et internationales, dont le rôle est reconnu par les Nations Unies. Depuis le début des années 1990, et la chute du mur de Berlin, il s’est encore renforcé notamment auprès de l’OSCE. Elle se bat pour la reconnaissance de la culture et de la langue des Roms, contre les politiques de rejet et d’assimilation, elle entreprend des démarches en ce sens auprès du Conseil de l’Europe, du Conseil européen, des différentes instances de l’ONU, et de l’OSCE. Parallèlement, le nombre des organisations politiques et culturelles roms a considérablement augmenté, tout comme leur champ d’action (régional, national, européen et mondial) et leur champ de compétences (politique, culture, scolarisation, droits de l’homme). Les femmes et les jeunes Roms sont aussi devenus des acteurs et vecteurs importants de cette lutte.
Toutefois, dans une Europe cédant de plus en plus au repli identitaire, le défi des prochaines années sera d’empêcher la recrudescence de manifestations d’hostilité à l’égard des Roms et le retour des politiques de rejet qui inciteraient les Roms à se rendre de nouveau aussi invisibles que possible, dans l’attente de jours meilleurs.
Un slogan résumait le Congrès de 1971 : « le peuple rom a le droit de rechercher sa propre voie vers le progrès ». Cinquante ans plus tard, force est de constater que la plus importante minorité d’Europe reste la plus discriminée. Si une prise de conscience au niveau des instances européennes et internationales a bien eu lieu, elle reste insuffisante pour renverser la donne. Le chemin est encore long pour que les Roms puissent forger sans crainte un futur en accord avec leur style de vie et leurs croyances.
À l’oreille
- Esma Redzepova – Gelem gelem (hymne rom)
- Chant flamenco – Cante jondo
Le cante jondo (signifie chant profond en espagnol andalou) est un type de chant parmi les chants les plus anciens du répertoire flamenco - Jazz manouche : Django Reinhardt – Minor swing
Le jazz manouche témoigne des apports stylistiques des musiques gitanes, manouches et d’Europe centrale ainsi que du musette et de la chanson française dans le jazz, qui, dès 1932, arrive des États-Unis en Europe.
POUR ALLER PLUS LOIN :
- Jean-Pierre Liégeois, Roms et Tsiganes, dans la Collection de poche Repères – Editions La Découverte, Paris, 2009 / 2019
- Jean-Pierre Liégeois, Le Conseil de l’Europe et les Roms : 40 ans d’action, Editions du Conseil de l’Europe, 2010.
- Jean-Pierre Liégeois, Roms en Europe, Editions du Conseil de l’Europe, 2007
- Jean-Pierre Liégeois, Mutation tsigane. La révolution bohémienne, Editions Complexe, 1976
ET :
- De 2001 à 2005, Jean-Pierre Liégeois fut directeur du projet “Education des enfants roms en Europe”, pour la mise en œuvre de la Recommandation (2000)4 du Comité des Ministres.
- Il réalisa de nombreuses études sur la situation des Roms dans plusieurs Etats de l’Europe centrale et orientale.
- En 1984 et 85, à la demande de la Commission Européenne, il fut responsable dans les 10 Etats membres de l’époque (ensuite extension à l’Espagne et au Portugal), d’une analyse critique de la situation scolaire des enfants roms. Ce fut la toute première étude transnationale de l’UE concernant les Roms. Elle aboutit à l’adoption par le Conseil de la Résolution de mai 1989, concernant la scolarisation des enfants roms. Il fut co-responsable d’une recherche de 2000 à 2003 sur l’éducation des enfants tsiganes, pour la DG Recherche / 5ème PCRD. Dans ce contexte, il fut aussi responsable de la publication du trimestriel Interface, Tsiganes et Voyageurs, Education, Formation, Jeunesse (1991/2001 – publié en plusieurs langues, 11.000 exemplaires).
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