#68 – Les mères : un nouveau sujet révolutionnaire ?
proposée par Isabelle Kortian
Diffusée le 10 mai 2021
En plateau
Fatima Ouassak, politologue et consultante en politiques publiques, pionnière dans le combat pour l’instauration d’une alternative végétarienne dans les cantines scolaires. A l’initiative du collectif Ensemble pour les enfants de Bagnolet et cofondatrice du Front des mères, premier syndicat de parents d’élèves des quartiers populaires, elle publie aujourd’hui La puissance des mères. Pour un nouveau sujet révolutionnaire aux Éditions de La Découverte.
Contexte
Fatima Ouassak a grandi dans une cité ouvrière. Elle vit et milite aujourd’hui dans des quartiers populaires que les pouvoirs publics et nombre d’experts considèrent comme ou ont renommés « territoires perdus de la République », devant désormais faire l’objet d’une « reconquête ». Comme si les hommes et les femmes habitant ces quartiers avaient fait sécession ! S’est-on jamais soucié de la perception que ces derniers ont de leur situation : la caractériseraient-ils par un état de sécession ou bien d’exclusion ? Jamais considérés comme complètement Français, parce que pas Français « de souche », mais issus de l’immigration, frappés plus que les autres citoyens du pays par le chômage, les discriminations à l’embauche, les contrôles au faciès, les violences policières, le décrochage scolaire, la crise sanitaire, etc. Stigmatisés pour certains en raison de leur couleur de peau, de leur religion, perçu comme une menace et un danger dès leur plus jeune âge, voire assimilés à la figure du fanatique terroriste arabo-musulman, comme si la question sociale n’existait pas et comme si les habitants de ces quartiers et leurs enfants n’étaient pas les premières victimes de la pauvreté, des trafics, des violences entre bandes rivales, des préjugés, du racisme, de la montée de l’intolérance et des divers radicalismes religieux, et comme s’ils ne se sentaient pas ou n’étaient pas abandonnés par les pouvoirs publics.
Fatima Ouassak parle de ce qu’elle connaît, de son combat au quotidien sur plusieurs fronts : l’anti-racisme, le féminisme, l’égalité des droits pour tous et toutes, l’écologie. Parce qu’elle part de ce que vivent les gens dans les quartiers populaires, elle les mobilise, elle fait d’eux des acteurs et actrices dans la Cité. Elle raconte ses déceptions militantes dans certaines structures de gauche qui l’ont amenée à créer Ensemble pour les enfants de Bagnolet et le Front des mères. Elle n’a pas renoncé à la liberté, à l’égalité et à la fraternité, quand d’autres à gauche semblent l’avoir fait. Elle n’a jamais démissionné, mais elle parle de la récupération des luttes des habitants des quartiers, de la confiscation de leur parole au prétexte qu’ils ne seraient pas capables d’exprimer ou de formuler des revendications au-delà de la périphérie marginale de leur expérience, et auraient besoin de porte-parole capable de traduire ou reformuler le message de leur lutte ! Elle refuse le fait que les habitants des quartiers populaires soient considérés comme incapables d’accéder à l’universel, représentés comme des éternels « mineurs » ne pouvant accéder à la « majorité », ayant perpétuellement besoin de « bienveillants tuteurs » pour penser et agir.
Fatima Ouassak parle d’émancipation et fait des mères l’acteur principal de cette émancipation. Elle met en lumière le fort potentiel révolutionnaire qu’elles représentent dans les quartiers populaires, et en vertu duquel elles sont en mesure de transformer la Cité et de jouer un rôle révolutionnaire dans l’histoire. D’où la puissance des mères. Ensemble, elles ne veulent plus se contenter du rôle de mère-tampon, assigné par les institutions (empêcher les enfants de sortir de la maison, les maintenir devant la télévision et les jeux vidéos, leur apprendre à subir, sans se plaindre, les discriminations comme étant dans l’ordre des choses, à baisser la tête devant chaque mesure vexatoire, chaque atteinte à la dignité de leur personne, etc.), car un tel rôle de mère-tampon les enferme dans la reproduction de l’ordre social établi, injuste, inégalitaire et discriminant. Elles veulent éduquer leurs enfants en leur apprenant à être fiers de leurs parents, de leur combat pour accéder aux mêmes droits que les habitants d’autres quartiers. Elles ne sont pas seules, ni uniquement mères ou femmes, elles sont au cœur du vivre-ensemble et de sa structuration. Elles veulent prendre le pouvoir, redonnent espoir, insufflent un dynamisme, remportent des victoires, participent activement à la déconstruction des préjugés et stéréotypes, réinvestissent les questions de l’éducation et de la transmission, loin de toute passivité, organisent le collectif en tissant des liens autour de projets porteurs d’avenir, contribuent à poser les jalons d’une possible refondation de la Cité.
À l’oreille
- Méryl – Béni
- Abdoulaye Cissé – Les Vautours (dans l’album Les damnés de la terre de Rocé)
- Mohamed Rouicha – Inas Inas
Pour aller plus loin
- Fatima Ouassak, La puissance des mères. Pour un nouveau sujet révolutionnaire, La Découverte, 2021
- Fatima Ouassak, « Luttons contre les violences policières, défendons nos libertés fondamentales » dans l’ouvrage collectif Résistons ensemble pour que renaissent des jours meilleurs, Éditions Massot, 2020. Version pdf libre d’accès
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