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#31 – Le Brésil, son président et le Covid-19

proposée par Isabelle Kortian

Diffusée le 18 mai 2020


#31 – Le Brésil, son président et le Covid-19
Le monde en questions

 
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En plateau :

Hervé Théry, ancien directeur du département de géographie de l’École normale supérieure (ENS – Ulm), directeur de recherche émérite au Centre de recherche et de documentation des Amériques (CREDA), un laboratoire de recherche associant le CNRS et l’Université Sorbonne nouvelle-Paris 3. Professeur à l’Universitade de Sao Paulo et co-directeur de la revue « Confins ».

Contexte :

En octobre 2018, les Brésiliens ont élu à la présidence, Jair Bolsonaro, le chef du Rassemblement national. Il a pris ses fonctions en janvier 2019. La pandémie liée au Covid-19 sévissant actuellement au Brésil, comme ailleurs en Amérique latine, et dans le monde, représente le premier défi majeur auquel le nouveau président de la République est confronté. Comment celui qui a fait campagne en disant qu’il voulait incarner un pouvoir fort et efficace, représentant le peuple contre les élites, gère-t-il la première grave crise de son mandat ?

Plutôt mal, observe Hervé Théry. À l’instar des chefs d’État de Biélorussie, du Tukménistan et du Nicaragua, il a choisi la politique de l’autruche. Dénier la crise sanitaire ou minimiser sa gravité. Coronasceptique, il a d’abord dit que c’était une petite grippe, qui ne lui faisait pas peur. Les gouverneurs des 27 États, mesurant davantage la gravité de la situation, ont néanmoins décrété le confinement de la population ainsi que la fermeture des commerces. Les conditions du confinement varient toutefois d’un État à l’autre. Sa mise en œuvre peut poser de vraies difficultés quand beaucoup de gens vivant dans la pauvreté sont obligés de sortir chaque jour pour gagner leur pain quotidien. L’arrêt de la circulation en ville et sur les principaux axes routiers est par exemple une catastrophe pour ceux qui profitaient des feux rouges pour vendre toutes sortes de choses aux automobilistes à l’arrêt. Les partisans du Président, de leur côté, manifestent contre le confinement, dans la capitale comme dans les autres États du Brésil, ne voulant pas sacrifier l’économie à la protection de la santé publique. Ils soutiennent leur Président, s’en prennent aux médias, aux « communistes » dans une ambiance de guerre froide, expriment leur rejet des institutions qu’ils accusent d’empêcher leur président de gouverner et de vouloir profiter de l’épidémie pour le destituer. Certains ont même demandé à l’armée de rétablir l’ordre public ! C’est une minorité certes, mais elle est bruyante, très présente sur les réseaux sociaux, et regroupe les mêmes personnes qui manifestaient en faveur de la destitution de la présidente Dilma Rousseff, ayant succédé au président Lula.

Quel est l’état du système de santé brésilien, alors que le président Bolsonaro vient de se séparer de son deuxième ministre de la santé depuis la crise du Covid-19 ? Il faut distinguer le secteur public, universel, et le secteur privé, disposant à lui seul de la moitié des respirateurs et des lits en soins intensifs. A la faveur de cette crise, un débat se met en place afin de voir comment le secteur public pourrait bénéficier (voire réquisitionner) des moyens du secteur privé. Car la pandémie ici comme ailleurs accentuera certainement les inégalités entre les riches et les pauvres davantage touchés et précarisés, motif récurant du mécontentement social. Une prise de conscience de la nécessité d’investir davantage dans le système public de santé voit le jour au Brésil comme dans d’autres pays d’Amérique latine. Si Alejandro Gaviria, ancien ministre colombien de la santé et de la protection sociale de 2012 à 2018, pointant la diversité des capacités et compétences des systèmes de santé en Amérique latine, déclarait que « sur le même continent, on trouvait l’Europe et l’Afrique », il convient néanmoins de rappeler que l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS), fondée en 1902, est la première organisation internationale en matière de santé et, toujours active aujourd’hui, elle s’efforce de renforcer la coopération des différents gouvernements entre eux. Hervé Théry préfère dire qu’au Brésil, en matière de santé comme dans d’autres domaines, on trouve à la fois la Suisse, le Pakistan et le Far West.
Pour lui, comme pour d’autres observateurs, le rejet massif du Parti des travailleurs de Lula (PT) constitue l’un des ressorts majeurs de cette surprise qu’a constituée la victoire de Jair Bolsonaro aux élections présidentielles dans un contexte de forte polarisation, phénomène nouveau au Brésil. Beaucoup de personnes déçues par les réformes qui n’ont pas été faites ou les affaires de corruption qui n’ont pas disparu de la vie politique, n’ont pas renouvelé leur confiance au PT. A droite ou à l’extrême droite, la montée des idées réactionnaires a attisé la « haine » des idées de gauche. Bolsonaro est un outsider, se qualifiant lui-même de « Trump tropical », partageant avec le président des États-Unis d’Amérique le goût d’un certain type de rhétorique et le rejet des élites. Il veut rendre au Brésil sa grandeur et il faut entendre par là une volonté d’effacer la parenthèse de l’alternance constituée par l’arrivée au pouvoir de Lula et du PT, ainsi qu’une nostalgie pour les années de dictature militaire, régime que connut le Brésil de 1964 à 1985. Si le Nordeste est resté fidèle au PT, c’est en reconnaissance pour le système d’allocations familiales, régulier, efficace et respectueux de la dignité humaine, appelé Bolsa familia, que Lula a consolidé à partir de 2004.

Ailleurs, ce sont les « 3 B » qui ont fait l’élection de Bolsonaro à la présidence de la République. De quoi s’agit-il ? B comme bœuf. B comme Bible. B comme balles. Les éleveurs de bœufs dans les régions du front pionnier, les adeptes des cultes néo-pentecôtistes (ou évangéliques) et les partisans d’un libre usage des armes à feu, ont massivement voté pour Bolsonaro. S’agissant du premier « B », on notera que les éleveurs de troupeaux de bovins, se considérant comme des pionniers, présentent certaines ressemblances avec ceux du Far West américain de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème. S’agissant du second « B », l’émergence et le développement des cultes néo-protestants, résulte historiquement de la condamnation de la théologie de la libération par le pape polonais Jean-Paul II, très marqué par son expérience à l’Est, anticommuniste et conservateur.
Alors que l’église catholique au Brésil avait toujours été du côté des pauvres durant la dictature, elle a perdu de sa proximité avec les plus faibles et démunis en renonçant à son engagement social. Sa condamnation de la contraception a également profité aux pasteurs plus conciliants. Quant au troisième « B », il fédère les partisans du libre usage des armes à feu, prospérant dans un des pays les plus violents au monde, et où sévit une forte criminalité.

Depuis son arrivée au pouvoir, le président a méthodiquement démonté le système de protection de l’environnement que le Brésil avait mis en place progressivement à partir de 1975 et notamment depuis la conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement, plus connue sous le nom de sommet de Rio, qui s’est tenue à Rio de Janeiro, au Brésil, du 5 au 30 juin 1992. On peut dire que la politique environnementale de Bolsonaro est une politique contraire à la protection de l’environnement : la courbe du défrichement et déboisement est repartie à la hausse et les incendies de juillet 2019 sont dans toutes les mémoires. Si le ministère de l’environnement n’a pas été supprimé, le président a placé à sa tête un individu qui, lorsqu’il avait été secrétaire d’État à l’environnement dans l’État de Sao Paulo, fut condamné pour crime écologique.

Nul ne peut prédire comment la situation évoluera. Les prochaines échéances électorales sont les élections municipales, mais, au Brésil, il n’est pas besoin d’élection pour destituer un président et Jair Bolsonaro continue de bénéficier du soutien de larges secteurs de la société.

En tout état de cause, comme le souligne Hervé Théry, le Brésil est un pays émergé, et non plus émergeant, avec de très nombreux atouts : vastes ressources agricoles et minières, fort potentiel hydro-électrique, énergie éolienne, solaire, biomasse, indépendance énergétique, population stabilisée et jeune, excellentes universités, etc.

À l’oreille :

  • La « samba de la quarantaine »
  • Un baiao de la quarantaine, Baiao na Janela (produit aussi dans le même esprit du confinement solidaire et message d’espoir)

Pour aller plus loin :



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