#115 – L’atelier des passages
proposée par Isabelle Kortian
Diffusée le 20 avril 2022
En plateau
Aude, Martha et Sandrine de l’Atelier des passages, conceptrices et réalisatrices de l’ouvrage Révolutionnaires, dans lequel elles ont cueilli ou recueilli, puis transcrit de l’oral à l’écrit six témoignages de femmes pleinement engagées dans des luttes révolutionnaires des années 1970 et 1980.
Contexte
Aude, Martha et Sandrine, militantes féministes engagées, nées dans les années 1980 et 1990, présentent les témoignages de six autres militantes révolutionnaires qui pourraient être leur mère ou leur grand-mère : Andrea de Montevideo, Camille de Dijon, Herma d’Ulenkrug, Anne-Catherine de Lavaux, Marisa de Besançon et Maryvonne de Nantes. « Comment tes convictions, tes engagements révolutionnaires ont-ils modelé ta vie ? » C’est avec cette question fondatrice que l’Atelier des passages a initié à partir de 2013 une série d’interviews qui se poursuit, engageant ainsi un vaste chantier dont la publication de Révolutionnaires n’est qu’une première étape.
Comment mettre en lumière des récits de femmes souvent invisibilisées ? Qu’elles viennent d’Allemagne, d’Uruguay, de Suisse ou d’Italie, les militantes interrogées ont le sentiment que leur histoire n’a pas vraiment d’importance, alors qu’elles ont activement pris part localement, au niveau national ou international, à l’histoire mondiale du mouvement syndical ou des mouvements révolutionnaires en lutte contre l’oppression, la domination, l’exploitation. Pourquoi considèrent-elles spontanément que sortir leur engagement de l’anonymat n’en vaut pas la peine ? Comment corrigent-elles ensuite leur posture par une nouvelle question : « Comment parler de tout ça sans se vautrer dedans ? ». D’où vient cette pudeur ou humilité ? Ne faut-il pas plutôt demander d’où vient leur immense dignité ? Comment digèrent-elles la confiscation et l’occultation de leur rôle dans l’histoire des soulèvements populaires et des luttes révolutionnaires ? Comment leurs récits racontent-ils, et jusqu’à quel point, une histoire intimiste et féministe ? Car c’est bien l’histoire qui s’exprime et se transmet à travers la pluralité des récits singuliers collectés. Une histoire vivante, s’inscrivant dans la contingence du monde, où l’on se raconte « avec prudence », parce qu’on agit avec prudence, cette dernière renvoyant à une éthique mobilisant l’intelligence critique et le jugement dans l’engagement, le choix du combat, de ses formes et moyens.
Chemin faisant, on revisite nos représentations de ladite grande histoire et de ladite petite histoire, et l’on repose avec force la question de la centralité de la transmission quand il s’agit d’un héritage de luttes sociales et politiques qui n’existeraient pas sans le combat déterminé et durable de ces femmes. En jeu, la transmission intergénérationnelle, mais pas que ! Les récits de ces militantes, celui de leurs luttes trouvent ici et maintenant un écho auprès des plus jeunes générations, laissant une trace mémorielle de leurs engagements respectifs. Mais l’urgence n’est pas seulement de recueillir le témoignage des anciennes avant qu’elles ne disparaissent. L’urgence est aussi celle de trouver comment transmettre vivant le flambeau des luttes entre générations et au sein des mêmes générations par contagion, émulation, motivation, sensibilisation.
À cet égard, l’approche d’Aude, Martha et Sandrine marque un point. Leur démarche est exemplaire dans la qualité de leur écoute. Le travail effectué dans le passage de l’oral à l’écrit en compagnie de celle qui témoigne, conduit à un véritable partage d’expérience dans lequel toutes les protagonistes sont impliquées jusqu’au bout. Elles ne s’approprient pas le témoignage lorsqu’elles le restituent, elles en sont les co-autrices tout au plus, évitant le surplomb dominant, dans une fluidité des échanges qui engage.
À l’oreille
- Pour des chansons de femmes/Syndicollectif – 200 dans l’atelier
- La Lega – Chant de lutte italien de la région de Padoue, chantée d’abord par les repiqueuses de riz de la Plaine de Pô et devenue symbole de la lutte des ouvriers agricoles au XIXème siècle contre les patrons fermiers
- Anne Sylvestre – une sorcière comme les autres
Pour aller plus loin
Atelier des passages – Révolutionnaires. Récits pour une approche féministe de l’engagement, éditions du commun, 2022. (Postface de Ludivine Bantigny : L’engagement dure longtemps. Comment changer la vie vraiment ?)
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